D'un projet d'immeuble Avenue de France et de quelques difficultés qu'il a fallu surmonter

Architecte : Jean et Aline Harari Architectes
Rédigé par les architectes
Publié le 30/11/2017

CONCEPTION

 

Bibliothèque Nationale de France, dans un immeuble de 12 étages et reposant sur l’infrastructure enjambant les voies ferrées de la gare d’Austerlitz, représente à biens des égards une gageure architecturale, une sorte de défi dont le résultat n’était pas par avance assuré.

Le cahier des charges du lot T7B1, établi par Pierre Gangnet, urbaniste de cette partie de la ZAC Seine Rive-Gauche, très directif, indiquait les volumes généraux et les épannelages, les emprises au sol et les débords autorisés ainsi que les descentes de charges en chaque point précis sur lesquels elles devaient être appliquées.

Le profil même en dos d’âne des 3 méga-poutres franchissant la tranchée SNCF entre l’avenue de France et la rue du Chevaleret, orientait très fortement la conception des plans et les dispositifs distributifs des logements.

L’obligation de réduire le poids global de l’édifice a conduit à opter pour des solutions d’enveloppes légères introduites dans un squelette en béton.

Voilà comment au moment du concours étaient présentées les intentions architecturales du projet:

« L’architecture de l’immeuble ne recherche pas d’effet formel particulier mais le matériau d’enveloppe dont il est constitué lui conférera une identité forte qui, dans le concert d’architectures singulières qui constitue son environnement, voudrait fonctionner comme un point d’orgue discret mais repérable par sa couleur, sa texture, l’élégance de son dessin, les proportions de ses percements, la vibration et les nuances chamarrées de son épiderme.»

Le choix de mettre en oeuvre des feuilles de cuivre Brass, matériau dont la particularité est de se patiner en quelques mois, perdant sa teinte claire et brillante d’origine pour des nuances de bronze de plus en plus soutenues, confère à l’édifice une image à la fois singulière mais changeante et évolutive, riche de multiples effets chromatiques, reflétant et absorbant la lumière naturelle, vifs ou ternes selon la couverture nuageuse, l’heure de la journée ou l’orientation de la façade. Mais cette qualité inhabituelle pour un édifice résidentiel et sa visibilité initiale ne doit pas dissimuler les questions multiples que ce projet a du affronter et résoudre, dans le souci premier de réunir les meilleures conditions d’habitabilité et d’appropriation tant des logements proprement dits que de l’ensemble urbain qu’ils constituent.

Conformément aux intentions urbaines qui les associent par paires, tous les immeubles s’apparentent à des toursplots, indépendants de leurs voisins mais regroupés en une entité commune qui les associent de part et d’autre d’une cour-jardin partagée qui gère les accès vers les halls. Rampes et emmarchements permettent de rattraper le niveau supérieur de la plateforme principale à partir des 2 voies qui le bordent.

La proximité entre les immeubles, entre 6 et 8 mètres au plus, induit des solutions de plan qui permettent d’échapper aux trop forts vis-à-vis et de rechercher des vues obliques ou latérales. Le périmètre de l’immeuble est ainsi déterminé par la recherche des meilleures échappées visuelles vers les confins du XIII ème arrondissement au sud et au sud-ouest et vers le nord-est au-delà de la Seine et de la BNF.

Au sud-est, au-dessus de la cour-jardin lorsque l’immeuble en vis-à-vis se retire pour laisser place à la crèche qui occupe ses niveaux inférieurs, de longs balcons filants bordent les séjours et les chambres, striant le corps principal de la façade de longs bandeaux horizontaux.

A l’inverse, la façade opposée qui borde la voie nouvelle et où se trouve le hall d’accès aux bureaux, présente dans sa partie centrale un ordonnancement vertical et plan, encadrée par deux têtes où se retournent les bandeaux filants et profonds des balcons.

La distribution des niveaux supérieurs, au-dessus du rez-de-chaussée commercial et du premier étage de bureaux, s’effectue par 2 noyaux de circulation verticale, distribuant 4 et 5 logements par palier respectivement. L’éclairement naturel des paliers est assuré à chaque niveau par deux échancrures qui fragmentent le volume de l’édifice sur toute sa hauteur. Ainsi peut-il être lu comme l’articulation de hauts parallélépipèdes, séparés par des retraits, eux-mêmes induits par

l’organisation des logements et la recherche des meilleures orientations possibles de leurs baies.

