10 questions à Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication

Rédigé par Christine DESMOULINS et EMMANUEL CAILLE
Publié le 29/09/2016

La ministre Audrey Azouley au Sénat

Article paru dans d'A n°248

Héritière d’un projet initié par sa prédécesseure, Audrey Azoulay a réussi à porter la loi Liberté de création, architecture et patrimoine et à la faire voter cet été par les deux chambres. Alors que certaines mesures sont déjà applicables et que les premiers décrets sont en discussion, d’architectures a souhaité interroger la ministre de la Culture et de la Communication sur l’esprit de cette loi et sur son engagement en faveur de l’architecture.


Da  : Nommée à la culture en plein débat au Sénat sur la loi LCAP (liberté de création, architecture et patrimoine), vous avez porte l’aboutissement de ce projet de loi. En tant que ministre, quel est votre sentiment après cette immersion rapide dans les questions liées à l’architecture et au patrimoine ?

Audrey Azoulay  : un sentiment de fierté du travail accompli par l’ensemble des équipes du ministère de la Culture, avec le souci d’un dialogue et d’une concertation étroite avec l’ensemble des partenaires et des parlementaires. La loi contient un ensemble de dispositions cohérentes relatives au patrimoine et à l’architecture. On a trop souvent opposé le patrimoine à l’architecture contemporaine, fabriquant là une fausse querelle des Anciens et des Modernes. Nous devons forger de nouveaux outils pour favoriser ce lien entre création et patrimoine  : le patrimoine que nous léguerons se fabrique aujourd’hui, et celui d’hier est parfois réhabilité et réinvesti, comme c’est le cas pour les friches industrielles.

L’architecture trouve donc ici naturellement sa place aux côtés du patrimoine. Ce texte est majeur pour l’architecture. C’est la première loi à traiter autant d’architecture depuis la loi fondatrice de 1977, dont nous fêterons bientôt les 40 ans.


Quels sont pour vous les points essentiels à retenir dans cette loi ?

Ils sont nombreux. La loi valorise et soutient l’architecture du quotidien, elle promeut l’innovation. S’agissant d’amélioration du cadre de vie quotidien, c’est l’objet de la diminution à 150 m2 du seuil au-delà duquel l’intervention de l’architecte est obligatoire pour le dépôt d’un permis de construire. C’est aussi le sens de la disposition qui rend obligatoire l’intervention de l’architecte pour la réalisation du projet architectural, paysager et environnemental des permis d’aménager les lotissements.

La loi redonne toute sa place à l’innovation dans l’architecture et favorise les processus expérimentaux. Cette créativité sera rendue possible notamment pour les porteurs de programmes de logements sociaux ou d’équipements publics, de façon encadrée. Ils auront la possibilité de déroger à certaines règles de la construction, afin de respecter l’esprit des normes, sans nécessairement s’y plier à la lettre.

Le rôle de l’architecte et, plus largement, de tous les concepteurs, est davantage reconnu. L’équipe de maîtrise d’œuvre devra ainsi être identifiée lors de la passation de contrats globaux. Il est important de permettre aux maîtres d’ouvrage d’exercer leur choix de maîtrise d’œuvre.

Plus largement, nous avons souhaité soutenir la demande de formation et de conseil  : le rôle des Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement dans ce domaine est ainsi affirmé. Ces dispositions offrent de nouvelles perspectives pour les architectes et pour les concepteurs au sens large. Dans cet esprit, la force du concours est positionnée comme modalité de promotion du débat critique et public sur l’architecture, et comme outil de transparence de la commande publique.


Quel est le calendrier des décrets et quels en sont les enjeux ?

Le calendrier est ambitieux. Le souhait du gouvernement est que la grande majorité des décrets soient élaborés d’ici la fin de l’année 2016, en concertation avec les différents acteurs concernés. Nous y travaillons activement cet automne. Mais nous constatons d’ores et déjà les effets de la loi en raison de l’application immédiate de près 60  % de ses mesures.


