La premiËre mission de la Cellule est l'assistance ‡ la maÓtrise d'ouvrage publique, comme ici avec la crÈche du CPAS d'Habay-la-Neuve, remportÈe par HBAAT Hart Berteloot / Atelier Altern Paysagistes (2015-2017) (c) HBAAT |
Dossier réalisé par Pierre CHABARD La Belgique francophone, si proche et partageant (presque) la même langue, pourrait paraître, à première vue, très semblable à la France, notamment en matière de politique architecturale publique. Cependant, sur ce plan comme sur bien d’autres, elle s’en distingue singulièrement. Alors que la Direction de l’architecture de notre ministère de la Culture manque, depuis de longues années (depuis François Barré ?), de grandes figures et de grandes visions, l’action résolue et tenace de la modeste « Cellule architecture » de la Fédération Wallonie-Bruxelles mérite l’attention. |
Évidemment,
comme partout ailleurs en Europe, il ne faut pas entendre par « politique architecturale
» un investissement massif de la puissance publique dans le secteur du
bâtiment. Ce temps de l’État providence n’est plus le nôtre et la
dévolution progressive de ses compétences en la matière à la
puissance privée a les conséquences architecturales que l’on sait :
marginalisation des architectes dans des processus de projet toujours
plus normalisés et optimisés, rétrécissement de leurs missions et de
leurs honoraires, mais surtout de leur champ de conception et de recherche.
La Belgique, connue dans l’histoire pour son puissant secteur des travaux publics,
n’a pas échappé à ce processus massif. On pourrait même penser que la déconstruction
progressive de son appareil d’État à partir du tournant des années 1970, suite
aux conflits communautaires, a ouvert à celui-ci un champ plus libre qu’ailleurs.
Un cadre réglementaire labyrinthique, « une balkanisation des ressources et
une identification confuse des compétences2 » ont laissé orpheline la
création architecturale belge dans les dernières décennies du XXe siècle,
et tout particulièrement dans la partie francophone du pays, plus
pauvre, où le secteur est devenu singulièrement « déprimé et encore
curieusement négligé3 », « obéissant avant tout à des impératifs de
rentabilité4 ».
RÉACTION
Cette
situation particulièrement critique explique sans doute la vigueur du
sursaut intellectuel et institutionnel qu’on y observa au tournant des
années 2000 et qui s’est incarné de la manière la plus retentissante dans
le fameux Livre blanc de l’architecture contemporaine sorti en 2004.
Intitulé « Qui a peur de l’architecture ? », il émanait de l’École de
La Cambre alors dirigée par Jean-Louis Genard, avec l’appui de
l’architecte Chantal Dassonville, alors directrice des
infrastructures culturelles à la Communauté Wallonie-Bruxelles5. Le plus remarquable
dans cet ouvrage collectif – cosigné par des praticiens, des enseignants, des
chercheurs, des critiques, des membres de l’administration – n’était pas
tant le diagnostic qu’il dressait que l’arsenal de 36 propositions
institutionnelles qu’il préconisait (de la médiation culturelle de
l’architecture à la réforme de l’enseignement en passant par la réorganisation
de la profession ou la reconfiguration de la commande publique) mais
aussi, et surtout, le prolongement concret que ses signataires leur
ont donné par la suite. Tandis qu’en France, on est habitué à un certain
découplage entre activisme civique, lobbying sectoriel et action
publique, ils se sont là , semble-t-il, mutuellement nourris. C’est
dans ce contexte qu’il faut resituer la fondation en février 2007 de la «
Cellule Architecture » à la Fédération Wallonie- Bruxelles (FWB), Ã
l’initiative de Chantal Dassonville, membre depuis 1985 de cette administration
communautaire où elle fait avancer la cause de l’architecture (elle fut notamment
entre 1991 et 2002 maître d’ouvrage de l’emblématique opération de reconversion
du charbonnage du Grand- Hornu en musée des Arts contemporains – MAC’s
–, conçue par l’architecte Pierre Hebbelinck). Forte de la résolution du 12
février 2001 du Conseil de l’UE sur la « qualité architecturale » et de
l’élan impulsé par le Livre blanc, la Cellule se donne pour
principale ambition de tirer vers le haut la maîtrise d’ouvrage publique, en
« accompagn[ant] toutes les démarches de désignation des équipes
pluridisciplinaires de concepteurs pour les projets de construction
et de rénovation au sein du ministère6 », mais aussi, par capillarité ou «
par l’exemple », au sein d’autres organismes publics. En Flandre (et
dans certaines grandes villes du pays comme Anvers, depuis 2006, et Bruxelles,
depuis 2009), ce rôle d’interface est déjà endossé depuis 1998 par un Bouwmeester
(maître-architecte), fonction occupée successivement par les architectes Bob
Van Reeth (1998-2005), Marcel Smets (2005-2010) et Peter Swinnen
(2010-2015). Suite à la publication, tous les six mois, d’appels d’offres
publics ouverts, le Bouwmeester fait, parmi les équipes d’architectes qui
se sont portées candidates, le choix de celles qui participeront à la
sélection finale, sur la base d’un projet. Dans un pays qui globalement organisait
très peu de concours jusqu’au tournant des années 2000 – « une dizaine
par an en moyenne dont deux de niveau européen, donc soumis à la Directive (soit
2 % de leurs avis de marchés publiés au JOCE) », notait Véronique Biau Ã
propos de la Belgique en 19987 –, la mise en place de ces instances
qui accompagnent et régulent la désignation des architectes sur des
critères qualitatifs a largement contribué à stimuler la scène
architecturale.
