Bordeaux : une halle aux archives

Architecte : Robbrecht en Daem Architecten
Rédigé par Jean-François CABESTAN
Publié le 07/09/2015

Délaissant l’antique mais malcommode hôtel de Ragueneau qu’elles occupaient depuis 1939 à deux pas de la cathédrale, les archives municipales de Bordeaux viennent de traverser la Garonne pour s’installer rive droite, au cœur du quartier de la Bastide. Retenue parmi cinq équipes à l’issue d’une consultation internationale à deux échelons, l’agence gantoise Robbrecht en Daem Architecten vient d’y livrer la stimulante réinterprétation d’une ancienne halle sinistrée et d’un morceau de territoire en devenir.

 

Situé sur la rive droite de la Garonne, le quartier de la Bastide originellement viticole et en rive duquel on contemple les quais XVIIIesiècle du centre historique est demeuré jusque récemment dans une situation d’écart. Le terrain qu’il s’agit aujourd’hui d’y investir est une parcelle de forme rectangulaire tributaire des aménagements ferroviaires et logistiques réalisés dès les débuts du Second Empire. En déclin depuis les années 1970, ce territoire en friche où d’importants témoignages des débuts de l’ère industrielle alternent avec des tissus pavillonnaires se ressaisit depuis une quinzaine d’années. Si malgré des vicissitudes les Grands Moulins de Paris sont encore en activité, l’ancienne gare d’Orléans a été reconvertie en un complexe de salles de cinéma au début des années 2000. Prenant appui sur les données historiques et topographiques d’un terrain qui longe les voies désaffectées à quelques encablures de la Garonne, et à 800 mètres environ en amont de l’ancienne gare désormais dédiée au septième art, c’est davantage dans la perspective d’une reconquête urbaine que d’une simple reconversion de l’ancienne halle dite « aux farines » que se situe le travail de l’agence Robbrecht en Daem. Une marque de fabrique qui a fait préférer cette proposition à celles des quatre autres finalistes (Bruno Gaudin, Jakob+MacFarlane, Moatti- Rivière et Corinne Vezzoni). 

Le parti des maîtres d’œuvre a été de convertir le terrain disponible en un espace public à la croisée des chemins. La quête de mètres carrés supplémentaires nécessaires au déploiement d’un tel programme s’incarne en la construction d’une aile basse, déployée d’équerre par rapport à la halle reconvertie. Le dièdre qui en résulte induit la métamorphose de ce « no man’s land », au milieu de nulle part, qu’était ce délaissé en un lieu hybride, interprétation contemporaine de la place, du jardin et du cloître. La riche matérialité du sol pavé et les rails conservés perpétuent la mémoire du passé industriel de la parcelle. En contrepoint et à l’angle opposé de la masse bâtie s’élève une structure métallique néoindustrielle, inspirée des ruines alentour, mais aussi de la pergola et du kiosque. Propre à être envahie par les feuillages d’une glycine proliférante, cette future chambre de verdure vient confirmer la géométrie, enrichir la distribution et la convivialité d’un lieu conçu tant à l’usage des lecteurs entre deux séances de travail qu’à l’intention des riverains. L’installation de l’équipement au centre du quartier va ainsi de pair avec la mise en scène de l’accessibilité et de l’appropriabilité de ce bien commun que sont les documents du passé et le principe d’une main tendue à de futures opérations limitrophes. 

 

