Salle d’exposition temporaire et théâtre au château d’Hardelot, Condette, Pas-de-Calais

Architecte : Silvana Bartoli et Céline Medina, Andrew Todd
Rédigé par Rafaël MAGROU
Publié le 24/11/2016

À 10 miles au sud de Boulogne-sur-Mer, Hardelot a été le point de passage de Jules César et de Napoléon pour conquérir l’Angleterre. Au XIXe siècle, le château médiéval remanié devient propriété de John Whitley, fondateur des stations balnéaires de la Côte d’Opale. Dernièrement, le réalisateur Bruno Dumont y a tourné les scènes intérieures de Ma Loute, pendant qu’à l’extérieur les chantiers de la salle d’expositions temporaires des architectes Silvana Bartoli et Céline Medina et du théâtre élisabéthain de l’architecte Andrew Todd étaient en cours.

 

 

Hardelot proviendrait d’un mélange de langues germaniques et de dialectes locaux, signifiant « lieu solide Â». Pour autant, c’est sur les ruines du château médiéval que le manoir néo-Tudor est érigé au XIXe siècle. Hybride par son arrangement de tourelles et de créneaux avec des modénatures gothiques, cette construction surprend surtout par sa petite taille. Avec une porte d’entrée de 2 mètres de haut, elle apparaît plus comme un décor qu’une forteresse imprenable… Toutefois, après dix siècles de conflits permanents entre France et Angleterre, elle symbolise une amitié durable par la signature de l’Entente cordiale, dont le centre culturel actuel qui l’anime porte le nom. Hall, fumoir et autres salons arborent des pièces de mobilier, bustes, animaux naturalisés, vaissellerie, etc. témoignant des époques et des personnages qui ont vécu ou fréquenté les lieux. Bien remplis, les espaces ne permettaient pas de disposer d’expositions thématiques temporaires. Une extension dans les murs autorise désormais cette approche complémentaire et saisonnière.

 

Une extension intra-muros

Depuis la cour du château, seule une paroi laisse deviner une intervention récente, d’autant que le rythme de cette nouvelle muraille est vertical, par opposition aux lits de pierres horizontaux existants. Selon la lumière, la nature de cette peau vire du minéral au métallique, apparaît comme une masse ou un paravent déployé. Réalisée en béton fibré ultra-haute performance, cette paroi est en fait composée de hautes plaques qui pivotent pour révéler des branchies orientées. « Nous voulions symboliser l’épaisseur du mur par ces lames Â», expliquent Silvana Bartoli et Céline Medina. Percée de quelques meurtrières surlignées de laiton, elle offre des regards très serrés sur la cour. Derrière se découvrent les espaces temporaires accessibles par une porte dérobée sur le côté, découpée dans un large pan cuivré qui crée le lien entre nouvelle façade et ancien mur. Une fois ce seuil franchi, on découvre un espace dilaté, à la fois unitaire et morcelé par des jeux de plafonds décalés. « Toiture en pente oblige, ce sont en fait plusieurs pans qui accrochent les héberges du chemin de ronde et du mur d’enceinte. Â» Imperceptibles côté cour depuis le parc, ces volumes de béton immaculé émergent derrière les vieilles pierres. Entre eux, des échancrures triangulaires autorisent quelques rais de lumière à pénétrer dans la grande nef créée.

Le volume, composé de parois en gypse blanc et d’un parquet en bois sur chant, est relié aux salons par un grand escalier en marches encastrées. Les contraintes patrimoniales, structurelles et fonctionnelles ont drastiquement réduit la surface dévolue aux expositions. D’autant que l’espace offert n’est pas exploité dans sa pleine mesure : l’exposition actuelle de robes de la période victorienne aurait peut-être mérité une scénographie plus aérienne que ces mannequins plombés au sol…

 

Un théâtre extra-muros

Comme au temps de Shakespeare, où les théâtres n’avaient pas droit de cité dans les murs de la ville, le théâtre du château d’Hardelot est dressé hors les murs, à l’entrée du domaine. Malgré sa taille modeste, il semble démesuré par rapport au patrimoine miniature qu’il jouxte. Dans les années 2010, c’est un autre théâtre en structure bois recouvert d’une bâche, la Tour vagabonde, qui s’était établi sur la carrière équestre voisine. Issue d’un travail au long cours, notamment aux côtés de Peter Brook, la conception d’Andrew Todd est plus pérenne et respectueuse de l’environnement. « L’espace élisabéthain est le fruit de la distillation de l’espace scénique pour atteindre l’essentiel et viser la présence de l’être Â», explique-t-il. Des théâtres The Rose shakespearien aux Bouffes du Nord brookiens, « il s’agit de rechercher quelque chose d’universel, sans que la forme ne soit limitée à une époque Â». En marge du Brexit, ce théâtre fièrement élisabéthain – unique sur l’Hexagone – peut néanmoins témoigner de cette empreinte durable de la culture anglaise sur le continent.

