Éric Sempé, l’arpenteur

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 08/11/2010

Eric Sempé

Article paru dans d'A n°195

Éric Sempé doit être un incurable optimiste : il compte toujours sur la réalité pour augmenter encore la force d'un bâtiment. Et cet inlassable visiteur de l'architecture ne se prive jamais de prouver par l'image la justesse de son postulat.

C'est une photographie faite de reflets, de plans superposés. À première vue, on reconnaît les contours du porche d'un immeuble haussmannien. Au fur et à mesure qu'il s'attarde dans l'image, l'Å“il découvre en arrière-plan des volumes plus épurés, pour finir par identifier un fragment de ce qu'il sait être le musée des Arts premiers de Jean Nouvel. Un point de vue inédit du bâtiment à travers le portail d'un immeuble de l'avenue de la Bourdonnais recueilli par Éric Sempé. Ce photographe sait que la réalité possède toujours le potentiel inépuisable de renouveler le regard : « C'est toute la richesse de la photographie qui se révèle dans ce type d'image. Tous les éléments sont là, il n'y a plus qu'à les saisir, et le photographe n'a pas grand-chose à faire tant le réel est généreux. Il suffit d'aller se promener et d'être réceptif à ce que l'on peut voir au fil de la déambulation. J'aime cette idée d'être une sorte d'arpenteur Â», explique-t-il.

Il ne faut pas se tromper sur les motivations d'Éric Sempé, qui s'applique avant tout à traduire en images les intentions de l'architecte. « Avant de réaliser mon reportage sur le musée du quai Branly, j'avais lu les textes où Nouvel relatait sa volonté de recréer une sorte d'abri au milieu des bois et de travailler sur la sensation de la clairière qui apparaît derrière un feuillage. C'est d'abord ce que j'ai cherché à restituer. Mais on peut raconter un lieu sans s'interdire ces clins d'Å“il qui s'offrent à la vision, tel celui du musée apparaissant à travers une série d'éléments qui agissent comme des filtres successifs. Il est même important de les proposer dans un reportage, car ce sont peut-être ces images qui favorisent la réflexion, qui aiguisent la curiosité. Â»

S'il refuse la facilité de l'abstraction, considérant qu'une photographie d'architecture doit avant tout informer sur le bâtiment, Éric Sempé admet facilement jouer sur la dimension trouble de la photographie, « capable de mélanger plusieurs réalités par son côté bidimensionnel Â». La frontalité, récurrente dans nombre de ses images, tisse une relation ambiguë entre les différentes parties d'un bâtiment, déconstruit et reconstruit l'espace : « La grande force de la photographie, c'est sa bidimensionnalité, qui permet d'aller jouer sur des ruptures d'échelle, de juxtaposer des éléments qui vont soudain acquérir une force du fait de leur proximité. Comme le jeu avec les reflets, que l'on pourrait apparenter à un travail de calque. Toutes ces images viennent raconter une histoire qui serait un peu l'histoire de la ville, avec ses couches, une archéologie urbaine constituée de trames qui se superposent les unes aux autres. Â»

 

L'art du placement

Formé à la photographie, Éric Sempé a travaillé quelques années comme éditeur dans de grandes agences de presse (Sipa, Sigma), avant de revenir derrière l'objectif au service de SEM, de bureaux d'études ou d'agences d'architecture. Dès ses premières commandes – le suivi du chantier de reconversion de la blanchisserie de Clamart en médiathèque –, il a l'occasion de travailler sur la longue durée. Une chance pour celui qui, à la bidimensionnalité de la photographie et à la tridimensionnalité de l'architecture, ajoute une quatrième dimension, celle du temps. Une dimension atteinte à la seule condition de se mettre à l'entière disponibilité du bâtiment : « Beaucoup de personnes peuvent faire des images d'un chantier, comme un conducteur de travaux, comme l'architecte qui suit l'avancement de son Å“uvre. Mais être photographe, c'est se mettre au service de ce qui peut se passer. Quand je suis sur un site, je suis toujours attentif à ce que le réel peut m'offrir, alors qu'un chef de chantier a mille autres choses à penser qu'à trouver ces moments, ces angles et ces lumières qui racontent l'histoire particulière du bâtiment. Â»

Un exercice d'observation qu'il a répété durant deux ans, en suivant l'évolution du secteur Seine Rive Gauche pour le compte de la Semapa. Le travail sur l'architecture a pris alors une dimension plus territoriale, la photographie de bâtiments devenant celle de paysages urbains, au sein d'un quartier pris simultanément dans plusieurs temporalités. Les immeubles finis côtoyaient les chantiers, les infrastructures souterraines surgissaient ponctuellement dans l'ordre lisse de ce nouveau quartier. Restituer ces télescopages a nécessité un travail minutieux de placement : « Il fallait chercher l'endroit où l'on pouvait voir la cheminée de la Sudac entre deux îlots, pour prendre conscience de tout ce mélange, voir ce qui est resté, ce qui a été rénové, percevoir le collage qui fait aussi ce lieu. Â» La justesse du récit photographique se joue parfois au millimètre, entre la collision de deux lignes, de deux textures, de conjonction entre une ouverture et une lumière : voir l'architecture est un travail de précision…

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