Loger le pauvre, l’immigré, le demandeur d’asile - II. Au-delà des normes ? - Mise en sécurité du foyer des Sorins à Montreuil

Rédigé par Laureline GUILPAIN
Publié le 07/02/2017

Le chantier, réalisé en site occupé, a permis d’isoler et de sécuriser l’ensemble de l’ancienne usine en un temps très court.

Dossier réalisé par Laureline GUILPAIN
Dossier publié dans le d'A n°251

Respecter la norme est-il plus important que de loger les personnes sans domicile ? Derrière cette interrogation rhétorique se cache pourtant la réalité de la pensée dominante du logement pour les plus précaires, restreinte aux plans insuffisants d’hébergement d’urgence. D’autres choix sont pourtant possibles, comme le montre le foyer des Sorins à Montreuil, où l’engagement municipal et les bonnes volontés collectives permettent à des hommes célibataires en attente de régularisation d’avoir un lieu de résidence qu’ils gèrent en autonomie depuis 2011.

C’est une ancienne serrurerie située rue des Papillons, dans le haut Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Dans cette halle industrielle de 775 m2 insérée dans un tissu montreuillois typique, entre pavillons individuels, petits collectifs et locaux d’activités, vivent les membres du collectif des Sorins, 170 hommes originaires d’Afrique de l’Ouest, majoritairement sans papiers. Après une expulsion de leur précédent domicile en 2011, un squat situé rue des Sorins et qu’ils avaient tout juste remis aux normes, et plusieurs mois passés dans la rue, les Sorins disposent aujourd’hui d’un lieu de vie stable et légal leur permettant de se projeter plus loin que la simple urgence du quotidien, malgré la très grande précarité de la plupart d’entre eux.

Le relogement du collectif dans l’ancienne usine abandonnée a été permis grâce à ses soutiens associatifs, ainsi qu’à l’engagement de la ville de Montreuil, qui a mis à disposition le bâtiment, propriété de l’Office public de l’habitat montreuillois (OPHM, dont la maire, Dominique Voynet en 2011, est présidente) et financé les travaux nécessaires à la sécurisation et au confort minimal de ses habitants.

Une alternative qui redonne un usage au patrimoine municipal vacant et lutte contre l’isolement des personnes défavorisées, tout en se révélant beaucoup moins coûteuse que le système traditionnel d’urgence, qui profite majoritairement aux structures privées, hôtels sociaux et marchands de sommeil, financés par l’État entre 30 et 50 euros par nuit.

 

Loger sans les normes, un choix politique

Si elle leur a permis d’avoir un toit, l’ancienne serrurerie était à l’arrivée du collectif des Sorins un bâtiment insalubre. Les conditions de vie les premières années étaient difficiles et la sécurité de ses habitants précaire, entre circulations obstruées et amoncellement d’objets très facilement inflammables pour se protéger du froid et créer un semblant d’intimité.

En 2014, la nouvelle municipalité communiste décide d’entreprendre un projet de réhabilitation, refusant d’engager à nouveau la responsabilité de l’OPHM dans des conditions aussi fragiles. Des futurs aménagements prescrits dans l’objectif de pérenniser l’hébergement des Sorins pendant une ou deux années de plus, le temps de mettre en place une démarche de régularisation pour chacun d’eux.

La Fondation des Architectes de l’urgence (FAU), mise en contact avec la mairie par la coopérative Habitats Solidaires, soutien des Sorins, réalise en décembre 2014 un diagnostic dans l’usine : une liste thématisée des dysfonctionnements (sécurité et prévention incendie, ventilation, isolation thermique, électricité, installations sanitaires, défaillances structurelles, hygiène, etc.) accompagnée de préconisations et des réalisations possibles avec le budget initial de la ville de 150 000 euros. Un diagnostic technique couplé d’une analyse du mode de vie du foyer, caractérisé par une organisation collective et coopérative : les repas sont préparés par deux cuisinières salariées du collectif, les décisions prises en commun dans l’espace principal faisant office de salon et salle à manger mais aussi de lieu de fête pour des soirées de soutien organisées régulièrement le vendredi soir et ouvertes à tous.

