Dire et faire autrement l'architecture dans un monde en mutation - Le pouvoir d'agir à l'heure de la transition écologique

Rédigé par Stéphanie SONNETTE
Publié le 17/04/2017

Une capsule d’« Hétérotopia », dispositif participatif de sensibilisation des citoyens à la transition écologique expérimenté à Grande-Synthe.

Dossier réalisé par Stéphanie SONNETTE
Dossier publié dans le d'A n°253

Les mutations écologiques qui impactent aujourd’hui nos sociétés nous imposent de revoir nos manières de penser et de faire la ville et les territoires. Dans ce processus de changement, les citoyens auront un rôle à jouer. Comment, à travers différents dispositifs de sensibilisation et de participation du public, s’autoriser à rêver une ville idéale et en faire l’expérience concrète ? 

Transition écologique, anthropocène, société post-pétrole… ces notions surplombent – et plombent aussi parfois ! – les débats sur la ville. Chacun semble en avoir assimilé les enjeux et les implications, tant à l’échelle mondiale que locale, et s’interroge au cours de multiples colloques et conférences sur les solutions innovantes à inventer pour des villes plus durables, plus résilientes, plus écologiques. Les équipes de la Biennale opèrent un pas en arrière ou de côté pour mettre en débat ces concepts à travers des approches à la fois ludiques, pédagogiques et critiques. Elles convient le public à participer à différents dispositifs de sensibilisation, de réflexion et de constructions collectives : des jeux, un procès, des ateliers… Derrière ces propositions, l’idée que les solutions viendront plus sûrement de collectifs d’acteurs, professionnels et amateurs, publics et privés, chercheurs et praticiens, que des institutions et procédures traditionnelles. Le sentiment aussi que c’est dans les territoires périphériques ou ruraux, fragilisés par les crises, plus que dans les métropoles économiquement attractives, que pourraient émerger des démarches inventives pour gérer plus collectivement et durablement les ressources, les biens et les services. 

 

La transition écologique en jeu 

Jouer pour prendre conscience des impacts de nos modèles de développement urbain sur le territoire, c’est la proposition de Re-générations, jeu de simulation urbaine conçu par une équipe pluridisciplinaire d’architectes, d’ingénieurs et de chercheurs, réunis autour de Studio Akkerhuis architects. Sur un plateau multimédia installé dans la Sucrière, les joueurs, seuls ou en équipe, ont la charge de faire grandir une petite ville imaginaire, un territoire de lisière. Confrontés aux risques et catastrophes qui la menacent, ils doivent se projeter dans le futur en débattant de nouveaux horizons urbains possibles, plus écologiques. Re-générations s’inscrit dans une relecture critique des jeux de simulation urbaine développés dans les universités américaines à partir du début des années 1960, comme CLUG et METROPOLIS, inventés respectivement par Allan Feldt et Richard Duke. Le dispositif fait entre autre référence au World Game de Richard Buckminster Fuller, un grand jeu de stratégie planétaire qui visait à produire des scénarios de développement de l’infrastructure mondiale (transports, commerce, éducation, etc.) pour une gestion plus équitable des ressources et de l’énergie à l’échelle globale. Ce jeu donna lieu à de nombreux workshops pédagogiques accueillant des politiciens, des acteurs de l’aménagement et des étudiants. Sans chercher à soutenir la comparaison, Re-générations propose à Lyon une relecture de ces dispositifs à la fois ludiques et pédagogiques qui ont fait leurs preuves pour produire collectivement de nouvelles visions de la ville de demain. 

 

Expérience atmosphérique de l’habitat du futur 

Autre manière de sensibiliser le grand public aux enjeux de l’habitat écologique de demain, le « Projet habiter » est une installation ludique et spectaculaire, une serre verticale de 13,50 m de haut qui entend proposer au public « une expérience atmosphérique » de ce que pourrait être l’habitat du futur, bioclimatique, ouvert sur son environnement, cultivé. Pour Dimitri Roussel de l’agence Laisné Roussel, ce prototype symbolise « une utopie concrète de l’expérience du vivant à l’intérieur de l’architecture ». La structure de verre et de métal, mise en oeuvre par l’entreprise Marchegay – Mtech SAS, spécialiste des verrières et serres habitables, accueille en effet un « jardin gourmand et chromatique », cultivé selon les principes de la permaculture, suspendu en sous-face des planchers. Deux volées d’escaliers s’entremêlent pour créer un parcours aérien, dont on pourra s’échapper par des toboggans. À l’initiative de cette proposition, Michel Philippon/mpproduction, agence d’architecture, art et design d’espace, a réuni une équipe pluridisciplinaire dans laquelle on compte notamment l’agence Laisné Roussel, remarquée pour ses collaborations avec l’architecte japonais Sou Fujimoto (Canopia à Bordeaux, immeuble en structure bois de 16 étages, l’Arbre blanc à Montpellier) ou l’extension de l’École Polytechnique à Saclay. 

