Adel Tincelin, leurres en forme d'archives

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 04/03/2015

Portrait | Adel Tincelin

Article paru dans d'A n°233

L’objectivité peut être une ruse, et l’archive un registre esthétique servant la mise en forme des fragments de biographie et d’engagements politiques. Les images d’apparence répétitives et distanciées d’Adel Tincelin sont plus subversives et dérangeantes qu’elles ne paraissent.

« J’ai une formation littéraire. Pour être honnête, j’ai choisi la photographie pour dépasser certains de mes blocages liés à l’écriture Â», explique Adel Tincelin, qui vient de publier Archives 02, livre clôturant une série commencée avec Archives 01, paru en 2010. Deux opus de petit format à l’allure radicale : chaque volume forme un album rassemblant 350 images de grands ensembles d’Île-de-France. Quelques pages cosignées par la journaliste Nathalie Perrier résument sommairement le projet. Reste une part d’énigme toujours présente chez Tincelin, non pour entretenir un mystère et intriguer le spectateur, mais plutôt comme une manière de disparaître derrière le voile de projets photographiques versant du côté de l’art contemporain. Une réelle attention est nécessaire aux curieux qui voudraient déchiffrer ces dispositifs, comme celui mis en place dans une première série appelée « Journal 1 Â». Deux images d’un même intérieur pris sous des angles légèrement différents se font face. Dans chacune d’elle, une télévision retransmet la vie d’un couple. Les intérieurs changent, la diffusion se poursuit. Les vues ne proviennent pas d’un soap-opéra, mais d’une vidéo tournée par Tincelin, rejouée dans différents logements de ses connaissances. Des interrogations sur la vie de couple, une vue stéréoscopique sur l’espace du quotidien et de la banalité, qui semble une des clés de ce travail photographique diffusé sous forme de fascicules autoédités et distribués gratuitement dans les galeries d’art. « J’attache beaucoup d’importance à la circulation des images, que ce soit sous la forme de cahier ou de livre, etc. Â», explique Adel Tincelin. Trois numéros de « Journal Â» seront publiés avant que la multiplication des publicités dans les galeries n’ait incité à stopper cette diffusion. Mystère encore : l’auteur passe vite sur ces publications, difficile de savoir ce que contenaient ces journaux à moins d’en posséder des exemplaires soi-même.


L’archipel des cités


Le contenu des deux volumes formant Archives est en revanche mieux identifié. Le corpus est constitué de photos de l’ensemble des quartiers d’habitation bénéficiant des subventions de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine). Une zone sensible, dans tous les sens du terme, explorée selon un protocole simple, toujours à pied et à ras du sol. « J’ai tendance à faire un parallèle entre la circulation des images via les brochures et les publications et la circulation à explorer les quartiers faisant souvent la une de l’actualité, en me détachant du pathos et des stigmates qui s’y rattachent. J’avais commencé la série en Seine-Saint-Denis, mais pied dans ces espaces. Les deux démarches se rejoignent Â», détaille Adel Tincelin, qui revient aussi sur les choix de ce sujet : « J’ai voulu élargir pour éviter de me focaliser sur une portion du territoire trop souvent sous les feux de l’actualité. Â»


Avoir une vision complète impliqua d’étendre le sujet à 200 quartiers disséminés sur le territoire francilien. « J’aime les projets prenant ces dimensions absolutistes, un peu folles Â», dit Tincelin en guise d’excuse. Ces secteurs de banlieue sont censés vivre hors des règles de la République, parfois même réputés impénétrables. Ils sont abordés sans héroïsme : c’est plus en agent municipal qu’en reporter de guerre envoyé derrière les lignes de front que Tincelin les a traversés, de préférence avant 10 h 30, moment de reprise d’activité de « commerce Â» plus ou moins légal, sans quasiment adresser la parole à personne. Le cadrage laisse de côté les rares habitants pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore au discours sur l’immigration. L’exposition des traces d’usages, les espaces verts, les dégradations, les reconstructions ou les abandons interrogent l’état de la société, posant d’autres questions politiques. Ces lieux, ces immeubles murés me renvoient à ma vision de la ville Â», explique encore Tincelin, dévoilant dans Archives 01 un élément biographique déterminant dans le choix de son sujet : « Mon histoire personnelle croise une certaine histoire urbaine et sociale des années 1970. Les grands ensembles sont le décor de ma petite enfance, souvenir paisible au pied des petites barres. Jusqu’à 5 ans, j’habitais Sotteville-lès-Rouen, puis le Mont-Gaillard, au Havre. Â» Peu convaincu qu’un photographe puisse s’intéresser à la rénovation urbaine, un habitant lui aurait rétorqué : « On sait bien, vous et moi, que ce n’est pas vrai. Â» En voilà un qui avait bien vu…


 Archives 01 et Archives 02 sont disponibles aux Éditions illimitées, pour la somme de 10 euros chacun.

Les articles récents dans Photographes

Abelardo Morell - Écrire avec la lumière Publié le 01/04/2024

En 2001, le peintre anglais David Hockney publiait un ouvrage consacré à l’usage des appareils … [...]

Bertrand Stofleth, Géraldine Millo : le port de Gennevilliers, deux points de vue Publié le 11/03/2024

Le CAUE 92 de Nanterre accueille jusqu’au 16 mars 2024 une exposition intitulée «&nbs… [...]

Yves Marchand et Romain Meffre Les ruines de l’utopie Publié le 14/12/2023

L’école d’architecture de Nanterre, conçue en 1970 par Jacques Kalisz et Roger Salem, abandonn… [...]

Aglaia Konrad, des images agissantes Publié le 20/11/2023

Aglaia Konrad, née en 1960 à Salzbourg, est une photographe qui se consacre entièrement à l’ar… [...]

Maxime Delvaux, une posture rafraichissante Publié le 11/10/2023

Maxime Delvaux est un jeune photographe belge, adoubé par des architectes tels que Christian Kerez,… [...]

Harry Gruyaert, la couleur des sentiments Publié le 04/09/2023

Harry Gruyaert expose tout l’été au BAL, haut lieu parisien de la photographie, créé en 2010 p… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Avril 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
1401 02 03 04 05 06 07
1508 09 10 11 12 13 14
1615 16 17 18 19 20 21
1722 23 24 25 26 27 28
1829 30      

> Questions pro

Vous avez aimé Chorus? Vous adorerez la facture électronique!

Depuis quelques années, les architectes qui interviennent sur des marchés publics doivent envoyer leurs factures en PDF sur la plateforme Chorus, …

Quelle importance accorder au programme ? [suite]

C’est avec deux architectes aux pratiques forts différentes, Laurent Beaudouin et Marie-José Barthélémy, que nous poursuivons notre enquête sur…

Quelle importance accorder au programme ?

Avant tout projet, la programmation architecturale décrit son contenu afin que maître d’ouvrage et maître d’œuvre en cernent le sens et les en…