Les plans de logements s’astreignent à leur procurer les qualités de confort et d’usage du plus haut niveau: les cuisines sont éclairées en premier jour et constituent à chaque fois des espaces propres, indépendants bien qu’en rapport direct avec les salles de séjour dont les proportions s’approchent de celles du carré. Situés dans toute la mesure du possible aux angles de l’immeuble afin de bénéficier de deux orientations, ceux de la partie centrale forment avec la cuisine une séquence traversante d’une façade à l’autre.

La plupart des appartements bénéficient de balcons d’angle ou filants sur lesquels s’ouvrent amplement séjours et chambres.

Dans les niveaux supérieurs (R+9 à R+11), lorsque les logements n’occupent plus que le volume le plus haut, les typologies varient, offrant une quatrième façade surplombant le jardin partagé du 9 ème étage.

Le jardin aménagé en terrasse du R+9 est affecté à l’usage des résidents. Il comporte un potager, des parterres d’agrément, un parcours sur caillebotis et, au centre, un pavillon doté d’une terrasse sous une pergola, d’une grande table et d’une salle commune, la sortie d’un des 2 escaliers et divers locaux techniques. La vue sur Paris est ici complètement dégagée, invitant à l’observation du vaste panorama environnant et à la détente.

La cour commune qui sépare et distribue les 2 immeubles de l’îlot, qui sur l’avenue de France ne sont séparés que par un vide de 6 m., épouse le profil en dos d’âne des méga-poutres qui franchissent les voies ferrées. Rampes et emmarchements revêtus de granit bleuté, permettent de rejoindre les halls. Des jardinières, plantées, d’arbres de hautes tiges et de massifs buissonnants, occupent les interstices laissés par le dessin de ces circulations. Le pied de l’immeuble est longé par une galerie qui conduit aux locaux communs, protégée par le surplomb du niveau 2 et par un claustra vertical en bois.

La façade des deux premiers niveaux qui unifie rez-de-chaussée commercial et étage de bureaux, ceinture tout l’édifice d’une alternance de grands châssis fixes et d’ouvrants étroits en retrait, finement encadrés par des profils aluminium de teinte oxydée rougeâtre.

La cour commune, de même que le jardin suspendu, sont des lieux domestiques partagés, généreusement aménagés pour valoriser les parties collectives de l’immeuble, inviter les résidents à y séjourner et accroître leur sentiment d’appartenance.

Dans le contexte urbain de ce quartier où les intériorités (cours et jardins résidentiels) sont rares et problématiques, de tels espaces sont indispensables pour rendre habitable un univers où dominent la minéralité et l’anonymat des parois verticales de l’architecture tertiaire.

L’accès à l’étage des bureaux s’effectue à partir de la voie nouvelle au centre du bâtiment, par un hall en double hauteur et un escalier dédié. Arrivé sur la plateforme supérieure les 2 plateaux de bureau sont distribués par une galerie ouverte sur le hall. C’est également à ce niveau que se situent, autour des noyaux de circulation verticale, les caves affectées aux logements.

 

CONSTRUCTION

 

Les solutions constructives ont été tributaires du caractère artificiel du sol sur lequel repose cet immeuble.

Pour franchir la tranchée SNCF des voies Austerlitz, la SEMAPA a fait réaliser sur l’emprise de l’opération 3 méga poutres en béton armé, qui déterminent 3 files porteuses sur lesquelles doivent descendre les charges verticales en X points précis.

Entre la base des superstructures (poteaux ou voiles) et ces poutres principales, sont insérées des boites à ressorts qui les désolidarisent et amortissent les vibrations transmises par les ouvrages ou le volume libre dans lequel circulent les trains. Ces dispositifs encombrants et le profil des poutres principales ont orienté fortement l’organisation du plan, tant au rez-de-chaussée qu’aux étages. Les bâtiments ainsi élevés sur ces infrastructures ne comportent donc ni sous-sol ni parking enterré. Une galerie technique court néanmoins entre deux des poutres et ramassent tous les réseaux depuis ou vers l’avenue de France ou la promenade plantée qui longe en contrehaut la rue du Chevaleret.

Les charges admissibles en chaque point d’appuis prescrit impliquent d’alléger au maximum les poids de l’édifice et de le répartir au plus près des localisations prévues par les concepteurs de l’infra. Dans ce contexte toute la structure est soumise à des mouvements qui doivent être modélisés de façon dynamique et itérative.

Dès le concours, quelques incongruités apparaîtront dans les hypothèses retenues par l’aménageur pour évaluer et répartir les charges. Elles conduiront à adopter des dispositions curieuses pour déplacer les efforts vers des positions compatibles et à en décharger d’autres dont les capacités de reprise apparaissaient insuffisantes.