Cette première étape va également formaliser le caractère de l’intervention d’urgence : une véritable remise aux normes n’est pas envisageable sans d’importants travaux, hors budget et impossibles à réaliser en site occupé, du reste incohérent avec un usage qui doit rester provisoire. Cependant, l’urgence de la mise en sécurité fera consensus : les travaux devront avant tout améliorer la sécurité et le confort des habitants. La question de la responsabilité est au cœur de la contractualisation de l’intervention : la FAU devient partenaire de l’opération pour ne pas engager sa responsabilité en tant qu’architecte, la mairie de Montreuil acceptant de porter l’opération et ses conséquences. Un engagement qui contrebalance avec une frilosité générale des collectivités en termes de logements pour les plus précaires, mais aussi face aux projets hors normes.

 

Réhabiliter sans argent, une démarche inventive

Romain Gagnot, architecte qui a précédemment participé à plusieurs missions des Architectes de l’urgence, dirige pour la fondation l’intervention dans l’usine des Sorins. Avec un budget total final de 200 000 euros, soit environ 260 euros au mètre carré, les architectes déploient une conception rationnelle, entre réparations ponctuelles, colmatage de fuites ou renforcement structurel de mezzanines, et principe d’organisation à l’échelle des espaces de vie. Aussi les dortoirs sont réorganisés en chambres chauffées avec des espaces de stockage dédiés pour dégager des circulations suffisamment larges ; les matériaux de réalisation sont choisis pour leur prix bas, mais surtout pour leur capacité à combiner propriétés spatiales et techniques, ainsi que facilité et rapidité de mise en œuvre. La toile ignifugée, utilisée auparavant par la FAU dans la réalisation d’abris d’urgence, devient le matériau de base du projet : posée en applique et combinée avec un isolant mince, elle isole du froid ; tendue et agrafée sur une structure légère en bois ou sur des câbles, elle cloisonne les espaces ; façonnable avec des outils de couturier, elle est modulable à l’infini, minimisant les pertes.

L’inventivité du « faire sans argent » se joue aussi dans l’organisation du chantier. Certains postes techniques nécessitent le recours d’artisans qualifiés : couvreur, électricien et chauffagiste ; Romain Gagnot, accompagné d’une stagiaire, réalisent le reste du chantier avec les Sorins : trois d’entre eux, déjà régularisés, sont salariés en tant qu’ouvriers, tandis qu’on demande une journée de participation bénévole aux autres, au fur et à mesure de la progression dans les différents espaces de l’usine.

Par le chantier, le projet devient un œuvre collective : l’engagement des architectes et de l’ensemble des habitants, les coups de main d’amis menuisiers pour réaliser un escalier supplémentaire ou des garde-corps ou encore des dons d’outils de la part d’Habitats Solidaires permettent de finaliser les travaux en seulement trois mois. En parallèle, Habitats Solidaires réunit en crowdfunding les fonds nécessaires à la réhabilitation des installations sanitaires, toilettes et douches, ainsi que la cuisine et un garde-manger extérieur. Ces deux opérations cumulées, l’ancienne usine, si elle reste une solution provisoire, garantit aux Sorins une vie quotidienne digne.

Un an et demi après leur réalisation, et malgré un usage quotidien intensif par les 170 habitants du foyer toujours présents, les aménagements restent dans un très bon état de conservation, les circulations laissées libres, les valises stockées dans les rangements alloués. La structuration collective du foyer est certainement la clé de la réussite du projet : le respect de règles de vie commune, l’entraide et l’engagement pour une vie meilleure pour tous.

Face à une politique sociale d’hébergement insuffisante, très coûteuse et centralisée, ce projet montre une autre voie, responsabilisant l’ensemble des acteurs locaux ainsi que les habitants. Une expérimentation facilement reproductible, diversifiant les solutions d’hébergement d’urgence, et qui, si elle ne la résoudra pas, peut largement contribuer à la résorption des demandes en attente pour les personnes les plus précaires.

 

 

 

 

fiche technique projet

 

[ Maître d’ouvrage : ville de Montreuil, OPHM

Partenaire : Fondation des Architectes de l’urgence

Soutien : Habitats Solidaires

Programme : amélioration des conditions de sécurité et de confort du foyer des Sorins

Coût : 200 000 euros TTC

Calendrier : décembre 2014 – juin 2015 ]


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

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