Structure équipée, Le Lieu de vie, Saclay

Architecte : Studio Muoto
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 16/02/2017

Comment revenir sur un bâtiment que la presse architecturale a déjà beaucoup commenté après l’Équerre d’argent qui lui a été décernée en novembre dernier ? Peut-être en parlant uniquement de la manière dont il répond à trois questions fondamentales de notre contemporanéité, des réponses qui semblent aller de soi mais qui pourtant font problème aujourd’hui…

 

Le Lieu de vie se dresse au carrefour de deux voies, comme une station-service greffée à son autoroute. Mais ici les auvents se superposent pour accueillir différentes activités mises en exergue, comme s’il s’agissait essentiellement d’inséminer des corps en mouvement dans un lieu désert : porteurs de plateaux cherchant leurs tables et cuisiniers s’agitant autour de leur piano, sportifs attelés à leur tapis de course, leur simulateur d’escalier ou leur cycloergomètre. Enfin, joueurs de basket s’entraînant en toiture comme si leurs sauts étaient le véritable couronnement du bâtiment.

Quelles sont donc les questions auxquelles répond cette construction d’un peu plus de 2 000 m2 ?

D’abord, la question du contexte général – le plateau de Saclay, un territoire distendu et toujours cultivé qui se voudrait la Silicon Valley française – et celle du voisinage immédiat : la Maison de l’ingénieur, un projet construit par Michel Rémon au début des années 1990 et alors isolé dans son champ. Ensuite, la question du dimensionnement, qui reste au cœur de l’architecture depuis son origine. Comment donner à chaque chose sa juste taille, ni trop petite ni trop grande, pour qu'elle puisse entretenir une relation naturelle avec le corps de l'utilisateur sans pour autant lui prescrire des dimensions standards qui la rendraient invisible… ? Enfin, la question de structure, que souvent les architectes délèguent à l’ingénieur, préférant se préoccuper de la texture, comme si finalement Gottfried Semper avait depuis longtemps terrassé Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc sur l’autel de la contemporanéité.

 

CONTEXTE

Le plateau de Saclay : des champs cultivés qui voudraient devenir un cluster industriel, comme La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf de la fable. Comment imaginer le désenchantement du visiteur qui pénètre sur ce territoire et ne trouve que des infrastructures routières avec çà et là quelques constructions timides éparpillées entre les champs et les bosquets ? La première qualité du Lieu de vie de Muoto est d’avoir su résister à l’étalement pour oser la verticalité et affirmer la densité et la congestion. Ainsi les terrains de sport ne viennent pas occuper l’espace libre autour du restaurant – comme proposait de le faire en partie l’étude de faisabilité de Xaveer De Geyter –, mais ils sont tous déportés au-dessus, comme dans les villes où l’espace interstitiel est le plus rare, pour inoculer un peu de manhattanisme là où la campagne s’impose dans sa toute-puissance. Une expérience que renouvelle plus loin, mais in vitro, Rem Koolhaas en reconstituant comme dans un studio de cinéma l’univers de Wall Street au cœur de son École centrale, dont le chantier est aujourd’hui bien avancé.

La superposition des fonctions jusqu’à la limite de hauteur permise par la réglementation urbaine permet de n’occuper que la moitié de la parcelle et ainsi de dégager un vaste parvis que le nouvel équipement partage généreusement avec la Maison de l’étudiant de Michel Rémon. Un immeuble qui trouve ainsi le biotope adéquat à son développement optimal : sa proue en porte-à-faux s’ouvrant enfin sur un espace à sa mesure. Cette architecture corbuséenne de volumes prend plus de sens dans sa confrontation avec cette archi-structure. Une politesse à mille lieues de la culture du pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette en vigueur sur la zone. Ainsi, le campus EDF, dont le nouveau bâtiment d’ECDM vient tacler celui de Francis Soler sans produire le moindre effet de collage urbain. Une juxtaposition violente qui exprime seulement pour la énième fois la rencontre fortuite du club sandwich et des gazomètres sur un champ de céréales, un effet surréaliste éventé dont même le Comte de Lautréamont (1846-1870), son inventeur, doit commencer à se lasser.