SÉLECTION
L’engagement
de la Cellule architecture sur ce terrain relève, selon le Livre blanc, d’«
un impératif éthique et prophylactique » afin d’« en finir avec les
concours biaisés, avec les concours alibis, avec les jurys de complaisance »
et de conjurer « favoritisme, clientélisme, chasse gardée8 ». Il s’appuie aussi
sur une réflexion technique et critique menée de longue date, en interne,
sur les trois grands types possibles de procédures de mise en
concurrence dans les marchés d’architecture : l’appel d’offres (général ou restreint),
le concours et la procédure négociée. Le premier, souvent privilégié Ã
l’échelon municipal pour sa rapidité, présente l’inconvénient
d’exclure généralement la pré-esquisse et l’oral de présentation et donc
de sélectionner l’architecte sur des critères non architecturaux (souvent
le montant de ses honoraires). Privilégié en France, le second
établit certes la concurrence sur des projets. Mais, de par la règle de
l’anonymat qu’il implique, il met à distance maîtres d’oeuvre et
maîtres d’ouvrage pendant la période cruciale de la conception, empêchant
toute amélioration négociée du programme comme du projet. Combinant
les avantages des deux autres sans leurs inconvénients, la procédure négociée
(avec ou sans publicité ; et, si oui, avec publicité nationale ou
européenne selon le montant des travaux) est résolument promue par la
Cellule architecture comme la plus à même de garantir les principes
qu’elle défend. Le très détaillé et didactique Guide pratique des marchés
d’architecture9, qu’elle met à disposition gratuitement sur Internet
depuis février 2012 et qu’elle actualise régulièrement, égrène ces
principes : un cahier des charges clair et synthétique laissant une marge d’interprétation
; un jury ad hoc composé à parité d’architectes et de nonarchitectes ;
une première phase de sélection très ouverte sur la base de motivations
et de références pertinentes, y compris non réalisées (plutôt que d’un dossier
de références sur le même programme qui pénalise les petites et/ou les jeunes
agences) ; des séances in vivo de questions-réponses entre les architectes
et le commanditaire ; une seconde phase de sélection restreinte Ã
trois ou cinq équipes (rémunérées ; les honoraires étant fixés en amont
du processus par la Cellule) qui défendent à l’oral une pré-esquisse
(moins détaillée qu’un APS, donc plus ouverte) ; accompagnement du
projet lauréat jusqu’à sa validation définitive. Assez sophistiquée
dans son déroulement, cette procédure type demande un important travail
d’organisation et de logistique assumé principalement par la Cellule (montage
des jurys, établissement des cahiers des charges, pré-analyse des dossiers et
des pré-esquisses, etc.) afin de laisser au jury et au commanditaire la
part proprement « architecturale » du choix. Depuis 2007, près d’une
centaine de consultations d’architecture sont passés par la Cellule,
pour des opérations allant de 50000 à plus de 50 millions d’euros de travaux
et portant pour plus de la moitié sur des équipements culturels mais aussi sur
des équipements sportifs (environ 15 %) ou scolaires (environ 10 %). La Cellule
s’occupe principalement de programmes qui relèvent des compétences gouvernementales
de la FWB (culture, santé, éducation, etc.) en s’appuyant notamment
sur le décret du 17 juillet 2002 – qui oblige tout bénéficiaire de
subventions pour un projet d’équipement culturel à passer par la
Cellule architecture pour organiser le marché d’architecture. Mais l’expertise
qu’elle détient en matière d’aide à la maîtrise d’ouvrage et
d’organisation de concours intéresse aujourd’hui d’autres commanditaires
publics, en particulier les communes qui ne disposent pas de ces compétences
en interne.