Si l’on compare la Stratégie nationale pour l’Architecture et la loi LCAP à la politique d’architecture publique mise en place en France après la loi de 1977, doit-on parler de continuité ou de rupture ?

La Stratégie nationale pour l’architecture et la loi marquent une nouvelle impulsion donnée à la politique de l’architecture, afin de la rendre visible et de souligner sa contribution aux grands enjeux de notre société.

Nous voulons redonner toute sa place à l’architecture. Elle est au cœur de l’aménagement de l’espace et, plus largement, de la vie sociale. L’ensemble de notre action, qui passe par la SNA et la loi LCAP, mais aussi par la réforme des Écoles nationales supérieures d’architecture ou la création du statut d’enseignant-chercheur, sont autant d’illustrations de nos ambitions.


avec la rapide dégradation du paysage périurbain, le déclin des centres-bourgs, les lotissements de zones pavillonnaires et commerciales détruisant irrémédiablement les terres agricoles, le patrimoine paysager français n’a jamais été autant menacé. Comment la loi LCAP peut-elle contribuer à stopper cette destruction ?

Je suis convaincue que les architectes ont un rôle majeur à jouer dans l’aménagement paysager et environnemental. Le recours obligatoire à l’architecte pour la réalisation de projets pour les lotissements est une mesure essentielle pour aller à l’encontre de votre constat. Plus largement, à travers la loi, nous avons rétabli le lien entre architecture et aménagement, et valorisé l’héritage de l’architecture du XXe et du XXIe siècles, mesure très attendue par nos différents partenaires en région.

Mais la loi n’est pas tout. Depuis plusieurs années, nous avons mis l’accent sur des projets pédagogiques. L’expérimentation d’une journée de l’architecture dans les écoles en est un exemple et vise à aider les plus jeunes à regarder autour d’eux.

Autre exemple, avec les Albums des jeunes architectes et paysagistes, qui valorisent les professionnels qui se distinguent par leur audace entrepreneuriale et leur capacité à réussir sur les marchés sensibles pour la qualité du cadre de vie  : aménagements d’espaces publics ruraux, bâtiments agricoles, logements participatifs, gestion des paysages.


Cette dégradation de l’environnement ne concerne évidemment pas que votre ministère. L’agriculture, le logement, l’équipement, le commerce la santé sont également concernés. Des intérêts souvent contradictoires animent les différents acteurs qui relèvent de ces ministères. Le vôtre a-t-il assez de poids pour imposer son point de vue Envisagez-vous d’autres propositions transversales avec vos collègues du gouvernement ?

Face aux enjeux sociaux et environnementaux qui sont les nôtres aujourd’hui, nous devons plus que jamais intégrer une pluralité de points de vue.

Le ministère de la Culture et de la Communication est très impliqué dans les projets de revitalisation des centres-bourgs ou de renouvellement urbain. Nous travaillons main dans la main avec le ministère chargé du Logement, notamment. Je tiens à rappeler que les dispositions de la loi LCAP ont été adoptées après accord du gouvernement dans sa globalité 

Les positions évoluent et les acteurs ont montré qu’ils savaient aussi se rapprocher. On l’a vu encore récemment, et je m’en suis réjouie, entre l’Ordre des architectes et le Syndicat national des aménageurs lotisseurs, qui se sont mis d’accord pour proposer ensemble le niveau de seuil requis pour l’intervention de l’architecte dans la conception des lotissements.

De la même façon, nous devons tous ensemble trouver la meilleure façon de mettre en œuvre les dispositions relatives à l’isolation issues de la loi relative à la transition énergétique.


Dans un contexte législatif plus large lié à la qualité du cadre de vie et à la revitalisation des centres-bourgs, en quoi la loi LCAP rejoint-elle la politique lancée par Sylvia Pinel qui conduit le programme expérimental des centres-bourgs ?