HYPERTROPHIE ASSUMÉE 

Noyau dur dont la conservation s’est imposée, la halle qui s’élève en bordure sud-est du terrain consistait en un édifice à quatre nefs parallèles, élevé de deux niveaux et d’un comble immense, où les convois de marchandises s’introduisaient de part et d’autre d’un terre-plein central. Scandée de contreforts, l’enveloppe de pierre de taille dissimulait une imposante et robuste structure bois poteaux-poutres ravagée par un incendie en 2008, à la veille du concours. S’il signait la ruine d’un formidable patrimoine charpenté et la fragilisation des façades, le sinistre générait une latitude nouvelle quant à l’adaptation de l’existant et l’insertion d’un programme particulièrement contraignant : le conditionnement des archives dans leur compactus exige par exemple une capacité portante des planchers de 1300 kg au mètre carré. Les maîtres d’œuvre ont choisi d’investir la totalité du volume capable, moyennant une répartition inventive de cette complémentarité des pleins et des vides – magasins aveugles, salle de consultation et circulations éclai- rées naturellement – qui caractérise très fortement le programme et l’exploitation d’un dépôt d’archives. L’enveloppe des origines n’y suffisant pas, il a été décidé d’exhausser le bâtiment tout en maintenant la lecture de sa silhouette originelle. Cette action s’effectue par l’hypertrophie du comble, qui suscite, côté cour, la création d’un étage-attique aux fenestrages insolites. Thermiquement performants, ces derniers composent un mur-rideau d’une texture nouvelle, propre à diffuser dans les intérieurs une lumière d’une qualité rare. Il s’agit de panneaux de Kalwall – conglomérat de polyester armé de fibres de verre de 10 cm d’épaisseur – dont la translucidité est voisine de celle de l’albâtre. 

 

COMPLÉMENTARITÉS SPATIALES 

À l’intérieur, la mise en place des éléments de programme produit un épannelage saisissant, commentaire didactique sur l’essence des archives, leur profusion et leur collationnement chronologique en des caissons étanches. L’empilement ostensible des volumes disposés en encorbellements successifs forme le centre de gravité du bâtiment et permet de distinguer deux nefs latérales tout hauteur grandioses : c’est d’abord la salle de consultation, cathédrale éclairée tant par les fenêtres hautes que par les grandes baies à rez-de-chaussée volontairement diminuées, qui offrent des vues directes sur la cour. C’est ensuite l’ensemble des circulations destinées aux magasiniers, dont la superposition offre la variété topologique des ponts d’un navire. Pratiqué entre les voiles de béton qui portent les caissons de fond en comble, un réseau de passerelles transversales institue autant de relations visuelles entre magasins et salle de consultation. Inévitable, le doublage intérieur de l’enveloppe de pierre a incité les architectes à en révéler la texture au moyen d’un décalage du clair de vitrage par rapport aux embrasures. Pour partie visibles, les piedroits et les arcs de pierre par endroits calcinés rendent compte du bel appareil des élévations et rappellent l’histoire mouvementée de l’édifice. Indispensable au fonctionnement de l’équipement, l’aile basse a vocation à recueillir l’ensemble des services de même que l’entrée principale et sa banque d’accueil, savamment architecturés. L’encorbellement de l’étage par rapport au rez-de-chaussée rappelle les modalités de superposition qui prévalent dans la halle. D’amples et dynamiques portiques de béton assurent la portance du bâtiment, caractérisent l’espace et donnent beaucoup de fluidité à la distribution. Ateliers pédagogiques, salles de réunion, de conférences et d’exposition occupent le rez-de-chaussée tandis que l’étage est dévolu à l’administration, à l’accueil et au conditionnement des documents. Pratiquées en toiture côté nord, d’importantes lucarnes y majorent l’éclairement naturel des activités les plus délicates. L’aile est reliée à l’ancienne halle par des volumes de raccordement circonstanciés qui créent d’intéressants effets de transition dans les deux sens. Les élévations extérieures se caractérisent par un assemblage intéressant de panneaux de béton préfabriqués. Coulés à plat, ils présentent une texture liée à l’incision des dents d’un simple râteau, passé peu avant la prise, d’une artisanale régularité. En raison du foisonnement prévisible des archives municipales auxquelles il est actuellement débattu d’adjoindre celles de la communauté urbaine de Bordeaux, une extension de cet ensemble pourtant déjà très ambitieux est prévue à l’horizon des vingt prochaines années et offrira l’occasion d’une nouvelle interprétation de ce qui vient de l’être très habilement.



Maîtres d'ouvrages : Ville de Bordeaux

Maîtres d'oeuvres : Robbrecht en Daem Architecten

Surface SHON : 8666 m2

Coût : 14,5M €

Date de livraison : 2015


Lisez la suite de cet article dans : N° 238 - Septembre 2015

Halles aux archives de Bordeaux<br/> Crédit photo : CAUMES Philippe Halles aux archives de Bordeaux<br/> Crédit photo : CAUMES Philippe Halles aux archives de Bordeaux<br/> Crédit photo : CAUMES Philippe Halles aux archives de Bordeaux<br/> Crédit photo : CAUMES Philippe

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