Flex office : quelle place pour l’usager ?

Rédigé par Karine DANA
Publié le 22/05/2017

Exemples d’aménagements en flex office : espaces de réunion proposant différentes postures (canapé, siège de bureau, siège de bar).

Dossier réalisé par Karine DANA
Dossier publié dans le d'A n°254

Depuis vingt ans, les organisations des entreprises et les manières de travailler ne cessent d’évoluer. Toutes les sociétés tendent maintenant vers un discours commun : il faut augmenter les interactions entre les personnes, accroître la covisibilité tout en préservant les besoins d’intimité des usagers et en répondant aux nécessités de mobilité et de changements de postures.

Cette tendance va de pair avec un nouvel engouement pour le « flex office », très fort en France depuis ces trois dernières années. Venue du nord de l’Europe, elle renvoie à une tout autre manière de travailler, beaucoup plus collaborative, créative, stimulée. Ce passage vers le « bureau flexible » définit un nouveau rapport à l’espace. Le bureau individuel disparaît au profit de postes de travail polymorphes et non attribués qui peuvent recouvrir la fonction réunion, table collective, travail au téléphone, visioconférence, détente, vis-à-vis, etc. Ces changements de considérations exposent l’usager à de toutes nouvelles situations qui peuvent se révéler très perturbantes. Il faut alors lui fournir de nouveaux repères et moyens de contrôle au sein d’espaces où s’entrechoquent de nombreux flux, où le territoire a perdu ses limites et son potentiel d’appartenance. Comment penser les conditions d’un « bien-être » dans les espaces de travail flexibles ? C’est ce que nous avons demandé à Marion Toison, Workplace Strategist chez Haworth, Thomas Roul, spécialiste de la psycho-acoustique chez Ecophon et François Darsy, End-user Marketer for Office & Industry chez Philips Lighting France, à l’occasion d’une table ronde qui s’est tenue lors du salon Workspace Expo 2017.

 

D’A : DANS VOS CHAMPS D’INTERVENTION RESPECTIFS, QUELLES PROBLÉMATIQUES SOULÈVE L’IDÉE DE FLEX OFFICE? 

 

Thomas Roul : Du point de vue de l’acoustique, les « espaces flexibles » doivent relever un double défi. Le premier porte sur le contrôle à donner à l’utilisateur sur son environnement sonore, et le second sur la prise en compte de la dualité des tâches. En effet, de plus en plus de collaborateurs travaillent collectivement. Or plus on interagit, plus on a besoin de s’isoler pour construire ses idées, pour prendre du recul. Il y a donc une cohabitation à trouver entre les forts besoins de communication, qui génèrent une activité bruyante, et les grands besoins de calme. Le défi pour nous est de comprendre comment cette flexibilité des tâches et des personnes peut se refléter dans le traitement et l’environnement sonore au sein de l’espace de travail. Et pour garantir le bien-être dans un espace flexible, il faut bien sûr penser l’éclairage, le mobilier et l’acoustique dans un même temps. Nous devons sensibiliser nos clients à cela. 

 

Marion Toison : Dans le cadre de l’aménagement de bureaux flexibles, la relation de l’utilisateur à l’espace se modifie radicalement ; le mobilier dépasse le cadre de l’objet car il est au centre d’usages innovants. Il devient alors le support de nouveaux scénarios de travail, beaucoup plus diversifiés. Nous sortons de la logique du bureau bien à soi pour développer une panoplie d’endroits qui sont à soi et à tous. Le rapport à l’espace passe d’individuel à collectif. Dans cette optique, comment contribuer à recréer un lien à l’espace de travail – beaucoup plus diffus – et à redonner du contrôle individuel dans un milieu collectif ? Au-delà de prendre en compte, de manière assez mécaniste finalement, les activités et organisations des entreprises, nous travaillons également sur l’axe du ressenti par rapport à l’espace. Comment se sentir bien dans cette logique de perte de territoire ? C’est la question clé : il faut aujourd’hui assurer le confort psychologique et émotionnel des collaborateurs. 

