GENS |
Structure molle aux contours non
définis et à l’évolution incertaine, voilà comment les cinq
architectes de l’association libérale d’architecture Gens
s’amusent à se présenter. Entre la recherche du strict nécessaire
et la volonté de réinterpréter les champs de la tradition, leur
production traduit une attitude affranchie des poncifs du métier
hors de toute revendication formelle.
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Dans leur pôle nancéien – une grande vitrine sur cour derrière laquelle s’élance une longue table de travail –, ils se rassemblent finalement assez peu. Tous natifs de la région Grand Est, ils sont actuellement dispersés entre Paris pour Sylvain Parent, Toulouse pour Jean-Baptiste Friot et Nancy pour Mathias Roustang, Guillaume Eckly et Barbara Fischer. Et même si tous les projets de l’agence ne sont pas suivis ensemble, les idées sont cependant toutes partagées. À leur début et par crainte de subir des influences trop directes, ils ont d’ailleurs tous fait le choix de ne jamais travailler pour une autre structure, ce qui ne les empêche pas aujourd’hui de chercher des associations avec des architectes locaux pour changer d’échelle de projet. Et si, au démarrage de leur activité, ils sont nécessairement confrontés à des commandes pour « jeunes », les projets d’extension ou de réhabilitation auxquels ils répondent deviennent assez vite l’opportunité pour eux d’envisager, voire d’inventer des préexistences. Ils défendent en effet une approche du déjà -là assez élargie puisqu’ils l’étendent même aux situations de constructions neuves ! « Tout projet est la réhabilitation de quelque chose, expliquent-ils. Il peut s’agir de la réhabilitation d’un plan-masse, d’un élément de décor, ou de celle d’un client. »
Cette approche confortée par les contextes abrupts de commandes auxquels ils font face – en site rural, zone périurbaine, lotissement – relève d’une quête absolue de justesse et d’ancrage. Le « juste » n’étant pas ici relatif à une raison ou à quelque ordre moral, mais à l’autorité du réel : la recherche du strict nécessaire afin que prévale un essentiel de relation, d’espace et de proximité. « Le modèle du hangar agricole traduit un niveau de pragmatisme, d’élégance et d’efficacité rarement atteint par les productions d’architectes. Il fait strictement ce qu’il a à faire tout en étant invisible et généreux. » La triple leçon de paysage, d’urbanisme et d’architecture que nous donnent ces constructions, par leur mode de présence si exact, résume assez bien les préoccupations de ces cinq Gens, pour qui l’architecture n’est jamais un outil démonstratif. Leur volonté de justesse appelle au contraire des stratégies de projet par « assèchement ». Tous ensemble et sans pitié, zigouillant toute tentative d’héroïsme, ils écrèment le projet jusqu’à l’irréductible. Ils affûtent leur tableur Excel dès la phase d’esquisse afin de maîtriser pleinement les coûts, ce qui leur permet d’ailleurs de ne maintenir que les intentions les plus utiles. Ils étudient également très tôt les systèmes constructifs et les complexes d’enveloppe du bâtiment les plus performants et développent non plus des mètres carrés de façades, mais des mètres linéaires de maison.
Charcuterie
Leur « salami-tactique », comme l’a si justement baptisée le critique allemand Kaye Geipel, revient à produire des tranches d’un projet parfaitement optimisé. Cette approche les encourage à affronter une question fondamentale : qu’est-ce qui « fait » l’architecture ? « Pour nous, l’important, c’est la fenêtre. La médiocrité de l’architecture quotidienne tient beaucoup à la faiblesse de ses fenêtres, dont les menuiseries, souvent grossières, sont mal posées. Le vide d’une baie doit rester un vide, comme c’était le cas dans les projets modernes des années 1920 ! Pour répondre aux normes actuelles, nous avons conçu nos propres gammes de fenêtres : des cadres en tôle avec des parecloses et des petites cornières pour les vitrages fixes », expliquent les architectes, qui n’hésitent pas à mettre en œuvre des murs-rideaux, qu’il s’agisse d’un musée comme à la Maison du Sel à Haraucourt ou dans leur propre agence. Dans les deux cas, la façade est pensée comme une grande devanture tournée vers son environnement. Dans cette relation directe, intérieur et extérieur peuvent être envisagés comme un seul lieu.
Ces intentions de projets pour le moins radicales ne sont évidemment pas exposées aussi frontalement à leurs clients et entreprises. « Personne n’attend l’architecture, personne n’en veut. Il faut savoir ce qu’on lâche du projet et ce que l’on tient. » Si l’argument du financier se fait très facilement entendre dans leur contexte frugal de commande, permettant d’écarter sainement tout superflu, les architectes se demandent par ailleurs ce qui permet d’entrer dans la culture architecturale. Chaque projet est ainsi une nouvelle opportunité de s’interroger sur la place de la tradition. Dans le préau de l’extension-réhabilitation d’un groupe scolaire à Nancy, ils dressent des troncs d’arbre en guise de poteaux, une symbolique naïve assumée. Dans le projet d’une salle commune, ils prescrivent des volets découpés de petits cœurs. Ces deux attentions serviraient selon eux à stimuler l’appropriation.