La recherche de légèreté a conduit très tôt à écarter les solutions habituelles « tout béton» au profit d’une construction mixte qui ne conservait en béton que les éléments indispensables, verticaux porteurs et planchers. L’enveloppe serait réalisée en ossature bois à isolation répartie et revêtue d’un matériau léger, bardage bois ou feuilles métalliques.

La réglementation applicable aux immeubles de 4 ème famille au moment du concours (2012) prohibait les revêtements bois en façade. Le bardage cuivre fut rapidement retenu pour ses qualités de durabilité et d’aspect, ses teintes changeantes et la patine bronze qu’il acquiert avec le temps. Ce matériau devrait permettre de revêtir toutes surfaces extérieures, verticales et horizontales. Des raisons d’économie et d’usage conduiront à ne le remplacer que pour les parois en retrait des balcons filants et la face arrière des garde-corps pleins. Le type de joint entre feuilles de cuivre et le profil des déflecteurs d’interruption de la lame d’air firent l’objet d’un travail de mise au point particulièrement poussé. Toute l’enveloppe fut soigneusement calepinée à partir de la largeur utile des feuilles de cuivre, soit 90 cm. Des éléments perforés furent introduits pour certains garde-corps et quelques trumeaux.

Les châssis de fenêtres disposés dans le plan des façades revêtues de cuivre sont en bois-alu de teinte bronze pour disparaître à terme dans la teinte générale de l’enveloppe.

Les portes-fenêtres ouvrant en retrait sur les balcons sont en mélèze et se combinent avec les parties pleines en panneaux d’Eternit couleur beige dont sont également fabriqués les volets coulissants.

La hauteur de l’édifice étant rigoureusement limitée à 32 m. (compris toutes émergences et hypothétiques gardes-corps de sécurité) sa partie la plus haute de R+11 comportant les appareils d’extraction et les édicules d’ascenseurs, a reçu une toiture à pente inversée vers l’intérieur couverte en zinc, supprimant de plus un plancher béton et contribuant à alléger la construction. Tous les appareillages et les conduits de ventilation peuvent ainsi être dissimulés, en particulier à la vue surplombante des tours de la BNF.

Les installations techniques et les conduits débouchant au R+9, niveau accessible du jardin partagé, sont dissimulés sous les caillebotis et dans les locaux annexés au pavillon d’agrément.

Les grands châssis du mur-rideau du rez-de-chaussée et du R+1 sont réalisés en profil alu Raico, raidis coté intérieur par des montants en lamellé-collé de hêtre et des tirants en acier. À l’étage des bureaux, des ouvrants étroits et hauts s’y intègrent, en net retrait du plan principal des grandes parties fixes qui offrent vers l’intérieur de longues tablettes filantes. Très largement vitrés sur toute leur hauteur, ces deux étages de soubassement sont d’une autre facture que celle des étages supérieurs de logements et participent à l’identification de leur destination différente.



FICHE TECHNIQUE

Maître d’ouvrage :

Immobilière 3F - Groupe Action Logement

Maitrise d’oeuvre:

Jean et Aline HARARI Architectes

Yannick Issaly, architecte chef de projet

Alice Chotard, architecte assistant

BET tce: STUDETECH 

Paysagiste: Atelier D’ici-Là

Entreprise Générale: Leon Grosse

Concours: 2012

Livraison: 2017

 

Programme

• 75 logements (38 PLUS/ 13 PLAI / 24 PLS)

• 5 Studios / 22 T2 / 22 T3 / 26 T4

• 600 m² d’activité au R+1

• 2 commerces à rdc

• Un jardin partagé sur la terrasse R+9 à l’usage des locataires,

accompagnement pendant 1 an par Topager

• Label : Plan Climat ville de Paris ; H&E Option Performance

Coût de construction 10 218 932 € H.T

1 710 € H.T/m² utile

Financement (logements sociaux uniquement)

Subvention de l’Etat +Ville 31%

Subventions Région 3%

Participation d’Action logement et CIL 14%

Prêts de la CDC 42%

Fonds propres 10%

Loyers

•PLAI : 7,16 € / m² SU valeur 2017

Exemple (charges comprises) : T4 PLAI : 820 €

• PLUS : 8,03 € / m² SU valeur 2017

Exemple (charges comprises) : T3 PLUS : 677 €

• PLS : 13,06 € / m² SU valeur 2017

Exemple (charges comprises) : T2 PLS : 689 €

-<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine -<br/> Crédit photo : MERCUSOT Antoine Plan masse RDC Plan d'étage courant Plan R+9 Coupe horizontale Coupe verticale Élévation

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