 

MESURE

Ce projet qui pourrait paraître non-composé – une simple superposition de plateaux – est au contraire méticuleusement prémédité. Ainsi les poteaux cylindriques en béton placés en retrait sont-ils les plus fins possible pour faire apparaître dalles et poutres surdimensionnées et lévitant dans l’espace. La hauteur des retombés (90 cm) et la hauteur inhabituelle sous poutre (2,10 m) provoquent un effet d’écrasement qui renforce encore ce sentiment contradictoire de lourdeur et de flottement, de pesanteur et d’apesanteur. Un dispositif qui permet cependant de conserver des hauteurs sous plafond confortables, et même très amples lorsqu’un demi-plateau disparaît comme dans la salle du restaurant.

Cet effet de compression des plateaux fait apparaître le double escalier central encore plus large qu’il n’est réellement. Ses volées semblent ainsi presque naturellement venir chercher les passants sur la place et sur la rue, comme s’il s’agissait de passer de sol en sol. Au rez-de-chaussée, le bâtiment paraît s’enfoncer dans la terre comme une ruine du Campo Vaccino, tandis que le demi-étage du restaurant se desserre, provoquant en effet hélicoïdal de décompression qui se poursuit par la haute structure en béton portant les protections grillagées des terrains de sport. Un effet qui pousse les piétons à modifier leur comportement et à lever la tête là où son mouvement naturel reste confiné au balayage horizontal.

 

STRUCTURE

Mais l’impression la plus forte que procure ce bâtiment, c’est qu’il s’affirme comme une structure équipée. Pas de cloisonnement mais simplement des dalles, des poutres et des poteaux. Pas de revêtement de sol mais du béton poli. Les garde-corps, les vitrages, les stores extérieurs et intérieurs – permettant la maîtrise de l’effet de serre – viennent se fixer aux nez des planchers. Tandis que dans les espaces protégés, l’éclairage électrique et les convecteurs rayonnants – qui procurent une sensation proche du rayonnement solaire – s’immiscent entre les poutres.

La superposition d’espaces ouverts sur des espaces fermés – terrasse du premier étage au-dessus de la cafétéria et terrains de sport au-dessus des salles de gymnastique et du restaurant – oblige à placer les isolations thermiques des espaces protégés sous des chapes – plutôt même des dalles inversées –, tandis que les eaux pluviales sont habilement dévoyées au centre du bâtiment.

Une structure qui s’organise de manière rigoureusement symétrique, selon deux axes – l’un longitudinal, l’autre transversal – et qui réserve son centre de gravité aux circulations verticales et aux locaux techniques. Cette composition affirme ainsi son autonomie formelle au-delà des questions d’usages et de programmes auxquelles elle semblait a priori soumise. Une manière de renverser la vapeur et de rappeler qu’elle existe avant tout comme une organisation souveraine : un espace public vertical qui peut condescendre à abriter pour un temps des activités triviales de restauration et de sport.



Programme : Restauration collective, café, bureaux, terrains de sport, salles de fitness, espaces d'accueil et d'animation, espace de livraison, espace public
Maîtres d'ouvrages : Etablissement Public d'Aménagement Paris Saclay (EPAPS)
Maîtres d'oeuvres : Studio Muoto
Consultants : Y Ingéniérie, Bollinger & Grohmann, Alternative, Novorest
Surface SHOB : 4 097 m2
Cout : 6 500 000 €
Date de livraison : 2016


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

Les différentes activités viennent se ranger sur les dalles superposées comme sur des étagères, libérant un parvis creusé de tapis engazonnés.<br/> Crédit photo : Studio Muoto - Levez les yeux ! Le chauffage rayonnant et les tubes fluorescents s’immiscent entre les poutres du plafond du restaurant pour dessiner une composition abstraite.<br/> Crédit photo : Studio Muoto - Le bâtiment s’affirme comme une structure équipée. Pas de cloisonnement mais simplement des dalles, des poutres et des poteaux.<br/> Crédit photo : Studio Muoto - Les garde-corps, les vitrages, les stores extérieurs et intérieurs – permettant la maîtrise de l’effet de serre – viennent se fixer aux nez des planchers.<br/> Crédit photo : Studio Muoto - Les joueurs de basket s’entraînent en toiture comme si leurs sauts étaient le véritable couronnement du bâtiment.<br/> Crédit photo : Studio Muoto -

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