MÉDIATION
Mettant
en lice des figures confirmées (Pierre Hebbelinck, Daniel Delgoffe, Baumans
& Deffet, Atelier Gigogne, etc.), cette politique volontariste a aussi
contribué, en dix ans, à structurer une génération émergente
d’architectes en Belgique francophone : V+, Baukunst, AgwA, Lhoas & Lhoas,
L’Escaut, MSA, Vers.A, Label Architecture, etc. (génération pragmatique et
engagée, marquée par la crise, affichant une nette prédilection pour une
pratique collective plutôt qu’« en son nom propre »). Mais ce qui
distingue l’action de la Cellule architecture, dont l’effectif n’est
pourtant que de cinq personnes et dont les prérogatives sont
confinées au départ aux seules compétences de la FWB, c’est qu’elle se déploie
à la fois en amont et en aval de la production architecturale (deux
versants essentiels qui, en France, sont traités séparément par des
instances publiques pas toujours coordonnées). Ici, les mêmes personnes non
seulement initient et pilotent des opérations, mais elles s’engagent par
la suite dans leur médiation tous azimuts et dans la promotion de
leurs architectes : publication des projets de concours dans la revue
A+, édition d’une collection de monographies de bâtiments réalisés (série «
Visions : Architectures publiques » qui en est à son onzième opus), et
d’un « inventaire » régulier de l’architecture publique produite en
Wallonie et à Bruxelles (premier volume, 2005-2010 ; deuxième volume,
2010-2013), mais aussi organisation de voyages de presse ou de prix
décernés aux architectes ou aux maîtres d’ouvrage. Revendiquant la
nature culturelle de l’architecture, Chantal Dassonville et son équipe
s’efforcent de la faire exister dans le débat public par divers moyens et
à plusieurs échelles (Journée de l’architecture, colloques, films
documentaires, expositions en Belgique, au Pavillon belge à la biennale de
Venise ou au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, etc.). Cet activisme
de la Cellule en faveur de la qualité architecturale ne doit cependant pas
faire oublier sa fragilité institutionnelle et les limites de son
rayonnement. Récemment, la province de Liège s’est lancée dans un
ambitieux projet de « pôle créatif », comprenant une médiathèque, des salles
d’exposition et une maison de la création, pour un budget de près de 40
millions d’euros. Pour cette opération stratégique située sur le site
sensible de la friche de l’ancien hôpital de Bavière, dans le quartier
d’Outremeuse, Liège n’a pourtant pas souhaité, pour « des raisons
budgétaires », organiser une consultation d’architecture et a préféré
solliciter ses services techniques pour concevoir le projet…10 Si, en
2015, un maître d’ouvrage public peut encore s’imaginer faire ainsi
l’économie de l’architecture pour un tel projet, on mesure le besoin
vital de la profession de bénéficier de relais institutionnels et de voir
proliférer les « cellules architecture » au sein de la fonction publique.
1. Cette instance gouvernementale administre les
populations francophones de Belgique résidant en Wallonie ou en région
bruxelloise, autrement dénommées la « Communauté française ». L’État
belge fédère ainsi trois communautés (francophone, néerlandophone, germanophone)
et trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles) ; ces entités fédérées, qui
disposent de leur propre gouvernement et Parlement, se répartissent, avec
l’État fédéral, les compétences publiques.
2. Chantal Dassonville, « La place de l’architecture
dans le paysage institutionnel francophone belge », in Jean- Louis
Genard & Pablo Lhoas (dir.), Qui a peur de l’architecture ?, Bruxelles,
La Lettre Vollée/ISA La Cambre, 2004, p. 93.
3. Jean-Louis Genard & Pablo Lhoas, «
Un processus de réflexion collective », in Ibid., p. 9.
4. Ibid., p. 17.
5. Dénommée, depuis 2011, Fédération Wallonie-Bruxelles
(FWB).
6. Chantal Dassonville, « Architecture publique
: Quelle politique de qualité ? », Pyramides (revue du centre d’études et
de recherches en administration publique), no 13, 2007.
7. Véronique Biau, Les concours de maîtrise d’oeuvre
dans l’Union Européenne, rapport de recherche du Centre de recherche pour
l’habitat pour le ministère de la Culture, 1998, p. 41.
8. Jean-Louis Genard & Pablo Lhoas, Ibid.,
p. 45.
9. www.marchesdarchitecture.be
10. Cf. « Bavière : Black Out ? », Dérivations.
Pour le débat urbain, no 1, septembre 2015, pp. 156-157.
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