Ce jeu avec les références peut aboutir à un résultat particulièrement étonnant. À Pulnoy, ils abordent sans a priori la construction d’une maison dans un banal lotissement. Réutilisant et détournant en façade sur rue un poncif du vocabulaire de maison sur catalogue, ils s’en démarquent sur les trois autres côtés en perçant de grandes ouvertures. Cette rencontre fortuite entre une maison Phénix et un hangar produit un espace de vie décloisonné et fluide, tournant le dos à la voie publique. « L’élément de décor peut devenir un accroche-cœur, quelque chose d’affectif. Une forme de sampling qui permet de donner au projet un champ culturel plus ouvert et perméable. Finalement, l’idée d’utiliser très ponctuellement des motifs connus a l’air de marcher… Alors pourquoi ne pas être moderne et postmoderne à la fois ? » concluent ces architectes, dont la production est parfois hybride et, on l’aura compris, presque toujours inattendue.
Implanté en plein cœur de village, ce projet de transformation d’une ferme en cinq appartements se distingue par l’audace de sa programmation et sa maîtrise d’ouvrage engagée. L’opération est en effet le fruit de l’ambition sociale d’une maire soucieuse d’offrir aux personnes âgées du village la possibilité d’y vivre en restant autonome, ainsi qu’aux femmes élevant seules leurs enfants de faire communauté en plein centre-bourg. Les architectes ont interprété cette demande en exacerbant la présence opaque et massive du grand pignon nord existant, désormais recouvert d’ardoise fibrociment. Une faille transversale coupe le bâtiment en deux parties à l’étage, permettant de créer une façade intérieure au sud pour apporter de la lumière dans les logements. À ossature bois, elle est largement vitrée ou habillée d’un bardage en aluminium poli qui réfléchi la lumière.
[ Maître d’ouvrage : commune de Velle-sur-Moselle
Tapisserie : E. Mangin
BE thermique : Terranergie
Surface : 392 m2
Coût : 432 300 euros HT
Calendrier :
début des études, août 2013 ; livraison : janvier
2016 ]
Maison individuelle, Zutzendorf, Bas-Rhin
« Dans ce village alsacien, le règlement est laconique et implacable : fais comme ton voisin, et les voisins sont tous d’accord », expliquent les architectes, auxquels on a confié la réalisation de cette maison individuelle destinée à loger un couple sans enfant. Se jouant des règles locales d’urbanisme, ils décident de n’offrir à la vue qu’un toit de tuiles à deux pans très raides ne trahissant en rien le loft qu’il abrite. Le rez-de-chaussée est en effet un espace libre, totalement ouvert sur un jardin au sud, aménagé d’un sauna et d’une bibliothèque. Il est caractérisé par ses fermettes en bois qui accueillent une mezzanine suspendue.
[ Maître d’ouvrage : couple sans enfant
BE structure : Barthes Bois
BE thermique : Terranergie
Surface : 114 m2
Coût : 155 600 euros HT
Calendrier : début des études, 2010 ; livraison, 2015 ]
2005
Association des cinq architectes : Mathias Roustang, Guillaume Eckly et Barbara Fischer, Sylvain Parent et Jean-Baptiste Friot.
2009
2012
Lauréats AJAP. Gens Nouvels devient Gens.
2015
Une fenêtre pour le Pavillon français à la Biennale de Venise. Proposition Refusée.
2016
Finaliste pour Réinventer Paris sur le site de Gambetta. Projet classé second.
2017
« À venir », exposition monographique au Lieu minuscule à Reims et livre à paraitre.
Questionnaire
Votre premier souvenir d’architecture ?
On s’est connus trop tard.
Que sont devenus vos rêves d’étudiant ?
Ça progresse.
À quoi sert l’architecture ?
Faire joli.
Quelle est la qualité essentielle pour un architecte ?
Faire joli.
Quel est le pire défaut chez un architecte ?
Faire joli.
Quel est le vôtre ?
Faire joli.
Quel est le pire cauchemar pour un architecte ?
« J’ai rêvé que le charpentier avait oublié dans sa descente de charge le poids du vitrage et que le porte-à -faux était descendu de 5 cm. Quand le miroitier est venu, et que toutes les finitions intérieures avaient explos, il allait falloir faire des reprises en sous-œuvre à un bâtiment tout neuf.»
Quelle est la commande à laquelle vous rêvez le plus?
Une église, un club de tennis, ma maison.
Quels architectes admirez-vous le plus ?
Architecte du mois : Bruther.
Quelle est l’œuvre construite que vous préférez ?
Bâtiment du mois : Naoshima Ferry Terminal, par Sanaa.
Citez un ou
plusieurs architectes que vous trouvez surfaits.
« Article 19 : Tout propos ou acte tendant à discréditer un confrère, toute manœuvre ou pression de nature à porter atteinte à sa liberté de choix d’un maître d’ouvrage ou à infléchir sa décision sont interdits. »
Une œuvre artistique a-t-elle plus particulièrement influencé votre travail ?
Robert Venturi.
Quel est le dernier livre qui vous a marqué ?
Dialectes architecturaux, de Bruno Zevi.
Qu’emmèneriez vous sur une île déserte ?
Le billet retour.
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