 

François Darsy : Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins en matière d’éclairage. Nous vivons une petite révolution technologique avec l’arrivée de la LED qui invite à changer les installations et les équipements. Ce changement est l’opportunité de doter les bâtiments d’une infrastructure d’éclairage évolutive et connectée qui permet la flexibilité des espaces et de délivrer des services aux usagers. Philips propose des solutions qui offrent à l’usager la possibilité de moduler ses ambiances, selon son ressenti, mais qui fournissent également des données liées à l’occupation d’un lieu, à son usage. À chaque point d’éclairage peut en effet correspondre un capteur, chaque luminaire étant ainsi utilisé comme une balise pour indiquer précisément où le collaborateur se situe afin qu’il bénéficie d’informations localisées attachées à ses besoins en matière d’espace disponible, de personnes et services à proximité. Ce raisonnement est le fondement de la technologie Li-Fi (information par la lumière), qui en est encore à ses débuts et s’accorde parfaitement avec ce que recouvre l’idée de flex office. 

 

D’A : COMMENT ACCOMPAGNER LES ENTREPRISES DANS LEUR MUTATION VERS DES ESPACES FLEXIBLES ? 

 

M.T. : Il s’agit pour commencer de les encourager à se questionner sur la manière dont elles veulent travailler demain. Certaines évoluent dans un espace de travail cloisonné et optent pour une organisation en aires flexibles pour de seules raisons d’économies. Elles y voient une manière de réduire leur surface, ce qui est certes légitime, mais elles commettent une erreur de fond. Le passage d’une organisation en bureaux individuels à flexibles engage de toutes nouvelles manières de travailler, beaucoup plus collaboratives. C’est une transformation profonde dans le monde du travail, qui suppose d’accepter certaines prises de risque. Les entreprises doivent notamment impliquer leurs collaborateurs et leur donner ainsi un certain pouvoir. Elles doivent être capables de remettre en question leur structure organisationnelle, leur manière de travailler, leur rapport à l’espace et à l’autre. C’est une étape délicate qui doit être accompagnée, et toutes les sociétés n’ont pas le même niveau de maturité pour aborder cela. On peut opter pour une transformation radicale ou choisir d’apprendre en marchant dans un aménagement d’espace « organique », en version bêta permanente. D’une manière générale, l’espace de travail est difficilement prédictible et nécessite d’être ajusté constamment. Toute la gageure est d’aider les clients à cerner la nature du saut qu’ils souhaitent opérer et à être clair dans le discours qu’ils vont avancer vis-à-vis de leurs collaborateurs. Ce qui se joue dans le passage à l’espace flexible est la transformation d’une entreprise, son évolution culturelle. Pour y parvenir, on peut utiliser des outils de dialogue, des enquêtes en ligne pour décrypter quelles tendances sont en jeu dans l’entreprise et comment elle veut travailler demain. L’entreprise veut-elle se projeter dans une organisation plus souple ? Doit-elle sortir d’une situation d’introversion pour se reconnecter à la concurrence extérieure ? Cette transition culturelle importante implique de formes de management différentes et de nouveaux comportements pour les employés. Elle peut s’opérer plus ou moins en profondeur. C’est pour cela que le cadrage des objectifs est capital : mettre en relation la stratégie d’entreprise, la culture qu’elle revendique pour décider quel espace peut en découler. Pour accompagner les entreprises dans cette mutation, il faut également les aider à s’ouvrir aux possibles, les encourager à visiter des aménagements, à observer comment d’autres sociétés sont installées. 

