Nouvel répond

Rédigé par Jean NOUVEL
Publié le 20/11/2014

AC COBRA

À la suite de notre dossier sur les dérives budgétaires de la Philharmonie de Paris, Paul Chemetov avait fait part de son indignation sur darchitectures.com dans une lettre ouverte à Jean Nouvel – Philharmonie : du pain et des roses. Celui-ci réagit dans un texte qu'il vient de nous envoyer.

(Pour ceux qui ne sont pas férus d'automobile, précisons que l'AC Cobra est une voiture de sport conçue par le pilote texan Carroll Shelby au début des années soixante)

AC COBRA


Paul Chemetov, quelle bonne idée de comparer le prix de la Philharmonie de Paris à des prix de voitures ! Puisque ce n’est pas du tout une idée démagogique, je vais essayer de prolonger cette comparaison… Le texte publié par « D’A Â» de mars 2014 est une véritable attaque ad hominem, « style confrère aigri Â» qui comme par hasard, revient dans « Regards Â», environ huit mois après. Calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose… Mais peut-être ai-je mal compris. Paul Chemetov est sûrement de bonne foi. Il a simplement confondu la surface du parking – 20 000 m² – avec la surface de la Philharmonie elle-même qui compte, en plus, 87 000 m² de planchers construits et accessibles. Peut-être ne sait-il pas aussi qu’une salle philharmonique, ce n’est qu’un peu plus de 3 000 m², mais c’est 33 000 m3 en volume direct et 50 000 m3 si on y ajoute les volumes servants accolés (les dessous et dessus techniques). Ce qui serait effectivement l’équivalent du volume d’un immeuble « normal Â» d’environ 20 000 m².


Peut-être ne sait-il pas les obligations techniques et onéreuses liées à la masse, au silence absolu créé, aux équipements scénographiques qui font que le prix d’une grande salle philharmonique ramené au siège est internationalement d’environ 100.000 â‚¬ ce qui je le concède – puisque Paul Chemetov est un exceptionnel spécialiste des comparaisons entre les mètres carrés artisanaux et archaïques d’une architecture de béton avec le mètre carré des readymade automobiles – atteint le prix d’une voiture d’affaires. Mais Paul Chemetov confond tout et nous fait croire que la construction de ce futur « centre Pompidou de la musique Â» coûterait 386 millions d’euros, chiffre évoqué dans la presse qui correspond au prix total de l’investissement (assurances, premiers équipements, installations et frais compris). En réalité, le coût total des marchés de construction est de 248 millions d’euros, soit précisément environ 100 000 â‚¬ par siège de la salle de concert qui en contient 2400, équipement particulièrement sophistiqué qui intègre de très nombreux programmes annexes : 6 salles de répétitions, de nombreuses loges et studios de répétitions individuels, des espaces d’expositions, des foyers et des espaces de réception, une école de musique de onze classes, des restaurants, un café, des bureaux, etc.


Remarquons pour le spécialiste des chiffres qu’en vingt ans, même à 20 â‚¬ la place de concert (!), l’investissement architectural et scénographique est amorti.


Mais pourquoi diable ne pas pouvoir comprendre le caractère populaire de ce véritable « Centre Pompidou de la musique Â» caractérisé par la mutation du programme traditionnel d’une salle symphonique ? Elle devient ici pour la première fois flexible, pouvant aller de 2 400 à 3 400 personnes, et élargit complétement le répertoire conventionnel, allant de la musique contemporaine au jazz, des musiques du monde à, évidemment, le répertoire classique – en 50 ans, 15 millions de voyages dans la musique dans un vaisseau haute-fidélité qui transportera les mélomanes vers des sensations inouïes… Ainsi combien de centaines de milliers de vocations vont-elles naître ? Combien de jeunes d’aujourd’hui à l’échelle du Grand Paris, de Paris, et de la Seine-Saint-Denis, de cette génération amoureuse des musiques, vont venir dans cette Philharmonie du Parc de la Villette qui sera encore plus que jamais lieu populaire, et ou dans la nouvelle halle de la musique, véritable préau et salle couverte d’environ 5 000 m², tout le monde écoutera et regardera des douzaines de retransmissions des concerts précédents, ceci en liaison avec les expositions et les espaces pédagogiques ?


