Agence Bruther - Espace et structure

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/03/2018

Stéphanie Bru et Alexandre Thériot

Article paru dans d'A n°260

L’Agence Bruther est désormais synonyme d’une production aussi cohérente que mature. Des projets poétiques qui s’inscrivent pourtant dans un cadre théorique très précis, axé sur un retour à la structure et sur la notion de flexibilité qui conditionne la production architecturale d’aujourd’hui. Des réalisations en rupture avec ce que l’on a pu voir en France ces dernières années, mais qui entretiennent cependant des complicités avec le travail d’autres concepteurs, notamment Muoto et Baukunst, et des parentés avec Marc Barani ou Christian Kerez.

Plateforme pétrolière surmontée d’un dôme, bloc légèrement concave et ponctué de trois voûtes ouvertes sur le ciel, lourds piliers scandant l’espace comme autant de colonnes, coursives de desserte zigzaguant devant des blocs : les projets de l’agence Bruther se présentent comme des constructions rationnelles, attentives aux mutations des usages qu’elles mettent souvent en exergue tout en restant nimbées d’une indicible étrangeté.

Stéphanie Bru et Alexandre Theriot, tous deux diplômés en 1999 – la première de Belleville, le second de Marne-la-Vallée –, se rencontrent sur les tables de l’agence de Jacques Ferrier. Au moment où ce dernier, entouré d’une petite équipe très créatrice – comprenant notamment Cécile Graindorge et Paul-Emmanuel Loiret –, réfléchit sur la représentation. Comment concevoir des coupes qui donnent des indications sur les usages ? Des plans capables d’anticiper une évolution des programmes ? Des schémas permettant de rendre compte d’une intention ? De courtes fictions apportant des points de vue autres et décalés sur un projet ? Ces questions, ces jeunes architectes les placeront au cœur de leur problématique et sauront continuer à les développer pour leur propre compte, quand sonnera l’heure de la fondation de leur structure.

Leur agence est créée en 2007, après une recherche sur Tokyo financée en 2006 par la bourse « L’Envers des villes », décernée par la Caisse des dépôts et consignations. Et ils se lancent sans perdre de temps dans de nombreux concours qui leur permettront d’accéder à la commande. Plongés dans la production, ils ne s’enferment pas pour autant dans leur bulle professionnelle et restent ouverts à l’enseignement et à la réflexion. Stéphanie est vacataire à Versailles, Alexandre, à Val de Seine, et ils sont tous les deux régulièrement invités par des écoles étrangères pour des conférences et des workshops. Ils viennent de publier à la fin de l’année dernière l’ouvrage Introduction, qui témoigne d’une culture spécifique – charriant textes et images, œuvres d’art et références architecturales ou paysagères – entièrement mise au service d’une pensée du projet.

En rupture avec la génération précédente et ses enveloppes actives, les deux associés professent un retour à la structure et à l’espace. Comme Christian Kerez – bien que leur écriture soit très différente –, ils préméditent des ossatures complexes qui portent, bien sûr, mais savent aussi définir des milieux internes sans avoir recours au cloisonnement. Ainsi, dans le quartier Saint-Blaise à Paris, les trois strates du centre sportif et culturel sont-elles presque protégées par de larges piliers obliques qui maintiennent les dalles à la périphérie. Plus loin, rue Pelleport, les plateaux de logements aléatoirement équipés de baignoires et d’éviers seront scandés de manière presque classique par des piles cylindriques qui rappellent les colonnes de Niemeyer pour le ministère de l’Éducation nationale de Río. Comme si secrètement cet ensemble d’habitations attendait avec impatience une nouvelle affectation. Plus loin, à Caen, la Maison de la recherche et de l’innovation s’offre avec ses trois plateaux vertigineusement libres comme une invocation à de multiples possibles. Visible dès la sortie de la gare, elle donne l’image d’une ville active et résolument ouverte vers l’avenir.

Des constructions qui voient aussi apparaître le retour du rideau, un rideau thermique comme rue Pelleport qui demandera aux occupants de le tirer ou de l’ouvrir en fonction de la température extérieure. Mais cet élément peut devenir beaucoup plus complexe. Comme à Caen, où les stores pare-soleil noirs sont portés à bout de bras par des potences au-devant des façades est et ouest. Tandis que de lourds voiles occultants permettent de cloisonner le premier niveau ou simplement de l’occulter pour des projections ou des spectacles.

