Bruno Delamain, La résonance des lieux.

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 08/04/2003

Bruno DELAMAIN

Bruno Delamain révèle des objets qui surgissent de l'ombre, entre présence et absence comme un regard dans le vague. Ses images brouillent les pistes et libèrent des échappatoires vers l'éternité.

«Ma seule certitude, c'est d'être photographe ; je suis à l'écoute de la résonance des lieux, dit Bruno Delamain. Sur les chantiers, je me sens bien… et j'ai eu la chance de trouver mes gris. » Passé maître dans l'art du clair obscur, ces gris frôlent, chez lui, des noirs puissants, tirés sur un papier mat poudreux comme la pierre extirpée d'une carrière ou la poussière d'une bétonneuse.


Sur les chantiers, il retrouve l'odeur du ciment qui lui rappelle son enfance dans un pavillon du côté de Sarcelle, le baiser du soir au père maçon, les sacs chargés sur le camion, la poussière grise encore essuyée d'un revers de manche. C'était la fin du monde en noir et blanc des années soixante. Et c'est là que tout commence, vers onze ans, quand il monte un club photo au lycée, bien avant d'attaquer ses vrais faux débuts de vie professionnelle par des 24 x 36 d'entreprises. Entre-temps, il intègre l'école Louis Lumière et fonde le groupe Extérieur jour qui organisera deux expositions. Après un détour par la pub, il renoue vite avec ce qu'il appelle « la photo amateur ». « S'il y a un architecte que je dois citer, dit-il, c'est Philippe Chaix. En 1992, il m'a confié ma première commande importante, sur le "tipi", son espace d'exposition au Grand Palais. » Un livre à la RMN (Réunion des musées nationaux) et d'autres images suivront, au musée de Saint Romain-en-Gal notamment. « Avec lui, j'ai compris où se rencontrent l'architecte et le photographe, tous deux confrontés aux contraintes des commandes. Nos deux disciplines font l'objet d'une question récurrente : est-ce de l'art ou non ? »


Dans cet esprit, il a photographié le Stade de France pour Sygma, des zéniths, l'École des ponts et chaussée, le siège de TDF, la percée de la ligne Météor, puis capté les premiers instants de la cathédrale d'Évry. « Il y a dans le chantier, laboratoire infini et éphémère des compositions géométriques, quantité d'écritures et de signes qui parlent du travail de l'homme. La plupart sont destinées à disparaître. Dans les photographies de Bruno Delamain, au-delà du noir réapparaît la lumière. On découvre ce qui existe sous la peau. L'expression de la main qui a construit le mur. Les signes de l'âme même du mur », dira Mario Botta.(1)


Au musée Rodin de Meudon, il a déambulé dans les réserves, juste avant que l'architecte Bernard Desmoulin n'intervienne à son tour pour les agrandir et les restructurer en effleurant par touches précises ce lieu mythique. Bruno Delamain, lui, a saisi des plis de plâtre, fragments, moules, batteries de jambes ou torses en mouvement. Et lorsqu'il surprenait un rai de lumière sur un buste ou une mantille de plastique, il décalait la visibilité de l'objet vers une présence enveloppante, révélant son immanence.(2)


Auparavant, il s'est essayé à l'art du portrait, mais les personnages se faisaient formes, un écueil. Il se plaît « dans l'ombre de la lumière à la frontière du noir », évoquant dans un même élan L'éloge de l'ombre de Tanizaki et le poète Lorand Gaspar. C'est là qu'il intercepte la lumière de lieux laissés bruts, sans éclairage annexe, sans déplacer une brindille. En cela, il se réfère à Lucia Moholy Nagy, la photographe hongroise du Bauhaus. S'écartant des images trop nettes, il utilise peu le pied, allant jusqu'au quart de seconde malgré les vibrations. Il travaille au Leica M, aux antipodes de la chambre qui met les perspectives « au garde-à-vous », et plus encore au Rolleiflex (6 x 6) qui donne aussi cette mobilité qu'il aime et ces images pas très nettes.


Sur demande expresse des architectes, il passe à la couleur. Mais à trop rôder sur les chantiers, cela lui a donné le goût du gigantisme et des panoramiques. Lauréat de la Villa Médicis hors les Murs, il suivit en Chine la construction du barrage des Trois Gorges, tempérant ses gris vers le lavis. Pour l'exposition, artistes et calligraphes sont intervenus sur ses tirages. Aujourd'hui sur le thème de la ville nouvelle, au Val-Maubuée à Marne-la-Vallée, comme il l'avait fait à Vulcania(3), il Å“uvre au sténopé, cadre au jugé, sans objectif, expulsant plus encore la technique pour susciter la magie. « C'est le contraire du numérique, dit-il. Il y a un plaisir physique. L'appareil prend la lumière une minute, on se recule. Vient ensuite le plaisir du tirage, quand l'absence prend vie et que le gris se vérifie pour renforcer l'abstraction. » Depuis 1995, il est représenté par la galerie Camera Obscura. Il est aussi enseignant à l'École française d'enseignement technique et au lycée Auguste Renoir.


Bruno Delamain a choisi de nous donner une photo récente sur le chantier Codic / Euralille dont les architectes sont Michel Macary et Luc Delamain. Cette photo s'inscrit dans une commande qui donnera naissance à un livre aux éditions Filigranes. « Cette photo est très représentative de mon travail, dit-il. Chaque chantier est différent. Il a son caractère et ses signes de vie. Dans l'ombre mouvante, les gris-poussière et le ciment, le bâtiment vit ses formes. Il bouscule l'ordre des lieux avant de se glisser dans l'alentour. C'est un moment éphémère, unique et changeant. » Il le saisit avec une très faible profondeur de champ, effectuant sa mise au point non pas sur l'objet, mais sur l'arrière-plan. 


1 - Voir La cathédrale de la résurrection à Évry, préfacé par Mario Botta, Maeght éditeur.

2 - Ces photos appartenant aux collections du Musée Rodin ont donné lieu à une exposition et à la publication d'un livret préfacé par Bernard Noël.

3 - Pour Vulcania, Bruno Delamain s'est vu décerner un prix par le magazine allemand db associé à une vingtaine de magazines européens.

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