Concours pour le bâtiment d’enseignement mutualisé de l’École polytechnique à Saclay

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/10/2015

Projet de l'agence Chartier-Dalix

Article paru dans d'A n°239


Le concours pour le bâtiment d’enseignement mutualisé de l’École polytechnique à Saclay mérite que l’on s’intéresse à lui. Il symbolise en effet la mutation d’un site, jadis constellé d’écoles d’ingénieurs fermées sur leur propre conception de l’excellence, qui cherche aujourd’hui à favoriser les connexions pour mieux se définir comme une véritable ville des sciences et de la recherche. 

Ce projet condense à lui seul la problématique du plateau de Saclay. Une problématique qui consiste à permettre la mutation d’un site composé d’enclaves jalouses de leur autonomie et régnant sans partage sur leurs vastes domaines immobiliers – notamment l’École polytechnique et Supelec – en une communauté. Et à faire basculer un système fondé sur l’isolement et la compétition dans un autre plus solidaire, dont les mots d’ordre seraient la sérendipité, la mutualisation, la convivialité, l’urbanité.   

 

DU STELLAIRE AU MOLÉCULAIRE 

Le plateau de Saclay, délimité par la vallée de l’Yvette et par celle de la Bièvre, est un territoire agricole. Sa partie sud a été colonisée dans les années 1970 par quelques grandes écoles qui se sont établies à proximité de l’université scientifique d’Orsay. Comme des châteaux protégés par leur parc, chacune de ces institutions est restée isolée dans son domaine, veillant jalousement sur ses privilèges. À cette accumulation de monades s’est substituée une autre politique, visant à urbaniser cette zone. Le plan de Michel Desvigne – associé à Xaveer de Geyter, Floris Alkemade et AREP – prévoit de désenclaver ces institutions et de promouvoir leur assimilation dans les différentes zones urbanisées, tout en conservant la vocation agricole du site. Ainsi, divers quartiers s’égraineront de l’École polytechnique au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), le plus grand des centres de recherche de cette institution. Ils seront desservis par la future ligne 18 du Grand Paris Express. Le modèle de la ville universitaire fait retour et prend la relève du campus américain, il s’agit d’amener de l’urbain dans les interstices entre des équipements universitaires existants et de permettre le passage d’une constellation de pôles autonomes à une structure moléculaire composée de pôles interactifs.   

 

RÉORIENTER 

Le bâtiment de l’École polytechnique d’Henri Pottier terminé en 1976 semble réaliser l’improbable synthèse entre le Capitole de Le Corbusier à Chandigarh et certaines oeuvres de Wright. Il s’affirme comme une strate en lévitation traversée par un cylindre et autour de laquelle les différents services s’organisent de manière cardinale. Au sud, la logistique et les terrains de sport ; à l’est, l’entrée principale connectant directement le parc au réseau routier ; au nord, la cour d’honneur bordée par l’administration qui descend vers un lac artificiel ; à l’ouest, une entrée secondaire et un peigne abritant les laboratoires de recherche. C’est là, devant ces laboratoires, que viendra s’implanter le futur BEM – Bâtiment d’enseignements mutualisés – que l’École polytechnique va partager avec d’autres institutions scientifiques, et notamment les Mines-Télécom, AgroParisTech, ENSTA ParisTech… Il permettra surtout de réorienter le bâtiment, de le désenclaver et de lui accorder une ample interface avec la ville à venir, en s’ouvrant sur un vaste espace public planté et en favorisant l’accès ouest par rapport à l’accès est, connecté au réseau routier. Deux catégories de projets apparaissent nettement : les centrifuges – Fujimoto et Chartier Dalix –, qui s’ouvrent sans entraves sur la ville en imaginant des espaces pédagogiques intégrant hasard et rencontres, et les centripètes – Atelier 2/3/4 et Babin + Renaud – plus classiques et plus refermés sur eux-mêmes.  

 

CANOPÉE 

SOU FUJIMOTO ARCHITECTS, MANAL RACHDI OXO ARCHITECTES & NICOLAS LAISNÉ ASSOCIÉS (LAURÉATS) 

Très clair, le projet de Sou Fujimoto et de ses associés français parvient à donner une image spatiale percutante de la notion abstraite de sérendipité autour de laquelle se structure le programme. Adossées et connectées par des passerelles à l’École polytechnique, les salles de cours banalisées se superposent et forment un volume allongé qui se délite pour être contaminé par les plateaux de rencontre et d’enseignement informel qui semblent flotter au-devant de lui et aller vers la ville. Ces plateaux se découpent pour faire entrer la lumière et se relient entre eux par d’engageantes volées d’escaliers ou même par de véritables amphithéâtres en attente de manifestations spontanées. Ils s’avancent en éventail vers l’espace public planté qui constitue l’épine dorsale du futur quartier. Du sol jaillissent des arbres qui communiquent à travers le mur-rideau avec ceux de l’extérieur et qui renforcent la porosité de l’institution. C’est une véritable vitrine pédagogique capable de retranscrire scrupuleusement la volonté la mutation de l’École polytechnique jadis isolée du monde, comme un château au milieu de domaine, aujourd’hui avide de retrouver des connexions et une interface urbaine. L’origami de la toiture d’abord opaque puis transparent poursuit son déploiement en avant de la façade vitrée pour former un vaste auvent. L’ensemble procure une impression d’apesanteur, de structure nuageuse, que l’architecte japonais parvient à transmettre dans ses constructions comme dans ses installations éphémères, notamment celle que nous avons pu voir l’année dernière dans le jardin des Tuileries à l’occasion de la FIAC.  