On l’aura compris, leur pensée constructive est très différence de celle d’un Pier Luigi Nervi ou d’un Bernard Zehrfuss. Ils parviennent à concilier voire à dépasser l’opposition d’écoles entre Viollet-le-Duc et Semper, comme me le souffle Guy Lambert. Leurs ossatures poétiques se mettent au service de l’espace et savent prendre le relais des parois protectrices.

 

OUVERTURE AUX POSSIBLES

Maison de la recherche et de l’innovation, Caen, 2013-2015

Cet édifice est perceptible dès la sortie de la gare, il se dresse sur l’extrémité de la presqu’île de Caen, là où elle vient toucher le centre historique. Ses 34 mètres de hauteur lui permettent de se distinguer d’emblée des autres objets célibataires disséminés dans le plan paysager de Michel Desvigne : la bibliothèque d’OMA, le palais de justice (Hauvette & Baumschlager Eberle), l’École supérieure des arts et des médias (Studio Milou) et le Cargö, la salle des musiques actuelles réalisée par Olivier Chaslin.

Le maître d’ouvrage réclamait une construction ouverte, offrant des machines performantes et des conseils d’experts aux porteurs de projets individuels ou collectifs cherchant à innover dans le domaine scientifique. Un programme décomposable en trois espaces : rencontres et débats, fabrication des projets (fab lab), résidence des chercheurs invités. Les architectes ont répondu à leur demande en proposant une structure composée de trois plateaux libres d’environ 500 m2, portés au nord et au sud par les circulations verticales et les espaces servants. Ces plateaux en double hauteur, habillés de verre et de coussins ETFE, peuvent accueillir des mezzanines. Ils sont solidarisés par de fines colonnes proches de la façade et composent un bloc autonome détaché du sol pour libérer un vaste parvis protégé rappelant celui de la tour HSBC de Norman Foster à Hong Kong. L’ensemble est couronné par un dôme pouvant accueillir des événements festifs, ouvert sur une terrasse protégée du vent et offrant des vues panoramiques sur le centre historique et la ville en devenir…

Beaucoup de sérieux immédiatement pondéré par la manière désinvolte et magistrale dont est traité ce couronnement : à la fois chapiteau de cirque comme l’avaient promis Lacaton et Vassal sur le toit de leur école d’architecture de Nantes, mais aussi bulle à la Buckminster Fuller ou igloo de Mario Merz…

 

GÉNÉRATEUR D’ACTIONS

Centre sportif et culturel, quartier Saint-Blaise, Paris – 2011-2014

Isolé au cœur d’un véritable amphithéâtre de hautes constructions éclectiques des années 1980, le centre culturel et sportif de Saint-Blaise s’affirme d’emblée comme un événement architectural dans ce quartier parmi les plus denses d’Europe.

C’est un objet énigmatique dont les nombreuses raisons semblent échapper à toute investigation critique. À la fois rationnel – un noyau porteur et des poteaux en périphérie – et totalement baroque, avec ses façades concaves et son attique sombre qui laisse transparaître les trois voûtes qui composent partiellement sa toiture. Les différents éléments de son programme ont été jetés les uns sur les autres – accueil, bureaux, salles de réunion, espace réservé aux arts du cirque – pour lui permettre d’atteindre une hauteur critique et de renverser la relation de subordination au contexte massif et anesthésiant qui semblait insurmontable. Toutes ses activités semblent systématiquement projetées vers les mille regards des occupants des logements qui l’entourent. Ainsi, l’arrivée de lumière zénithale permet, notamment, de rendre parfaitement visible l’activité du dernier étage à travers les larges baies latérales. Ou les couloirs vitrés qui entourent les circulations verticales et transforment le moindre déplacement en événement silencieux. C’est une véritable construction scénographique qui métamorphose ses utilisateurs en acteurs et renvoie aux complexes machineries scéniques imaginées par les frères Vesnine et les constructivistes russes pour changer la société.

