Dessine-moi une façade - Concours pour l’extension de l’INA

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 22/02/2017

Projet lauréat de Dominique Lyon pour l'extension de l'INA

Article paru dans d'A n°251

L’INA, ce sigle vient souvent tatouer vos écrans de télévision ou d’ordinateur. Pourtant, les locaux de l’Institut national de l’audiovisuel restent invisibles, contrairement à ceux de France Télévisions ou de TF1 qui se dressent face à la Seine. Reléguée dans une zone d’activités de la banlieue parisienne, cette institution de l’ombre réclame aujourd’hui sa part de lumière et de visibilité architecturale.

L’Institut national de l’audiovisuel a été fondé après la scission de l’ORTF en 1975 pour poursuivre les missions de l’Office en matière d’archivage des émissions de télévision et de radio, de recherche et de production de créations audiovisuelles ainsi que de formation. Il a vu son importance s’accroître lors du vote de la loi du 20 juin 1992 étendant le dépôt légal aux œuvres radiodiffusées et télévisées.

Enfermés dans des studios insonorisés et entourés d’écrans, des techniciens captent les émissions des chaînes de télévision et de radio françaises qu’ils nettoient et enregistrent de manière optimale. Tandis que des robots retranscrivent en permanence la masse d’archives – pellicules, bandes magnétiques, disques en vinyle… – sur des supports numériques. Un matériel ensuite rendu accessible aux professionnels comme au public le plus large, sous formes de CD et de DVD et par la vente directe en ligne.

L’INA est l’incubateur d’une nouvelle culture télévisuelle et radiophonique, d’une nouvelle dimension patrimoniale. Il permet à la télévision et à la radio de se citer elles-mêmes, de plonger à tout moment dans leur propre passé, de revenir à leur origine.

Dès sa création, cette institution est venue s’établir dans la zone d’activités de Bry-sur-Marne en bordure d’un vaste tissu pavillonnaire longeant les méandres de la Seine. Elle occupe un grand bâtiment autistique réalisé dans les années 1970 par Pierre Laborde (1908-1994), l’architecte de l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif, qui se compose de deux ailes de 137 mètres de long. L’une accueille les salles de cours de l’école supérieure de l’audiovisuel ; l’autre, les plateaux et les studios. Ces deux vaisseaux construits en lourds panneaux de béton préfabriqués sont amarrés par des passerelles à un bloc central plus petit et plus bas qui rassemblent l’administration et les archives. L’ensemble a été sporadiquement complété par des adjonctions ainsi que par des parkings de surface et des satellites sans aucune qualité architecturale, notamment le bâtiment de la direction édifié à la fin des années 1980, auquel viennent encore s’ajouter des studios indépendants. Il en résulte un parc immobilier qui témoigne d’une indifférence radicale à l’environnement réel, comme si le véritable espace de référence de l’institution était celui de l’écran de télévision colonisé par les trois lettres de l’INA.

Un péché originel que le concours lancé par l’OPPIC tente de faire pardonner en demandant aux équipes en compétition de proposer une extension capable d’accorder une visibilité architecturale à cet ensemble dépareillé. Le nouveau bâtiment devra « terminer » les barres sans commencement ni fin de Pierre Laborde pour accueillir des équipements ultra-modernes – studios d’enregistrement et data center – et déployer une façade emblématique capable d’en marquer l’entrée avec un parvis et des places de stationnement.

Deux réponses émergent nettement : celle de Dominique Lyon, le lauréat, qui semble suscitée par les exigences du contexte, et celle de l’agence Muoto qui trouve résolument en elle-même, dans la rigueur de son plan, sa propre raison d’être.

 

OBJET

Dominique Lyon (lauréat)

Le projet de Dominique Lyon répond à la hussarde au laborieux programme et s’inscrit d’emblée dans une échelle territoriale. Son extension se soulève à plus de 6 mètres au-dessus du sol sur de hautes échasses et permet le déploiement d’un vaste parvis planté et dimensionné en fonction de l’ensemble des constructions éparses sur le site. Plus qu’une façade, c’est un vide qui est proposé. Un vide uniquement défini par la sous-face d’un baldaquin scandé de fins poteaux cylindriques qui savent prudemment refuser tout effet de colonnade. Quant au parking, il profite de la déclivité du terrain pour glisser en sous-sol sans avoir besoin d’une longue rampe, tout en s’ouvrant sur des cours anglaises creusées de part et d’autre. Sa disparition libère l’espace en surface et permet la poursuite de la coulée verte, le seul élément fédérateur du site, le long de l’avenue de l’Europe.

