Gilles Perraudin : la Maison du département de Voiron

Architecte : Gilles Perraudin
Rédigé par Loïc COUTON
Publié le 04/05/2016

À l’heure où les professionnels de la filière bois s’interrogent encore sur les possibilités techniques du bois pour construire des immeubles de grandes hauteurs, Gilles Perraudin et son équipe observent d’un œil amusé les eucalyptus géants et les séquoias millénaires, en pensant à la manière dont les matériaux naturels interagissent avec nos sens et notre affect.


L’architecte isérois Gilles Perraudin, écologue dans l’âme bien avant l’ère du développement durable, milite sans relâche pour une architecture libérée du dictat du tout béton au profit d’un retour aux matériaux naturels, dont la pierre, partout présente sur terre, serait le fer de lance. Il dénonce la fuite en avant du modèle « productiviste-consumériste Â» occidental pour défendre une approche architecturale fondée sur les notions de « métabolisme urbain Â» (les ressources locales) et d’« Ã©conomie circulaire Â» (gestion des ressources), plus en adéquation avec sa vision d’une architecture « située Â», agissant pour un développement à la fois local et durable.

Les principes d’écoconception adoptés par Perraudin, au fil de sa carrière et de ses projets, sont toujours les mêmes : matériaux naturels bruts locaux, filières sèches et aucun traitement chimique de protection. L’utilisation de matériaux renouvelables combinée à une approche systémique de la conception, qui tient compte de l’ensemble du cycle de vie de l’ouvrage, et plus particulièrement de l’énergie grise dont il dépend, constitue la clé de voûte de l’engagement écologique et social de cet humaniste loquace.

Le projet qu’il propose pour la Maison du département de Voiron ne déroge pas à la règle. Il en constituerait presque une sorte de manifeste s’il n’avait été contraint, face à la frilosité de la maîtrise d’ouvrage – pourtant enclin à le suivre sur tous les autres chapitres de son modèle d’architecture « idéale Â» – d’utiliser du béton pour réaliser le noyau central de l’édifice, qu’il imaginait initialement en pierre massive, à l’instar du soubassement extérieur qui ceinture l’ouvrage et l’ancre dans le tissu urbain environnant. La pertinence de l’enveloppe porteuse du rez-de-chaussée – réalisée en blocs massifs de calcaire marbrier de Montalieu (Isère), dont l’aspect coquillier témoigne de ses lointaines origines abyssales – résulte de l’adéquation entre un usage savant de ce matériau ancestral et une écriture résolument contemporaine de cet équipement public.


Pionnier

Au rythme régulier de cette assise en pierre succède celui des façades des cinq niveaux supérieurs et des deux niveaux de toiture inclinée, totalement recouvertes de cadres d’aluminium bardés de lattes de mélèze – ouvrables et orientables au droit des fenêtres â€“ constituant une résille continue, filtrante et protectrice. Elle diffuse la lumière naturelle dans tous les espaces du bâtiment, y compris les circulations horizontales, tout en régulant au gré des saisons les apports solaires sur les baies vitrées des façades. Cette enveloppe ciselée par une imbrication de trames successives, allant de l’édifice dans son ensemble à sa pièce constitutive (la latte de mélèze), inscrit le projet dans le paysage urbain en stimulant les différentes échelles de perception de sa modénature. Il confère à son architecture sa dimension domestique et son caractère « visiblement Â» bioclimatique.

L’apparente simplicité du bâtiment, formellement inspirée de l’architecture vernaculaire voironnaise, est trompeuse. La performance tient en grande partie dans l’audace structurelle du parti constructif, Å“uvre conjuguée de Gilles Perraudin et de son complice de longue date, l’ingénieur Jacques Anglade, dont l’innovation réside dans l’utilisation de bois massifs locaux pour réaliser les huit niveaux de bureaux du projet, qui totalisent près de 3 000 m2 de surface de planchers exploitables. Comparé aux autres projets bois de grande hauteur, déjà réalisés ou en cours d’étude, en France (concours PUCA 2016) ou en Europe, la Maison du département de Voiron fait figure de pionnière en recourant à des ossatures de bois à la fois massif et exempt de tout traitement.

Autour d’un long noyau central en béton armé, regroupant locaux annexes, sanitaires, circulations verticales et réseaux techniques, se développe une structure de poutres massives en pin sylvestre, disposées tous les 1,20 mètre et reposant en façade sur des poteaux eux aussi massifs, dont la partie intérieure est en pin sylvestre et la partie extérieure, exposée aux intempéries, en douglas. Ce dispositif poteaux-poutres est contreventé au long des allèges de fenêtres et des planchers des bureaux par des panneaux de bois lamellé-croisé (CLT) volontairement laissés apparents.


Engagement écologique et social

Le fonctionnement bioclimatique du projet est aussi simple qu’efficace. Outre l’enveloppe de bois extérieure qui la protège des assauts du soleil, la forte inertie du béton et la grande quantité de bois massif apparent participent activement à la régulation thermique et hygrométrique des espaces intérieurs, aussi bien en période d’hiver que d’été. Des pompes à chaleur air-air et des cellules photovoltaïques situées en terrasse sur le second niveau de toiture fournissent l’énergie d’appoint nécessaire à l’utilisation des locaux, dont la ventilation naturelle est régulée par l’ouverture possible et généreuse de l’ensemble les baies vitrées des façades.

La Maison du département de Voiron n’est pas seulement un bâtiment respectueux de son environnement, « elle est aussi un agent du développement économique local Â», explique Gilles Perraudin. Elle est surtout l’illustration d’une conception écoresponsable qui démontre, en marge des grandes promesses électorales et de l’adoption à l’unanimité d’un Accord de Paris pour le climat (COP21) rédigé au conditionnel, qu’il est possible de poursuivre la grande histoire de l’architecture en posant un regard réfléchi et sans nostalgie sur un passé depuis longtemps révolu, mais qui était pourtant si durable.



[ Maîtrise d’ouvrage : conseil général de l’Isère – Maîtrise d’œuvre : Gilles Perraudin, avec Nabouko Nansenet, Benjamin Demoly, Jean-Manuel Perraudin – Économiste : Gec Rhône-Alpes – BET structure / Anglade bois – BET fluids : Thermibel – VRD : PVI – HQE : Hubert Penicaud – Programme : bureau, services sociaux, amphithéâtre, cuisines, archives, lieux de détente – Surface : 2 030 m2 – Coût : 4 millions d’euros – Calendrier : études, 2010 ; livraison, 2015 ]


Lisez la suite de cet article dans : N° 244 - Mai 2016

<br/> Crédit photo : COUTON Loïc <br/> Crédit photo : COUTON Loïc plan du rdc et d'un étage courant de bureaux<br/> Crédit photo : DR  <br/> Crédit photo : COUTON Loïc

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