Stéphane Chalmeau, la photographie d’architecture comme pratique de l’espace

Rédigé par Marie-Madeleine OZDOBA
Publié le 08/11/2016

Stéphane Chalmeau

Article paru dans d'A n°249

La Bretagne est le territoire d’élection de Stéphane Chalmeau. Photographe engagé au service des architectes et de la culture architecturale locale, il défend une image habitée et contextualisée de l’architecture qui se nourrit de situations particulières et de moments éphémères, à l’opposé d’un état des lieux du bâtiment la veille de sa réception.

Auteur d’une exposition de portraits photographiques pendant ses études d’architecture à Nantes, Stéphane Chalmeau postule à AIA (Architectes Ingénieurs Associés) une fois diplômé. Mais c’est en tant que photographe que l’agence lui propose une mission, pour réaliser les portraits de ses 200 collaborateurs sur leurs lieux de travail – un imprévu qui orientera durablement sa trajectoire professionnelle du côté de l’image. Après une rencontre avec le photographe Philippe Ruault, qui lui suggère qu’il y a quelque chose à faire en photographie d’architecture en dehors du travail à la chambre, Stéphane Chalmeau s’installe à son compte avec un appareil classique. À ses débuts, il travaille surtout dans l’Ouest, de la Bretagne à la région de Bordeaux. Vient ensuite une période parisienne où il sera repéré comme photographe de la « French Touch Â». Mais la Bretagne, où il est aux premières loges des mutations urbaines, reste son territoire d’élection.

Comme Julius Shulman pour la Californie du Sud des années 1950, Stéphane Chalmeau contribue à archiver et à promouvoir une culture architecturale intimement liée à une aire géographique. Mais le parallèle entre ce photographe d’architecture de l’Ouest français et son prédécesseur de l’Ouest américain va bien au-delà : comme lui, Stéphane Chalmeau se définit en tant que photographe au service de la communication des architectes, répondant à des commandes ; il développe un travail géométral, souvent frontal au bâtiment et sans perspectives exagérées – une convention de la photographie d’architecture dont il revendique la connaissance et la maîtrise. Selon lui, c’est précisément à travers ce caractère conventionnel que la photographie d’architecture acquiert sa capacité à représenter une époque, ses modes de vie, mais aussi les spécificités d’un territoire.


Une photographie d’architecture habitée et contextualisée

Pionnier dans les années 2000 de la photographie d’architecture à l’appareil photo réflex numérique avec optique à décentrement, Stéphane Chalmeau s’est pourtant remis à la chambre – compacte et numérique – il y a cinq ans. Il s’agit pour lui de résister à une standardisation de l’image, qui résulte de l’utilisation des mêmes capteurs et des mêmes logiciels de traitement de l’image par les photographes d’architecture. Mais pour lui, le débat sur le matériel élude les vraies questions, qui concernent davantage les choix du photographe et sa conception même de la photographie d’architecture : il donne l’exemple d’Iwan Baan, photographe néerlandais qui a véritablement déclenché une nouvelle image – habitée et contextualisée – de l’architecture, faisant vaciller le standard du bâtiment inhabité, photographié la veille de sa réception. Pour Stéphane Chalmeau, le bon moment pour photographier un projet est multiple : c’est la fin du chantier, puis quelques mois après, lorsque les lieux commencent à être occupés. La photographie d’architecture se nourrit alors de situations particulières et de moments éphémères, que ce soit une étape du chantier ou la tombée de la nuit et ses ciels violacés, qu’il affectionne particulièrement.

Stéphane Chalmeau cherche à inclure les usagers dans ses photographies – que ce soient les ouvriers de chantier ou les habitants – et il n’est pas rare qu’à défaut il s’inclue lui-même en photographiant son reflet. Selon lui, il convient de bien distinguer la photographie d’architecture – une photographie habitée – d’un état des lieux : il explore d’abord les bâtiments dans leur contexte, tourne autour, s’en approche petit à petit, puis s’engage à l’intérieur. Il passe volontiers vingt-quatre heures sur place, « se pose Â», s’imprègne du contexte et, surtout, il prend beaucoup de photos. Sinon, dit-il, le risque est grand « de rater une certaine vue ou une certaine lumière Â».


Un photographe engagé

En tant qu’architecte de formation, Stéphane Chalmeau est très attentif à l’usage des bâtiments ainsi qu’à la qualité des espaces, ce qui le conduit parfois à être très critique à l’égard de ce qu’il juge comme un appauvrissement des programmes de logements à l’heure actuelle. Très actif sur Twitter, il se dit volontiers militant, s’engageant pour des architectes dont le travail mérite l’attention de la presse. Dès les débuts de la photographie, alors que les Louis Daguerre de ce monde cherchaient par tout les moyens à réduire les temps d’exposition, l’être humain a été un sujet de prédilection. Du moins autant que le milieu dans lequel celui-ci évolue. Il est donc difficile d’établir une définition claire, puisque ce genre photographique peut en englober plusieurs autres, de ce qu’est la photographie urbaine (ou street photography) si ce n’est pas son côté anthropologique : il s’agit de montrer les gens dans leur quotidien en y ajoutant son regard de photographe. Il n’hésite pas à donner son avis et regrette le propos trop souvent descriptif et pas assez critique d’une certaine presse spécialisée. Face à l’apparition des blogs d’architecture comme ArchDaily, il met en garde contre le danger que représente ce bouleversement du paysage éditorial, alliant l’accumulation massive et indifférenciée des projets publiés et une politique de non-rémunération des photographes.

Si la commande type de Stéphane Chalmeau est « on vient de finir un bâtiment, rendez-vous pour une séance photo cinq jours avant la livraison Â», sa commande idéale serait plutôt celle qu’il a reçue pour un livre sur l’architecte rennais Georges Maillols : photographier un parcours complet, 32 projets des années 1950 aux années 1980, en s’offrant le temps nécessaire pour exercer la liberté de son regard.



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