 

ESPACE PUBLIC VERTICAL

50 logements sociaux, Limeil-Brévannes – 2008-2013

Ces trois blocs se suivent et esquissent un paravent entre une coulée verte et les hautes barres d’une cité. Ils se détachent du sol pour protéger leurs places de stationnement et maintenir des continuités visuelles entre la ville et la nature.

L’ensemble se caractérise au sud-ouest par de profonds balcons filants, librement appropriables. Équipés de stores noirs, ils s’ouvrent sur l’abondante végétation et le paysage qui descend en pente douce vers la Seine.

Mais l’élément le plus remarquable reste, au nord-est, l’étrange structure qui zigzague devant la construction pour porter les coursives de desserte. Un jeu d’obliques où se conjuguent les poutres qui serpentent et les volées d’escaliers qui montent et qui descendent. Tandis que, à l’intérieur, les appartements traversants enserrés entre coursives et balcons s’organisent rigoureusement selon trois bandes distinctes : pièces humides, circulation, chambres et séjour.

 

CONSTRUCTION EN INSTANCE

25 logements sociaux, rue Pelleport, Paris – 2009-2017

Ce projet de logements est d’abord fascinant par son plan très prégnant. Un plan qui sait faire la transition entre le pignon brutal de la barre des années 1970 limitant l’opération au nord et la déconstruction de Frédéric Borel au sud. Il semble avoir été simplement déduit de la parcelle trapézoïdale prise entre la rue Pelleport qui monte et celle des Pavillons qui descend. Ainsi, il se divise symétriquement en deux triangles tronqués et siamois suivant chacun sa rue, libérant un jardin intérieur en s’ouvrant au sud vers la lumière. Les deux constructions qui en sont issues se développent ensuite différemment pour répondre à leur contexte. La première s’élève jusqu’à atteindre sept étages pour correspondre aux immeubles qui lui font face, l’autre ne semble pas avoir atteint sa maturité et reste plus basse pour ne pas obérer les vues de la première.

En ce qui concerne les logements, on a l’impression en les visitant qu’ils se sont immiscés dans une structure monumentale qui n’avait pas été conçue à l’origine pour eux. Comme ces lavandières peintes par Hubert Robert qui étendent leur linge dans des temples en déshérence. Des colonnes cylindriques portant de lourdes retombées de poutre, complétées par des rideaux aux tons passés, cadrent implacablement Paris qui s’étend au pied de l’ancienne colline du télégraphe de Chappe. Cloisons, baignoires, éviers semblent comme temporairement lancés dans cette superposition de portiques monumentaux qui promettent de magnifiques ruines.

 

CENTRIPÈTE/CENTRIFUGE

Bâtiment des sciences de la vie, École polytechnique fédérale de Lausanne – en cours

Pour ce projet de concours gagné l’année dernière, l’agence s’est associée à Baukunst, de jeunes architectes belges de la même génération avec lesquels elle participe à d’autres compétitions en Europe et réalise une résidence pour étudiants à Saclay. Leur proposition sait parfaitement se fondre dans ce campus constitué majoritairement de blocs rationnels de béton brut réalisés dans les années 1970. Un milieu favorable à proximité du lac Léman dans lequel s’est pleinement développé le Rolex Center de SANAA.

Réservé à l’enseignement et à la recherche en biologie, le programme demandait de nombreux locaux aveugles. Ils ont su répondre par un dispositif concentrique allant de l’ombre à la lumière, un schéma organisationnel pouvant rappeler celui de Louis Kahn pour la bibliothèque d’Exeter. Au centre, les laboratoires de recherche, aux activités incompatibles avec l’éclairage naturel, ensuite une zone intermédiaire réservée aux salles de cours qui s’ouvre en mezzanine sur les doubles hauteurs des espaces de circulation et d’échange périphériques.

Le noyau opaque et centripète s’entoure d’une ceinture centrifuge plantée comme un jardin d’hiver et totalement vitrée sur le campus. Ses panneaux de façade basculent à l’horizontale grâce à de puissants vérins, ce qui renforce encore ce mouvement irrépressible de l’intérieur vers l’extérieur, tandis que les escaliers métalliques viennent se greffer comme autant de prothèses à la masse vitrée en reprenant le modèle des circulations verticales et des espaces servants de l’immeuble de la Lloyd’s de Richard Rogers à Londres.

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