Blocs en stock - Du composite pour une collection de modules "préfaporter"

Rédigé par Benoit JOLY
Publié le 01/03/2018

Caisson WALL E +

Article paru dans d'A n°260

Spécialisé depuis plus de vingt ans dans les matériaux composites, l’ingénieur Laurent Destouches entend faire basculer cette technologie dans le monde de la construction. Baptisé WALL E+, son caisson en résine et fibre de verre se révèle prometteur pour la préfabrication de nouveaux murs-manteaux : peu encombrant, léger, autoporteur et étanche, il permettrait d’atteindre les tant convoités objectifs de la RT 2020 et du label E+C-. Reste au procédé à faire ses preuves dans le contexte normatif français, face aux lois du marché et à ses conservatismes.

L’idée semble couler de source pour Laurent Destouches qui, après avoir décliné les matériaux composites pour des applications des plus diverses, tente de s’imposer dans le monde du bâtiment. Avec son entreprise basée en Indre-et-Loire, il a notamment développé quelques systèmes innovants comme le célèbre rail du tramway de Bordeaux, qui distribue l’énergie par le sol. On lui doit également l’installation de quelque 14 000 mâts pour la SNCF – le composite se révélant un excellent isolant face aux risques d’électrocution. Qu’il s’agisse de la construction de passerelles ou de pales de ventilateurs pour centrales nucléaires, son entreprise sait répondre à quasi toutes les demandes du secteur industriel. « Les composites sont les grands oubliés de l’architecture, constate Laurent Destouches. On est loin de l’automobile ou de l’aviation. Je suis un peu surpris que ce matériau ne soit pas si répandu, alors que sa dimension thermique est tellement évidente. À titre de comparaison, à Dubaï, la conception de dômes et de coupoles représente un enjeu d’innovation. La tentation d’y construire toujours plus haut, plus grand, amène à rechercher des matériaux qui offrent des combinaisons exceptionnelles » (voir à ce sujet le dossier de ce numéro, p. 47).

 

Module à tout faire

À Mettray, sur son site de production, l’ingénieur passionné monte depuis plusieurs mois un bâtiment démonstrateur en R+1  showroom grâce auquel il peut explorer et tester toutes les possibilités de son module. Ce bloc creux et préfabriqué en usine est suffisamment léger (30 kg au mètre carré) pour se passer d’engins de levage, et suffisamment résistant pour supporter plusieurs étages. Il suffit de remplir les coquilles de l’isolant de son choix – de la paille à la laine de mouton, le bloc ne craignant pas l’humidité. Rempli de fibre de bois comme c’est le cas ici, le module passe à 34 kg au mètre carré, un véritable atout pour les projets de surélévations. Assembler plusieurs modules en quelques heures sur une dalle de béton ou des pieux en acier requiert une main-d’œuvre peu qualifiée, grâce à un système d’accrochage simplifié qui, par ailleurs, évite les ponts thermiques. En mur-rideau ou en mur-manteau, en neuf comme en rénovation, le bloc est pensé pour servir de support à divers éléments, au choix : bardage, panneaux solaires, cassettes pour la végétalisation…

Mais la difficulté à communiquer sur ce procédé tient sans doute moins à la pertinence de ses performances affichées qu’à la nature du produit lui-même – le « composite » étant finalement un matériau mal connu des architectes.

« Entre les composites à matrice céramique dans les moteurs d’avion ou l’agglomérat de fibre de bois dans les lames de terrasses, les recettes de matériaux composites sont infinies. Il existe des dizaines de familles de fibres et tout autant de résines, sans compter les adjuvants », nuance Laurent Destouches. Dans le cadre des modules WALL E+, il s’agit d’abord de 60 % fibre de verre, donc de silice disponible en grande quantité dans la nature… À ces fibres peut être ajoutée une résine polyester auto-extinguible ou une résine acrylique capable d’absorber beaucoup plus de charge minérale – et par conséquent d’augmenter la résistance au feu pour construire en hauteur. Plus discret quant aux recettes employées, Laurent Destouches revendique cependant un procédé unique, entièrement coréalisé et adapté avec la société italienne Top Glass, qui assure la pultrusion des profilés.