Le sujet est majeur, comme celui des quartiers en renouvellement urbain. Tout l’enjeu est d’identifier la richesse de ces espaces, de la faire reconnaître et de la conserver, tous en la faisant évoluer pour qu’elle permette à ceux qui les habitent de s’y épanouir et d’avoir accès aux services, notamment culturels, de même qualité qu’ailleurs. Nous menons un travail conjoint avec les ministères concernés en matière d’action urbaine et patrimoniale bien sûr, mais aussi de la promotion de l’accès à la culture pour les scolaires, de la création de résidences d’artistes ou d’architectes.


En quoi la loi LCAP peut-elle contribuer à améliorer la chaîne de production de l’architecture française, face à la puissance des grands groupes du BTP et aux dépens de savoir-faire plus artisanaux ?

L’ensemble de ces orientations, comme les décisions législatives, donnent un nouveau souffle qui permet aux professionnels de la maîtrise d’œuvre d’inventer une offre renouvelée.

Je suis profondément attachée aux savoir-faire artisanaux, qui sont notamment sollicités lors des opérations de nature plus patrimoniale. Garantir la transmission des savoir-faire, c’est contribuer à la mise en place d’une véritable économie circulaire dans le secteur du bâtiment. C’est aussi l’un des objectifs de la relance de l’expérimentation, qui peut donner toute leur place aux différents acteurs de la construction, y compris les plus modestes.


Qu’attendez-vous aujourd’hui des architectes, notamment dans la mise en place des décrets d’application ?

Leur action et leur contribution sont attendues à différents titres. Pour les décrets, ils sont consultés comme parties prenantes, bien entendu. Comme chefs d’entreprise, ils vont agir sur la transformation du bâti existant, sur l’aménagement des lotissements. Et par l’ouverture de leurs structures à la recherche, ils vont jouer un rôle déterminant pour l’expérimentation, en lien avec les milieux académiques.

Je tiens beaucoup à ce que l’architecture nous révèle de nouvelles richesses, mais aussi une présence au quotidien, à l’image de ce que présente le Pavillon français de la Biennale de Venise. J’attends donc que la profession intervienne partout où s’exprime la demande d’architecture. Je souhaite aussi qu’elle puisse développer son rayonnement à l’international.


Les architectes attendent toujours beaucoup de l’État. Que leur conseilleriez-vous de faire que l’État ne puisse faire ?

La profession est réglementée et dotée d’une responsabilité forte. Le lien entre l’État et les architectes est naturel. Pour autant, chacun doit être dans son rôle. C’est à l’État de donner un cadre, et c’est aux acteurs économiques et aux citoyens de se saisir des possibilités offertes.

C’est pour moi essentiel de faire connaître la qualité du travail de l’architecte et l’apport inestimable de son intervention, que ce soit pour un petit projet, une maison individuelle, une rénovation, une petite extension. Comme pour l’artisanat, il y a un vrai travail de sensibilisation que les architectes devraient davantage faire pour aller au-devant des usagers et de leurs besoins.


Portée par votre ministère, la première édition des Journées nationales de l’architecture aura lieu les 14, 15 et 16 octobre 2016. Quelle est la vocation pédagogique d’un tel événement pour accompagner les nouvelles dispositions législatives ?

Tout l’enjeu de ces journées est de faire naître un «  désir d’architecture  Â» et de fédérer les Français autour d’événements liés à l’architecture au sens large, du bâtiment et du cadre de vie, incluant l’urbanisme et l’habitat.

Il s’agit cette année de la première édition. Elles se développeront les années suivantes, mais d’ores et déjà, le public pourra profiter de nombreuses manifestations  : visites guidées, portes ouvertes, débats, projections de film, expositions, etc. Les initiatives sont très riches et variées et la mobilisation en région est très enthousiasmante.

Je souhaite que ces journées permettent à nos concitoyens, aux élus, aux enseignants, de s’aventurer à la rencontre de l’architecture.

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