 

Une présence étrange, sinon étrangère

Le long de l’allée des marronniers qui donne accès au château, le filtre en chaumes de bambous (importés de Bali) enveloppant la construction surprend sur ces rivages des Hauts-de-France. Une « Ã©trangeté Â», au sens propre comme figuré du terme. Assumée par son concepteur, elle caractérise désormais ce théâtre élisabéthain du XXIe siècle. « Il nous semblait nécessaire de donner de la dématérialisation, de la vibration et de la légèreté à ce gâteau de bois taillé aux besoins de la volumétrie Â», explique l’architecte. Surmonté d’une couronne rayonnante, l’équipement est composé d’une structure enveloppante en parois de bois d’épicéa lamellés, qui repose sur un socle enterré en béton. Préfabriqués dans des ateliers à Munich, les panneaux ont été assemblés sur place en quelques semaines. En recouvrement de l’étanchéité, des lamelles biseautées de même essence strient verticalement les masses décalées, exhibant du bois à l’intérieur comme à l’extérieur. Au gré de l’exposition, au soleil comme à la pluie et aux vents, la robe de l’édifice va donc se patiner aléatoirement, du gris au brun. Finalement, l’homogénéité sera donnée par les bambous, rhizomes a priori insensibles à l’eau, quoiqu’ici soumis au froid.

 

Une salle conforme à l’esprit shakespearien

Imposant de l’extérieur, l’édifice révèle une salle conviviale répartie en 388 places étagées en trois galeries au-dessus d’un parterre. « Chaque spectateur n’est jamais à plus de 10 mètres du nez de scène. Â» En guise de toit, une cheminée coiffe l’édifice et expulse l’air extérieur entré par les lamelles du soubassement. Contrôlée par des capteurs sensibles aux variations de température et de CO2, cette ventilation, gérée par un logiciel, traverse la salle. Elle s’est avérée un peu fraîche lors des spectacles ; sans doute un moyen de maintenir l’attention des spectateurs. Limite de l’hommage rendu à la scène élisabéthaine, des poteaux supportant les galeries gênent la visibilité d’une quinzaine de places. Mais Andrew Todd en retire une dimension poétique : « Ces éléments renforcent la verticalité du lieu, fondamentale dans l’esprit shakespearien. Ils sont comme des corps et matérialisent la présence de personnes. Â» Enfin, en couronnement de la salle, un bandeau vitré équipé de stores télécommandés offre la possibilité – et le confort – de travailler à la lumière naturelle.

 

Un potentiel scénique à explorer

Composée à 90 % de bois, l’architecture offre de belles sonorités, autorisant des jeux diversifiés, depuis les galeries jusqu’à la scène. Avec 8 mètres d’ouverture, cette dernière communique directement avec la salle par son avancée. Grâce à une machinerie, ce proscenium peut descendre pour accueillir un orchestre d’une trentaine de musiciens. En fond de scène, une façade-décor en bois percée de portes et fenêtres fait clairement référence au format shakespearien. En outre, elle peut coulisser et dégager une arrière-scène. Autant de potentialités qui ne demandent qu’à être expérimentées, compte tenu de l’outil ici mis à disposition, pour un coût de 6 millions d’euros. En cours d’élaboration, la programmation demeure principalement focalisée sur le Midsummer Festival et des week-ends événementiels. « Ã€ la fois lieu de diffusion et de production, le projet atteindra sa maturité en 2018, suivant un axe d’hybridation des spectacles, avec trois résidences, l’une axée sur Shakespeare, l’autre dédiée à un jeune auteur contemporain et une troisième à un spécialiste de la scène reconnu Â», explique Valérie Painthiaux, directrice du centre culturel.

Quatre cents ans après la mort du dramaturge britannique, ses textes résonnent de manière étonnamment contemporaine. « Il existe une récurrence entre textes shakespeariens et actualité migratoire. Ses pièces sont pleines d’étrangers, de naufragés, de migrants Â», rappelle malicieusement Andrew Todd, alors qu’à quarante minutes au nord, la « jungle de Calais Â» focalisait tous les médias. Elle vient d’être démantelée. Le théâtre, lui, demeure.



Maîtrise d’ouvrage : Centre culturel de l’Entente cordiale, département du Pas-de-Calais

Théâtre élisabéthain

Maîtrise d’œuvre : Studio Andrew Todd

Scénographie et acoustique : Charcoalblue

Jauge : 388 places (configuration élisabéthaine), 298 (lyrique, musique baroque), 352 (conférence)

Dimensions scène : 5,30 m de profondeur x 8 m de large

Surface : 28 mètres de diamètre (cage de bambou), 19 m (diamètre ext.), 13 m (diamètre int.)

Coût : 6 millions d’euros HT

 

Salle d’exposition temporaire

Maîtrise d’œuvre : Bartoli Medina architectes

BET structure : BFUHP, C&E

Acoustique : BA BAT, LASA

Scénographie : Scene

Shon : 280 m2

Coût : 1,8 million d’euros HT


Lisez la suite de cet article dans : N° 250 - Décembre 2016

Vue aérienne du site du château d'Hardelot<br/> Crédit photo : DR  Dans l’enceinte du château, la salle d’exposition temporaire s’affirme par un écran détaché des vestiges de pierre<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel Le paravent en fines lames de béton masque une entrée dérobée<br/> Crédit photo : DENANCÉ Michel En appui contre une allée de marronniers, le cylindre du théâtre élisabéthain présente une robe vibratile qui réagit à la lumière diurne comme à l’éclairage nocturne<br/> Crédit photo : ARGYROGLO Martin À l’intérieur, configuration et textures de la salle révèlent une atmosphère proche du sacré<br/> Crédit photo : ARGYROGLO Martin

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