A supposer, comme Paul Chemetov l’imagine, que des ouvriers passent leur vie entière de travail à construire ce programme, ce lieu d’épanouissement populaire, je ne crois pas qu’ils auraient le sentiment d’être inutiles sur cette terre. Non, Paul Chemetov, je ne construis pas une salle de concert de plus à un prix extravagant et non, je ne suis pas mis sous tutelle pour incompétence, comme tu le suggères si aimablement. On met sous tutelle les irresponsables ou les incompétents. J’ai construit les salles de concert de Lucerne et de Copenhague, l’Opéra de Lyon, les grands théâtres du Guthrie à Minneapolis. Tous ces lieux ont une aura internationale établie. J’en suis remercié par les musiciens, les directeurs, les mélomanes très régulièrement. Et ils continuent à me demander de travailler avec eux.


A la Philharmonie, si je suis écarté, c’est justement parce que je veux faire mon métier. Parce que je veux contrôler les ordres de service et les sommes données aux entreprises. Pour contrôler les coûts. Pour l’inverse de ce que tu sous-entends. Mais, rassure-toi, je m’expliquerai en temps et en heure. Pour le moment, je défends l’architecture de la Philharmonie de Paris. Bec et ongles. Et toi tu veux faire croire que je fais l’inverse ! Toutes les saloperies répandues par la presse et par ceux qui ont intérêt à m’affaiblir, cette rançon de la gloire qui veut que la moindre défaillance d’une entreprise ou d’un bureau d’étude ou d’un commanditaire deviennent automatiquement ma faute, tous ces ragots, tu les amplifies. Tu te délectes de mes malheurs et de ceux de la Philharmonie. Mais tu aimes déstabiliser en critiquant les principales propositions des grands projets non jugés. Tu aimes juger d’abord. Sur les Halles de Paris par exemple, tu as défendu le projet le plus démago, le plus bas (à la fois dans les ambitions et dans l’épannelage). Sur le projet du Grand Paris, j’ai remarqué ton mépris pour les idées émergeantes. Pourtant, pour moi, l’AUA de Renaudie, Perrotet, Desroches, Huidebro entre autres, a toujours soutenu chaleureusement des propositions généreuses et inventives…


Mais, bref, récapitulons Paul Chemetov : 20 000 m² ce n’est pas la surface de la Philharmonie mais celle de son parking de 600 voitures. La Philharmonie c’est 107 000 m2 de planchers construits, c’est près de 8 000 personnes qui peuvent profiter simultanément de cet équipement culturel populaire. Le prix de la philharmonie ramené à la place de parking, c’est environ 500.000 â‚¬, soit peut-être le prix d’une AC Cobra de collection. Oui ? Ce sera le mot de la fin : assez cobra !


A bon entendeur salut.

Jean Nouvel

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michael GREGORI   -   le 23/01/2015

Bien que je n'apprécie pas l’esthétique de la philharmonie de Paris, l'équipe de Jean Nouvel a montré ces qualités avec cette réalisation.
Le débat sur le coût de l'ouvrage est déplacer. Construire cette équipement vaux mieux à prix égale que de construire quatre avions Rafales.
Merci à Jean Nouvel d'être si précis dans sa réponse sur le coût au m2. Nous pouvons ainsi apprécié les difficulté surmonté par les concepteur pour construire cette édifice aux formes discutables. Les architectes ont trouvé des solutions constructives simples et courantes.
C'est là un travail d'une grande qualité qu'il nous faut respecter. Pour cela l'atelier Jean Nouvel mérite le soutient de l'ensemble de la profession.

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