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Dossier réalisé par Christine DESMOULINS Les critères normatifs contraignent aujourd’hui tous les projets, jusqu’à parfois les remettre en cause. C’est d’autant plus vrai que le cadre juridique et réglementaire français tend à pousser à l’extrême le principe de précaution. L’expérimentation et l’innovation, pourtant au coeur du métier de l’architecte, sont menacées. L’un des quatre groupes de la Stratégie nationale pour l’architecture, lancée par la ministre de la Culture1, est justement consacré à l’innovation. Piloté par Marc Barani, le groupe de travail a rassemblé les architectes Paul Chantereau, de l’association Bellastock, Marie Zawistowski, de l’agence OnSite et Lorenzo Diez, directeur de l’ENSA de Nancy et rapporteur des travaux. Nous avons demandé à Marc Barani de nous expliquer en quoi cette politique pouvait réellement replacer l’invention au centre des pratiques architecturales. |
D’A : MARC BARANI, COMMENT AVEZ-VOUS ABORDÉ L’INNOVATION
DANS CE CONTEXTE ?
MB : Quand la ministre de la Culture et Agnès
Vince, directrice chargée de l’architecture, m’ont chargé de piloter ce
groupe, j’ai aussitôt pensé qu’il fallait se méfier de l’aspect
incantatoire que peut revêtir le terme d’« innovation », au risque d’une notion
de table rase qui ferait fi du passé et pourrait faire glisser cette
notion vers une stratégie de marketing. Elle s’inscrit au contraire
dans un processus conjuguant continuité et rupture, lié aux évolutions de la
société et de la culture. Il est donc recommandé d’observer les traditions
qui les ont portées et de détecter des phénomènes nouveaux pour
innover dans les pratiques et les savoirs et créer des synergies entre des savoirs
assez mal connectés. S’il y a partout des bonnes idées, elles doivent déboucher
sur des expérimentations concrètes ! Les innovations sont en partie des
désobéissances réussies, il faut les inventorier et les renforcer par des
synergies entre enseignement, recherche et métiers. Cela permettra
d’inventer progressivement une nouvelle culture architecturale à partir des
connaissances internes à la discipline architecturale et en s’ouvrant à
des champs comme les ingénieries techniques, la sociologie, l’anthropologie
ou le design industriel. Mais les architectes sont les mieux placés
pour pouvoir opérer une synthèse spatiale et technique des données de plus en
plus complexes qui nourrissent le projet, même si l’architecture ne leur
appartient pas exclusivement.
D’A : LA QUESTION DES NORMES A, UNE FOIS DE
PLUS, ÉTÉ ABORDÉE…
MB : Face à l’émergence d’une pensée
laissant entendre que l’addition des optimums aboutirait à la
meilleure architecture, le rapport du groupe de travail revient aussi sur la
saturation de normes qui nuit à la concrétisation d’idées nouvelles face
aux mutations techniques, économiques et sociales. Dans les pays du
Nord, on peut faire des écoles avec de grands atriums sprinklés et
désenfumés, ce qui est impossible en France en raison des normes incendie.
Recourir à des autorisations expérimentales ou à des normes incendies
européennes peut pourtant alléger les dispositifs si l’on cesse de
voir la réglementation européenne comme des couches successives à empiler.
D’A : QUELLES SONT LES PRÉCONISATIONS DU
GROUPE DE TRAVAIL ?
MB : Le groupe de travail a proposé un dispositif fondé sur cinq mesures fondamentales fonctionnant en écosystème : un label national facilitant des opérations architecturales expérimentales portées par les acteurs de terrain ; un soutien à la création de chaires partenariales de recherche architecturale mobilisant les communautés d’innovation sur de grands enjeux ; un soutien au développement de chantiers démonstrateurs architecturaux dans les régions ; un plan national de développement des contrats doctoraux en entreprises d’architecture ; et enfin un portefeuille pour l’innovation architecturale valorisant l’engagement des jeunes architectes dans l’innovation et l’entrepreneuriat. Il faut espérer que les synergies plébiscitées par le groupe de travail de la SNA permettent enfin de réinstaller, en France, un moteur d’innovation architecturale partagé, solidaire, ambitieux et pérenne.
1.
Rapport téléchargeable sur www.culturecommunication.gouv.fr
QUATRE
PREMIÈRES MESURES
Dans
l’attente d’autres mesures à venir dans le cadre des prochains débats sur
la loi « création, architecture et patrimoine », quatre sont déjà retenues par
la Commission culture de l’Assemblée nationale.
1 - « Il est d’abord demandé aux architectes de signer leur
bâtiment, ce qui est une reconnaissance de leur travail et de la responsabilité
qu’ils endossent », dit Marc Barani.
2 - Le seuil d’intervention obligatoire de l’architecte est abaissé
à 150 m2.
3 - « Cet abaissement du seuil est à mettre en synergie avec le
“permis d’aménager”, visant à endiguer la prolifération mécanique du
pavillonnaire et l’indigence des lotissements sur les territoires
périurbains et ruraux. »
4 - Le « permis de faire », quatrième mesure, affiche une dimension
prospective plaçant l’expérimentation au coeur du processus de
conception et de réalisation des bâtiments. Pouvant porter notamment sur les
programmes, les techniques, les règlements et les normes qui contraignent
abusivement les projets, le cadre souple de cette mesure peut
l’assimiler à un appel à idées voué à faire remonter du terrain des
propositions à évaluer. Marc Barani regrette pourtant qu’il ne
concerne que les équipements publics et non pas tous les édifices, et
particulièrement le logement.
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