Deux rotules contenant les circulations verticales assurent l’articulation de la construction existante au nouveau bâtiment surélevé qui prend la forme d’une longue galerie d’un seul niveau. Peu importe le long couloir, il sera scandé par des oculus qui lui apporteront une lumière zénithale. Peu importe la répétition vertigineuse des studios, ils viendront se greffer sur la façade ouest pour permettre syndicalement à chaque poste de travail de bénéficier d’une vue sur la ville pavillonnaire qui s’étend le long de la Seine. Tandis que les espaces annexes se tourneront vers la cour plantée. Enfin, à côté des places de stationnement viendront s’enterrer le cristal du data center et ses robots enregistreurs. Cette merveille technologique inestimable sait s’entourer d’un couloir qui permettra aux visiteurs autorisés, comme à ceux d’un zoo, de l’admirer sous tous ses angles.

La galerie surélevée, avec son capotage lisse et laiteux découpé de transparences, ne livre rien de son intimité. Il s’agit moins ici d’édifier une construction que de produire un objet, qui comme tous les objets qui nous entourent – téléphone portable, ordinateur… – répond à son environnement sans rien trahir de son organisation interne.

 

PLAN

Studio Muoto

Pour le Studio Muoto, contrairement à la proposition précédente, c’est le contenu même du bâtiment – son matériel sophistiqué, ses techniciens hyper-qualifiés – qui doit servir d’emblème à cette zone d’activité qui voudrait concurrencer la Cité du cinéma de Luc Besson à Saint-Denis. Son extension prend la forme d’un U qui vient organiquement se rattacher aux extrémités et au système de desserte de l’ancien bâtiment. Une greffe favorisée pas un choix constructif compatible avec celui de l’organisme hôte. Rigoureusement tramée, la structure en béton proposée – qui rappelle celle du Lieu de vie de Saclay (que nous analysons en p. 124) – possède des liens de parenté évidents avec l’organisation répétitive de l’édifice existant.

Ici, pas d’opacité, mais des poteaux, des poutres et des dalles équipées de stores extérieurs et de plaques vitrées qui savent mettre en exergue la distribution et la destination du bâtiment. Ici, pas de longs couloirs intérieurs, mais une coursive qui suit le jardin et dessert de petites péninsules d’activités éclairées par quatre patios.

On est frappé par la clarté du plan qui sait gérer la diversité des activités et la complexité du programme dans une composition simple qui peut rappeler celle d’un moteur. Il s’organise sur trois niveaux autour des quatre patios couverts et plantés sur lesquels donnent des postes de travail. Tandis que la façade retient l’attention par son insolite terrasse filante en porte-à-faux, qui peut rappeler les coursives désarmées de leurs grues et de leurs monte-charges de certains entrepôts industriels, comme les Magasins généraux de Pantin. Cette aire de repos à ciel ouvert remédie à l’enfermement de certains agents et sait utiliser le léger relief du site pour leur offrir des vues lointaines sur la vallée de la Seine.

Un projet qui flirte dangereusement avec les grandes dystopies historiques – de Piranèse à Rem Koolhaas en passant par Archizoom –, notamment dans ses patios où sont condamnés à travailler des prisonniers (in)volontaires de l’architecture. Des références qui ravissent le critique mais qui ont dû faire très peur au maître d’ouvrage.

 

SURFACE

Chaix & Morel

Plus paresseux et plus disciplinés, Chaix et Morel répondent par à-coups au programme. Ainsi, une barre de trois niveaux se dresse en amont de l’édifice de Pierre Laborde et se cale strictement sur lui. À l’est, un auvent vient renforcer l’articulation de l’extension et de l’existant, tandis qu’un parvis s’étend le long de l’avenue des Frères-Lumière. Un aménagement du sol complété par un parking en zigzag et une aire de livraison.

Quant à l’organisation interne, elle se calque sans originalité sur la distribution de l’ancien bâtiment. Seule caractéristique : la sur-façade en métal finement pixélisée et ses persiennes horizontales qui recouvrent intégralement l’extension et composent une enveloppe parlante. INA, pixels : vous saisissez ? Un procédé qui commence sérieusement à s’essouffler depuis Boullée, Ledoux, Lequeu, ses grands propagateurs du XVIIIe siècle.

 

VOLUME

Raum

Sans être originale, la proposition de l’agence Raum se caractérise cependant par la différenciation entre la façade sur cour et la façade sur avenue. La première présente un profil en forme de corniche, où le premier étage s’élance en porte-à-faux pour déterminer, au niveau du sol, un vaste auvent d’entrée intériorisé ; au dernier niveau, une terrasse plongeant sur la cour plantée. La façade donnant sur l’avenue de l’Europe se compose quant à elle d’une double peau assurant la protection thermique et acoustique des différents lieux de travail. Une césure centrale dessinée par le vide de la circulation verticale vient opportunément diviser ce vaste écran en deux panneaux équivalents.

Ce volume de verre très articulé joue, de plus, sur un effet de mise en abyme en permettant de montrer les lourdes silhouettes des escaliers de bois qui viennent s’y enchâsser.


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

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