1789-1979, l’art moderne de bâtir en terre crue : une saga universelle initiée en France - Pourquoi ce retour aux sources d’une « modernité » alternative ?

Rédigé par Jean DETHIER
Publié le 24/06/2017

Vue d’une suite de « voûtes nubiennes » de la coopérative agricole édifiée par Fathy dès 1965 dans son nouveau village édifié en adobe, New Bariz.

Dossier réalisé par Jean DETHIER
Dossier publié dans le d'A n°255

Si depuis la fin des années 1970, sous l’impulsion des préoccupations environnementales, le renouveau des pratiques constructives valorisant les atouts de la terre crue est documenté, la période précédente, sans laquelle il n’y aurait pas pu y avoir ce nouvel essor, est très mal connue. C’est pourquoi nous avons demandé à Jean Dethier – actif militant de la cause de « l’art moderne de bâtir en terre crue », notamment à travers ses actions initiées dès 1979 au Centre Pompidou (CCI) – d’entamer ici le récit illustré de cette passionnante histoire. Celle d’une « Modernité alternative » qui prend sa source autour de Lyon en 1789 avec un certain François Cointeraux.  

Avec ce dossier, je souhaite contribuer au dépassement d’une contradiction dans l’évolution actuelle de nos « cultures constructives », du moins celles en quête d’écoresponsabilité. Depuis quelques années déjà, on constate que les architectures bâties en terre crue connaissent un renouveau, une créativité et un succès sans précédent, aussi bien en France, en Europe que dans le monde. Les figures majeures et les plus inventives de la scène architecturale internationale se sont engagées dans cette pratique : Renzo Piano, Herzog & De Meuron, Snøhetta, Wang Shu, Francis Kéré et tant d’autres. Cet engouement met à profit un écomatériau naturel – quasi omniprésent sous nos pieds, même en milieu urbain – aux nombreuses vertus : il n’est pas énergivore, ne nécessite pas de phase de transformation industrielle, implique peu ou pas de transport, ne produit ni pollutions, ni CO2. De plus, il est recyclable. Ces architectes ont prouvé – si besoin était – que la terre crue peut de nouveau donner vie à des architectures écologiques aussi pertinentes que résistantes, aussi confortables, séduisantes que conviviales. Mais, parallèlement à cet essor, on constate aussi la regrettable persistance, depuis le début du XXe siècle, d’une crise d’amnésie qui occulte la connaissance des multiples développements antérieurs et successifs de cette filière méconnue d’une modernité alternative. Celle d’un « art moderne de bâtir en terre crue » initié par François Cointeraux dans la mouvance de la Révolution française. J’ose espérer que l’évocation faite ici « du premier acte » de cette « saga » – de 1789 à 1979 – puisse contribuer, avec d’autres démarches à poursuivre ici et ailleurs, à éclairer et valoriser ce chapitre injustement oublié de notre Histoire moderne de l’architecture. [ jean.dethier@wanadoo.fr ]  

 

Biographie :

 

Né à Bruxelles en 1939, Jean Dethier est un architecte et urbaniste belge établi à Paris. De 1966 à 1970, il est au ministère marocain de l’Habitat et de l’Urbanisme le copilote du programme ONU et Unesco de réhabilitation des villages en terre du Sud. En 1971, il publie une Histoire de l’architecture moderne au Maroc. Durant 30 ans, dès 1975 au Centre Pompidou, il est architecte-conseil du CCI et commissaire de 22 expositions, dont « Architectures marginales aux USA » (1975), « Le temps des gares » (1978), « L’urbanité » (1980), « Images et imaginaires d’architecture » (1984), « La ville moderne en Europe » (1994), « Ponts habités » (1996), etc. Dès 1981, son exposition « Des architectures de terre, ou l’avenir d’une tradition millénaire » assume une longue itinérance mondiale qui totalisera 3 millions de visiteurs. En prolongement de cette manifestation militante, il est l’initiateur du premier quartier d’habitat bâti en terre crue en Europe : le Domaine de la terre, inauguré à en 1985. En 1987, il est lauréat du Grand Prix national d’Architecture pour « l’ensemble de ses expositions et actions en faveur de la démocratisation de la culture architecturale ». En 2014 il est co-initiateur, avec Dominique Gauzin-Müller et Patrice Doat, du premier prix national des architectures de terre, et en 2016, il est membre du jury du Terra Award, le prix similaire organisé à l’échelle mondiale. 

Jean Dethier tient à exprimer sa gratitude à Ariane Braillard, pour ses précieux encouragements ayant facilité les recherches indispensables pour aboutir à l’édition de ce dossier et à d’autres publications complémentaires à venir. De même vis-à-vis de Philippe Rotthier pour son soutien. Merci aussi à Anne Moreau, Anne Van Loo, François Perrin, Hubert Guillaud et Thierry Joffroy (tous deux du CRAterre) pour leurs patientes et utiles relectures critiques de mes textes. Merci aux photographes Jacques Évrard et Christine Bastin pour la libre reproduction de leurs oeuvres.   

 

Brève définition des cinq principales techniques de construction en tere crue 

 

PISE 

Technique ancestrale et désormais modernisée consistant à élever de puissants murs monolithiques (entre 40 et 60 cm d’épaisseur) en compactant – par petites couches successives – de la terre crue, humide et pulvérulente, dans un coffrage latéral qui est déplacé dès la fin de l’opération. 

 

ADOBE 

Technique ancestrale de réalisation manuelle rapide et très économique d’une brique façonnée avec de la terre crue à l’état plastique dans un moule d’où elle est de suite extraite pour séchage au soleil. Les adobes peuvent aussi être produits mécaniquement en séries semi-industrialisées. L’adobe permet d’élever quasi toutes les composantes en maçonnerie d’un édifice : murs, arcs, voûtes et coupoles. 

 

BAUGE 

Technique ancestrale de mise en oeuvre de « boules » de terre crue malléable empilées pour élever des murs monolithiques (d’une largeur fréquente de 50 cm) dont les faces externes sont in fine ajustées par tranchement. Cette pratique manuelle s’apparente à la réalisation d’une sculpture géante. 

 

TORCHIS 

Technique ancestrale de pose de terre crue à l’état plastique sur un léger lattis de bois assumant un rôle de « remplissage » au sein d’une structure portante en bois (parfois désormais en acier). Ce mode de construction (aussi nommé « colombage ») où la terre n’assume pas de rôle porteur – est très fréquent dans l’architecture traditionnelle rurale et urbaine en Europe. 

 

BLOCS DE TERRE COMPRIMÉE (BTC) 

Technique moderne consistant à produire des briques avec de la terre crue humide et pulvérulente grâce à la forte compression mécanique assurée par une presse manuelle inventée en 1956 en Colombie par Raoul Ramirez (Cinva-Ram) et améliorée dès 1975 en Belgique par Fernand Platbrood (Terstaram).  


Lisez la suite de cet article dans : N° 255 - Juillet 2017

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uriel MOCH   -  architecte le 02/09/2017

Bravo pour cette "brève histoire de l'humanité" sous l'angle de l'habitat en terre, passionnante et synthétique. Quelqu'un pourrait il faire de même, avec le même soucis d'explication de l'évolution, sur l'habiter en bois ? ce pourrait être un sujet d'Ecole...

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