 

T.R. : Le passage des entreprises à l’espace flexible représente un changement majeur. Or beaucoup de frustrations se cristallisent autour de l’environnement sonore, car nombre de sociétés ont des exigences et des problématiques très fortes par rapport à l’acoustique mais n’en prennent conscience qu’en chemin, et parfois trop tard. Accompagner le passage d’une entreprise au flex office nécessite un travail d’introspection important afin qu’elle comprenne de quel environnement sonore elle a réellement besoin. Le cadre juridique et légal lié à l’aménagement des espaces de travail impose certes des normes et des valeurs, mais celles-ci sont les mêmes pour toutes les sociétés. Or pour prétendre à un confort acoustique, c’est-à-dire à une bonne adéquation entre les aménagements, les activités et les personnes, il faut se poser des questions qui dépassent le strict champ de la physique. Quelle est mon activité et quelles sont mes tâches ? Qui sont mes collaborateurs ? Comment s’organiser ? Quelles sont nos contraintes ? Voici quelques points clés qui permettent de réfléchir à un aménagement et à un traitement acoustique spécifique. Chaque entreprise a besoin d’un environnement sonore adapté et singulier. Et pour le déterminer, une étude individualisée doit être effectuée en amont, afin d’éviter les surcoûts ou de rester à distance des besoins des utilisateurs. La qualité du dialogue entre l’entreprise et ses collaborateurs est donc très importante pour réussir un aménagement de flex office. Montrer que l’on s’intéresse au confort acoustique permet d’impliquer les utilisateurs. Or, par manque de communication, ceux-ci ne voient pas forcément ce qu’ils vont gagner et gardent en tête ce qu’ils perdent. Les entreprises ont encore beaucoup de progrès à faire pour communiquer avec leurs équipes. 

 

D’A : QUELS MOYENS DE CONTRÔLE SONT DONNÉS AUX UTILISATEURS DANS LES ESPACES FLEXIBLES ? 

 

F.D. : Le mouvement vers le bureau flexible va de pair avec le mouvement vers le digital. Notre environnement quotidien est lui aussi de plus en plus flexible. Suivant cette double tendance, il est important de défendre une culture du choix. Le principal critère de satisfaction personnelle au travail revient à bénéficier d’un contrôle sur son environnement et sur l’endroit où l’on va travailler. Cette liberté de choix est une évolution de société assez fondamentale. On peut offrir ces possibilités à un utilisateur en urbanisant l’espace de travail qui sera mobile, diversifié, attractif, et ainsi le guider dans les espaces et lui délivrer des services. Il faut bien comprendre que l’espace de travail n’est pas déconnecté de l’espace digital, ni de l’espace domestique, ni de l’espace public : il s’agit d’un espace continu. Nous devons faire en sorte que cet environnement puisse être ajusté en permanence. Avec les entreprises OVG et Deloitte, nous avons travaillé sur le projet de réaménagement du bâtiment The Edge à Amsterdam, et nous avons développé une solution 100 % flex, mais progressive. L’occupant est arrivé avec ses 1 700 employés et il a graduellement transformé une partie de ses espaces en flex office. Cette progressivité a permis de tester certaines limites et de parvenir à loger 2 700 employés sur un même site. Cela suppose que l’entreprise ajuste ses besoins en permanence et se demande quel espace pourra être flex et quel autre ne le sera pas. Jamais figée, la limite évolue selon les usages et les métiers de l’entreprise. Dans ce bâtiment, le réseau d’éclairage est utilisé comme un hub. Il permet d’agir également sur la qualité de l’air, ou encore d’optimiser les heures de ménage en fonction de l’occupation réelle des salles. 

 

M.T. : Dans une organisation traditionnelle, la prise de contrôle est liée à un poste et un espace individuels : j’ai mon bureau à moi. Dans un espace flexible, la prise de contrôle de l’utilisateur relève de nouvelles possibilités de choix : au regard de ce que je vais faire aujourd’hui, où vais-je travailler et où serais-je le mieux pour le faire ? Ce nouvel espace de liberté signifie aussi qu’on peut se réunir quand on veut, spontanément. J’ai accès à de nombreux espaces de natures différentes, plus ou moins propices à la concentration, j’ai accès à de nombreuses postures variées. Je peux être debout, assis, à hauteur standard, en posture lounge, je peux régler mon poste de travail, choisir une atmosphère avec un niveau de couleur chaude ou froide… Le contrôle sur l’espace devient un sujet très vaste et renouvelé. On peut le vivre comme une contrainte ou comme une vraie chance. Un espace devient un outil à disposition pour donner le meilleur de soi. 