 

ZIGGOURAT HORIZONTALE 

CHARTIER DALIX ARCHITECTES, BARTOLO VILLEMARD ARCHITECTURE URBANISME 

 

Très proche de la solution proposée par l’architecte japonais, le projet de l’équipe réunie autour de Frédéric Chartier et de Pascale Dalix ramène le hall et les espaces de travail informel sur la façade ouest pour mieux assurer l’interface avec la ville. Ainsi les salles banalisées s’alignent-elles à l’est, connectées par des ponts aux laboratoires de l’École polytechnique. Elles traversent une membrane active, concentrant les espaces servants, pour se connecter aux coursives de circulation qui se dilatent en dents de scie afin de favoriser les rencontres et les échanges. Ces mezzanines triangulaires se superposent et se décalent. Elles communiquent entre elles à leur pointe par des escaliers intérieurs pouvant faire office de gradins et accueillir des manifestations spontanées. Des escaliers qui se poursuivent au-delà de la façade vitrée pour composer un système de belvédères ouverts sur la ville. Ce dispositif géométrique implacable permet la création d’un très bel objet paradoxal, à la fois fermé et ouvert, mais un rien célibataire : qui descendra de ces trop nombreuses, mais très belles, volées extérieures ? Une organisation rappelant à la fois le Centre Pompidou et sa chenille partant à la conquête des trois dimensions de la ville comme les perspectives fallacieuses d’Escher. Elle donne l’image assez étonnante d’une tour de Babel renversée ou d’une ziggourat horizontale…  

 

FRONT BÂTI 

ATELIER 2/3/4/

 

L’agence 2/3/4 parvient adroitement à combiner désir radical d’ouverture et affirmation de la continuité urbaine. Sa proposition se différencie de celles des deux concurrents précédents qui restaient très unitaires. Ici, elle se fragmente et se hiérarchise autour d’un atrium central desservant quatre barres orientées est/ouest et contenant les salles banalisées. Leurs façades lisses se hérissent de brise-soleil verticaux en quinconce, un traitement qui rappelle celui des nouveaux laboratoires de l’école conçus par Michel Rémon au nord et qui affirme l’unité du front bâti. Les barres se décollent parfois du sol pour donner une impression de flottement. Elles savent coulisser pour permettre au vaste atrium vitré d’être directement visible et accessible de l’extérieur. Une disposition qui a l’avantage d’accorder une épaisseur, voire une profondeur, à ce bâtiment ailleurs traité comme un placard ou un paravent. Le haut volume vertical et son toit spectaculaire, dont la sous-face ressemble à un pliage, contraste cependant très fortement, presque étrangement, avec la rigueur du traitement architectural qui concernent les autres éléments. L’intérieur s’apparente à la salle de lecture d’une bibliothèque et monte en spirale pour desservir salles de cour et amphithéâtres.  

 

ARCHITECTONE 

BABIN + RENAUD 

 

La proposition de Babin et Renaud se distingue par sa volumétrie très affirmée, encore soulignée par le traitement répétitif de son enveloppe. Ce travail sur les pleins et les vides permet de créer un effet de skyline, témoignant de la diversité des enseignements dispensés, et de ménager au rez-de-chaussée des porosités visuelles vers les cours des laboratoires de l’École polytechnique. Les plans s’organisent de manière très conventionnelle. Ils se décomposent en trois bandes. La première accueille les salles d’enseignement banalisé. La seconde, centrale, les zones d’échanges et de rencontres desservies à leurs extrémités par des blocs contenant escaliers, ascenseurs et sanitaires. Ces espaces de convivialité s’ouvrent sur l’extérieur par des terrasses et des loggias. Quant à la troisième bande, elle est scandée de box attendant placidement un enseignement innovant. Les façades se constituent d’une trame en quinconce composée de cadres rectangulaires saillant de couleur bronze foncé. Une grille qui rappelle la cage métallique porteuse conçue par l’agence CAB pour le bâtiment contigu de l’ENSAE. Une réponse de constructeurs qui rend compte du revival de l’architecture des seventies dominant aujourd’hui à Saclay. Et que l’on retrouve avec plus ou moins de bonheur chez Muoto, dans le très beau lieu de vie dont on peut déjà voir le gros oeuvre, chez CAB déjà cité ou Bourbouze & Graindorge et autres AUC plus loin dans le quartier du Moulon. 


Lisez la suite de cet article dans : N° 239 - Octobre 2015

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