Marc Barani : l’innovation au coeur du métier de l’architecte

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 02/11/2015

Dossier réalisé par Christine DESMOULINS
Dossier publié dans le d'A n°240

Les critères normatifs contraignent aujourd’hui tous les projets, jusqu’à parfois les remettre en cause. C’est d’autant plus vrai que le cadre juridique et réglementaire français tend à pousser à l’extrême le principe de précaution. L’expérimentation et l’innovation, pourtant au coeur du métier de l’architecte, sont menacées. L’un des quatre groupes de la Stratégie nationale pour l’architecture, lancée par la ministre de la Culture1, est justement consacré à l’innovation. Piloté par Marc Barani, le groupe de travail a rassemblé les architectes Paul Chantereau, de l’association Bellastock, Marie Zawistowski, de l’agence OnSite et Lorenzo Diez, directeur de l’ENSA de Nancy et rapporteur des travaux. Nous avons demandé à Marc Barani de nous expliquer en quoi cette politique pouvait réellement replacer l’invention au centre des pratiques architecturales. 

D’A : MARC BARANI, COMMENT AVEZ-VOUS ABORDÉ L’INNOVATION DANS CE CONTEXTE ? 



MB : Quand la ministre de la Culture et Agnès Vince, directrice chargée de l’architecture, m’ont chargé de piloter ce groupe, j’ai aussitôt pensé qu’il fallait se méfier de l’aspect incantatoire que peut revêtir le terme d’« innovation », au risque d’une notion de table rase qui ferait fi du passé et pourrait faire glisser cette notion vers une stratégie de marketing. Elle s’inscrit au contraire dans un processus conjuguant continuité et rupture, lié aux évolutions de la société et de la culture. Il est donc recommandé d’observer les traditions qui les ont portées et de détecter des phénomènes nouveaux pour innover dans les pratiques et les savoirs et créer des synergies entre des savoirs assez mal connectés. S’il y a partout des bonnes idées, elles doivent déboucher sur des expérimentations concrètes ! Les innovations sont en partie des désobéissances réussies, il faut les inventorier et les renforcer par des synergies entre enseignement, recherche et métiers. Cela permettra d’inventer progressivement une nouvelle culture architecturale à partir des connaissances internes à la discipline architecturale et en s’ouvrant à des champs comme les ingénieries techniques, la sociologie, l’anthropologie ou le design industriel. Mais les architectes sont les mieux placés pour pouvoir opérer une synthèse spatiale et technique des données de plus en plus complexes qui nourrissent le projet, même si l’architecture ne leur appartient pas exclusivement. 



D’A : LA QUESTION DES NORMES A, UNE FOIS DE PLUS, ÉTÉ ABORDÉE… 



MB : Face à l’émergence d’une pensée laissant entendre que l’addition des optimums aboutirait à la meilleure architecture, le rapport du groupe de travail revient aussi sur la saturation de normes qui nuit à la concrétisation d’idées nouvelles face aux mutations techniques, économiques et sociales. Dans les pays du Nord, on peut faire des écoles avec de grands atriums sprinklés et désenfumés, ce qui est impossible en France en raison des normes incendie. Recourir à des autorisations expérimentales ou à des normes incendies européennes peut pourtant alléger les dispositifs si l’on cesse de voir la réglementation européenne comme des couches successives à empiler. 



D’A : QUELLES SONT LES PRÉCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL ? 



MB : Le groupe de travail a proposé un dispositif fondé sur cinq mesures fondamentales fonctionnant en écosystème : un label national facilitant des opérations architecturales expérimentales portées par les acteurs de terrain ; un soutien à la création de chaires partenariales de recherche architecturale mobilisant les communautés d’innovation sur de grands enjeux ; un soutien au développement de chantiers démonstrateurs architecturaux dans les régions ; un plan national de développement des contrats doctoraux en entreprises d’architecture ; et enfin un portefeuille pour l’innovation architecturale valorisant l’engagement des jeunes architectes dans l’innovation et l’entrepreneuriat. Il faut espérer que les synergies plébiscitées par le groupe de travail de la SNA permettent enfin de réinstaller, en France, un moteur d’innovation architecturale partagé, solidaire, ambitieux et pérenne.

1.       Rapport téléchargeable sur www.culturecommunication.gouv.fr 



QUATRE PREMIÈRES MESURES 

Dans l’attente d’autres mesures à venir dans le cadre des prochains débats sur la loi « création, architecture et patrimoine », quatre sont déjà retenues par la Commission culture de l’Assemblée nationale. 



1 - « Il est d’abord demandé aux architectes de signer leur bâtiment, ce qui est une reconnaissance de leur travail et de la responsabilité qu’ils endossent », dit Marc Barani. 

2 - Le seuil d’intervention obligatoire de l’architecte est abaissé à 150 m2. 

3 - « Cet abaissement du seuil est à mettre en synergie avec le “permis d’aménager”, visant à endiguer la prolifération mécanique du pavillonnaire et l’indigence des lotissements sur les territoires périurbains et ruraux. » 

4 - Le « permis de faire », quatrième mesure, affiche une dimension prospective plaçant l’expérimentation au coeur du processus de conception et de réalisation des bâtiments. Pouvant porter notamment sur les programmes, les techniques, les règlements et les normes qui contraignent abusivement les projets, le cadre souple de cette mesure peut l’assimiler à un appel à idées voué à faire remonter du terrain des propositions à évaluer. Marc Barani regrette pourtant qu’il ne concerne que les équipements publics et non pas tous les édifices, et particulièrement le logement. 

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