MRU, le ministère photographe

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 07/10/2015

Photographie du MRU

Article paru dans d'A n°239

Les images réalisées entre 1945 et 1958 par le service photographique du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme sont progressivement exhumées des archives. Images-outils, images-documents, vecteur de la parole de l’État, elles connaissent une nouvelle vie comme témoin d’une histoire architecturale et urbaine.

À quoi sert la photographie, et qui la produit ? Les multiples réponses à la question définissent des catégories d’images autonomes possédant chacune leurs codes. La photo de famille, genre vivace s’il en est, n’est pas la photo de reportage, pas plus que la photographie d’architecture est sÅ“ur de la photographie scientifique. L’image émanera tour à tour d’un particulier, d’une agence de presse, d’un commanditaire privé ou d’une institution. Le cas du service photographique du ministère de l’Équipement nous rappelle que l’État est aussi un grand producteur de documents photographiques. Toujours actif aujourd’hui au sein d’un ministère changeant régulièrement d’appellation, le service est créé à la libération au sein du MRU (l’alors ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), dans le but de documenter les travaux d’une France qui panse par le béton les destructions de la Seconde Guerre mondiale. Des précédents existaient : avant la guerre, en 1935, les Américains avaient doté la Farm Security Administration (FSA), agence d’aide à l’agriculture, d’une section photographique chargée de documenter les conditions de vie des paysans étasuniens. Quelques années plus tard, l’Office of War Information sera aussi un grand pourvoyeur d’images. Si le travail de la FSA a été très diffusé, en raison de la personnalité de certains de ses membres – Walker Evans, Dorothea Lange ou Gordon Parks –, le fond du MRU est resté plus confidentiel. Les 36 000 photographies relatant l’histoire urbaine française entre les années charnières 1945 et 1958 sont entreposées aux archives nationales, où elles forment une « masse anonyme Â», selon Didier Mouchel, chercheur travaillant sur ce fond de documents rarement légendés ou commentés. Le crédit MRU remplace souvent le nom des auteurs, laissés dans l’ombre. D’un groupe de cinq photographes employés au ministère émergent Henri Salesse $(voir$ d’a $n° 189)$ ou Pierre Mourier, qui ont en commun d’avoir appartenu au service photographique de l’armée de l’air. Certaines images ont pu être réalisées par des photographes plus célèbres, embauchés occasionnellement par le ministère, ou par les délégués régionaux n’ayant pas de compétences particulières en photographie. La qualité des prises de vue est inégale. Sous les objectifs de ces opérateurs obscurs défile une France oubliée, celle du temps où les HLM étaient blanches, de l’époque où la modernité architecturale partait à la conquête d’un territoire dévasté.


Images à message


Créé apparemment sans référence à la FSA ou à d’autres initiatives similaires, le service photographique du MRU répondait à des besoins précis et multiples : servir de base de travail lors de réunions internes, faire des inventaires ou des relevés architecturaux, documenter des techniques constructives expérimentales, illustrer des enquêtes sociales et enfin diffuser et exposer l’action du ministère – une forme de propagande douce. « L’effort de reconstruction ayant été orienté en priorité vers l’industrie et la finance, il s’agissait de montrer que la construction de logement avançait, avec des moyens et des techniques modernes, reposant sur l’usage de béton, le recours à la préfabrication, d’où la mise en avant de certaines opérations répondant à ce type d’approches, explique Mouchel. Il fallait aussi convaincre les gens de construire selon des normes modernes, montrer l’éradication des taudis et l’émergence d’un urbanisme novateur. Â» La photographie était avec le cinéma, employé plus rarement, l’un de ces outils de la communication moderne. Les campagnes de prises de vue prenaient la forme de déplacements en province dépassant rarement la semaine. Le photographe était accueilli par des délégués locaux du ministère, qui l’emmenaient en tournée dans le département ou sur un site particulier. Selon Didier Mouchel, « la priorité revenait aux opérations financées par l’État, celle où le MRU était partie prenante, comme la cité de Noisy-le-Sec, l’îlot 4 à Orléans, avec l’idée constante de rassurer les populations sur le bon avancement des travaux Â». Ces excursions empiriques laissent-elles un panorama exhaustif de l’urbanisme étatique des trente glorieuses ? « Il y a forcément des oublis, souligne Mouchel. Les archives du MRU, ce n’est pas la reconstruction de la France, mais la vision du ministère de la Reconstruction. Â» Une vision portée par un certain optimisme, une foi dans la puissance de l’État et le progrès. Un monde décidément révolu, dont seules les images de fringants logements sociaux conservent la trace.



La phrase

« Les milliers de photographies réalisées par les opérateurs du MRU illustrent aujourd’hui l’effort entrepris au lendemain de la guerre. Elles marquent aussi l’importance de l’image pour les commanditaires, qui devaient tout à la fois convaincre de la nécessité de construire et démontrer la qualité d’un urbanisme nouveau. Â» Danièle Voldman, dans Photographie à l’œuvre, enquêtes et chantiers de la reconstruction, 1945-1958, Le Point du Jour/éditions du Jeu de Paume, 2011.


Le fond du MRU fait l’objet de deux expositions : « Photographier pour reconstruire, archives photographiques du MRU en Picardie Â», jusqu’au 29 novembre 2015 à la Galerie de la Tapisserie, 22 rue Saint-Pierre, Beauvais, dans le cadre du festival Photaumnales 2015. « Photographie à l’œuvre, la reconstruction des villes françaises (1945-1958) Â», galerie Robespierre, Grande-Synthe, jusqu’au 30 octobre 2015.

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