« Effectivement, il y a à travers ces résines encore un peu de chimie majoritairement issue du pétrole », reconnaît-il. Même s’il reste attentif aux évolutions des nouvelles fibres végétales et autres résines biosourcées, l’entrepreneur est confiant quant à l’analyse du cycle de vie (ACV) en cours de livraison sur son mur. « Nous travaillons sur des fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Je pense qu’on aura de bonnes surprises en comparaison avec d’autres matériaux. »

 

Blocages en bloc

Depuis son lancement au début des années 2010, le concept a reçu de nombreux encouragements : projet innovant soutenu par la région Centre, prix du Mécénat Besnard de Quelen, prix JEC Innovation, Programmes d’investissements d’avenir de l’ADEME, etc. Des soutiens utiles pour obtenir le permis de construire du bâtiment démonstrateur. « Dans notre pays, il est très difficile d’imposer un nouveau produit ou un nouveau procédé de construction, car le marché est tenu in fine par les assureurs, nuance Laurent Destouches. Plus personne ne veut prendre de risques, et je tiens à le préciser, parce qu’il y a d’autres pays où les choses se passent différemment. Rapidement, un contrôleur technique intervient à la demande de l’assureur, veillant au respect des normes pour souscrire une assurance dommage ouvrage côté maître d’ouvrage. Et une décennale côté constructeur. Si vous ne proposez pas un produit avec un DTU ou un avis technique, l’assurance ne prend aucun risque, et il est compliqué de les faire avancer. À mon avis, ils contreviennent à leur mission de base en se cachant derrière les règlements. »

À la charge de l’industriel, donc, de lancer une procédure d’ATEX, qui est une forme de pré-avis technique. « On a décidé d’y aller assez fort avec ce projet, et de faire valider le procédé sur tout ce qui nous attend : la performance mécanique, la performance dans le temps… Nous avons quand même trouvé auprès de l’organisme de certification une oreille attentive qui nous a permis de réduire par deux la facture des tests initialement prévus sur le vieillissement, la statique, la dynamique ou le feu. Mais on sera rendus à près de 350 000 euros de tests et qualifications. »

Notons que déjà 500 000 euros ont été investis, l’extension de 250 m2 à Mettray revenant à 300 000 euros. Or, pour oser espérer percer le marché de la maison individuelle, une baisse de prix de revient face aux matériaux traditionnels reste une condition sine qua non. « On est encore un peu cher ramené au kilo, admet-il. Mais on part de l’idée que tous les clients qui nous font confiance pour réaliser des passerelles ou des escaliers en composites ne sont pas des rêveurs qui se font uniquement plaisir. C’est l’efficacité globale du produit qui leur plaît, y compris le facteur économique. » En outre, Laurent Destouches avance un argument imparable quant au poids et aux dimensions restreintes du module : la faible épaisseur de ses blocs-murs variant de 160 à 300 mm donne à réfléchir, quand le prix moyen du mètre carré en Île-de-France avoisine les 10 000 euros. À Mettray, les modules de 240 mm d’épaisseur couvrent déjà tous les besoins d’une construction passive d’après les calculs de l’ingénieur.

Avec ce chantier-démonstrateur qui s’étire dans le temps pour mieux attirer futurs clients et partenaires, et après avoir testé son procédé sur l’extension en bois d’une maison individuelle de la région, Laurent Destouches peaufine le récit qui doit accompagner son nouveau concept. « C’est l’idée du prêt-à-porter, tranche-t-il. Encore faut-il que l’architecte s’intéresse à l’épaisseur du mur, mette le nez dans le détail. » Avant de conclure, passionné : « Le composite, c’est un matériau d’ingénieur, mais il faudrait surtout que ce soit le matériau de l’homme. Il y a une intelligence incroyable derrière tout cela. » Les semaines à venir, une fois les tests passés et le chantier terminé, nous diront si les blocs ont trouvé preneur : un projet de lotissement serait dans le viseur.



Solutions composites

Top Glass

 

À savoir :

Le 7 mars, au Parc des expositions de Villepinte, le Salon JEC World 2018 dédié aux matériaux composites va récompenser 10 innovations dans différents domaines (aérospatial, aviation, automobile, construction, marine, sport et loisirs…). Dans la catégorie bâtiment, on retiendra la présence d’un concept de pièce humide préfabriquée, nommé « Wet Core Pod Composite Module ». Le bloc regroupe tous les éléments de la cuisine, de la salle de bains et de la buanderie.

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