 

De Grande-Synthe à Lyon, dire et faire l’expérience de la vile en transition 

Créé à Grande-Synthe par Stéphane Juguet et What Time Is I.T., le dispositif Hétérotopia est une exposition montée avec le public autour de la notion de transition écologique. Dans cette ville en crise, récemment engagée dans le réseau « villes en transition1 », comment les habitants peuvent-ils s’emparer de ces concepts, en parler, en débattre, se projeter et imaginer des solutions ? La démarche mise sur « le pouvoir d’agir et l’ingéniosité populaire, pour passer du dire (le récit sur la ville en transition) au faire (la fabrique du changement) ». À Grande-Synthe, elle a d’abord consisté à faire parler les habitants sur ce que pourrait être cette ville en transition. À partir de ces récits, une « capsule » a été construite, dans laquelle on peut s’immerger dans une ville en miniature, incarnation de ces imaginaires, maquette idéale d’un monde idéal, qui met en scène des solutions pour lutter contre les effets du réchauffement climatique : éoliennes, capteurs solaires, ferme urbaine, systèmes d’échanges locaux, coopératives, voitures électriques, station hydrogène… Autour de cette capsule, quatre « satellites » traitant de différents thèmes (bâtiment, emploi, transports, alimentation) servent de support à la coconstruction de prototypes en ateliers avec les habitants. La question de l’appropriation de la notion de transition écologique se pose-t-elle de la même manière à Lyon, dans une métropole économiquement attractive, qu’à Grande- Synthe ? Oui et non, répond Stéphane Juguet. « Grande-Synthe subit de plein fouet les flux migratoires, la désindustrialisation, la mondialisation. 26 % des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le contexte est donc très différent, mais je suis convaincu que la question fait débat à Lyon aussi. La transition énergétique pose la question de la mondialisation et de la capacité à intervenir à l’échelle des grands territoires, les métropoles doivent donc aussi être engagées et investies dans ces logiques. Je pense pourtant que les solutions de demain ne vont pas se trouver uniquement dans les territoires métropolitains, trop confortables et de plus en plus homogènes, mais plutôt du côté des lignes de front, là où le FN fait plus de 50 %, dans des espaces qui, pour surmonter leur situation de fragilité, seront obligés d’être beaucoup plus innovants. » 

 

La vile écologique en procès 

Comme on a pu « faire le procès » de la modernité et des grands ensembles à partir des années 1980, la proposition des étudiants du master Ville et environnements urbains de l’université de Lyon et du laboratoire d’Excellence Intelligences des Mondes Urbains, accompagnés de plusieurs enseignants et praticiens, entend mettre en scène celui de la ville écologique et des visions qui y sont associées. Avec l’idée que l’écoquartier, figure dominante, institutionnelle et labellisée de la ville écologique, pourrait masquer d’autres formes d’initiatives et d’improvisations, d’autres modes de vie que les citoyens seraient en capacité d’inventer eux-mêmes. Avant que ce vrai-faux procès en costume ne se tienne à la Sucrière, avec ses magistrats, ses avocats, son public, ses (vrais) experts conviés à la barre et un jury populaire qui rendra son verdict, deux étapes préalables permettront d’alimenter les débats. Une enquête menée par les étudiants du master au début du mois d’avril auprès d’une vingtaine d’habitants de l’éco-quartier Confluence à Lyon interrogera « les perceptions et vécus, les représentations et les croyances des habitants sur ce quartier censé incarner l’avenir écologique de nos villes ». Puis, fin mai, une conférence de citoyens réunissant une vingtaine d’habitants de différents quartiers plus ou moins « éco » de la métropole, s’appuyant sur des expériences quotidiennes, esquissera les contours d’une proposition citoyenne de ville écologique comme utopie concrète. Enfin, le procès lui-même confrontera ces différentes visions, l’une vantée par les pouvoirs publics (descendante), l’autre comme une réalité vécue par les habitants, qui donne à voir des alternatives (ascendante), pour tenter de mettre en lumière les compromis possibles.

 

1. Le réseau des villes en transition est un mouvement social qui rassemble des groupes animant dans leur commune une initiative de transition, c’est-à-dire un processus impliquant la communauté et visant à assurer la résilience de la ville face au double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique. 


Lisez la suite de cet article dans : N° 253 - Mai 2017

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