 

T.R. : L’un de nos grands challenges est d’expliquer aux entreprises qu’il est possible de maîtriser leur environnement sonore : de ne pas rester prisonnier face au bruit. Quand on demande aux utilisateurs comment ils contrôlent leur espace sonore, ils répondent systématiquement par le port du casque et des écouteurs. Ils parent également aux nuisances en arrivant tôt le matin ou en partant tardivement le soir afin d’être au calme. Notre objectif est de développer des stratégies plus vertueuses. Le télétravail est sans doute la solution la plus confortable pour les usagers, mais cela demeure difficile à mettre en place en France. La maison est en effet l’espace où le sentiment de contrôle est total… Compte tenu du type de tâche à effectuer chaque jour, il faut se demander si on a besoin de silence absolu et quel serait notre seuil de tolérance. Quand un utilisateur sait qu’il a un contrôle sur son environnement sonore et qu’il peut échapper au bruit, cela change tout. Nous avons récemment accompagné le projet d’une entreprise dont les collaborateurs passent 80 % de leur temps au téléphone. Comment concevoir un espace agréable malgré une activité phonique intense ? Plutôt que de « déplacer le bruit » en créant des cabines téléphoniques, ce qu’aurait intuitivement installé la direction, nous avons cherché à « déplacer le silence ». En prenant la question dans cette direction, les postes de travail ont été abordés différemment, tout comme leur traitement acoustique. 

 

M.T. : L’authenticité de la démarche avec laquelle on questionne la méthode de travail et les rituels de travail est déterminante. Pour certains clients, chez Haworth, nous avons développé des « tribunes » : un mobilier favorisant la collaboration et permettant des postures assises et en position debout. Cette configuration fonctionne pour le rituel du café le matin – un moment informel –, mais également pour échanger des informations, partager sur les projets Ce dernier point est important car le flex office repose sur l’idée que l’on ne travaille plus à côté d’une personne du même service. Pour partager les savoirs, il s’agit donc d’inventer de nouveaux rituels et conditions de rencontre. 

 

D’A : SUR QUOI PORTENT VOS DERNIÈRES RECHERCHES EN MATIÈRE DE PRODUITS ? 

 

M.T. : Il y a aujourd’hui une forte tendance à penser que l’on a de plus en plus besoin d’espaces collectifs car on travaille de manière plus collaborative. Il faut cependant avoir aussi en tête que ce travail est dispersé géographiquement. Nous sommes de plus en plus connectés à des gens qui ne sont pas là physiquement. Il y a donc un besoin croissant en matière de collaboration à distance et, à ce titre, beaucoup de champs restent à explorer pour que celle-ci soit plus intuitive et efficace. Par ailleurs, beaucoup d’expériences de flex office ont lieu au sein d’espaces qui sont volontairement inachevés afin de voir comment ils évoluent dans le temps. Tout l’enjeu pour une société comme Haworth est de fournir un mobilier ergonomique et flexible, évolutif. Dans de telles configurations, les sièges sont utilisés par beaucoup de personnes différentes. Ils doivent donc avoir un confort immédiat, mais aussi être facilement ajustables dans un second temps. Quant aux surfaces de travail, elles doivent être diversifiées ; leur hauteur peut être réglable et, surtout, elles doivent inviter à bouger d’une activité à une autre. 

 

F.D. : Il est en effet important de pouvoir faire évoluer les besoins et de tester différents usages des espaces de travail en s’appuyant sur des infrastructures mobilières et immobilières paramétrables et transformables. 


Lisez la suite de cet article dans : N° 254 - Juin 2017

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