Carin Smuts. Les dents de la terre, combat pour une architecture participative

Rédigé par David LECLERC
Publié le 30/04/2012

Concept © Carin Smuts

Dossier réalisé par David LECLERC
Dossier publié dans le d'A n°208 En 2009, à l'issue d'une consultation publique, Carin Smuts est chargée par la municipalité de Overstrand de travailler avec les habitants du village de pêcheurs de Hawston en vue de construire un centre d'information touristique pour la région. C'est à l'occasion d'un workshop, organisé en février 2012 par l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles pour sensibiliser les étudiants à la dimension sociale de l'architecture, que l'architecte sud-africaine nous a parlé de cette aventure.

L'originalité de sa démarche avait été révélée en France à l'occasion du Global Award for Sustainable Architecture qu'elle a reçu en 2008 (voir le Parcours du d'a n° 183, juin-juillet 2009). Ce numéro est l'occasion de revenir sur son engagement exemplaire pour une architecture participative à travers un projet, non construit à ce jour, qui reflète le combat et la ténacité nécessaires à ce type de démarche.

Les dents de la mer

La région de Overstrand est située sur la Côte ouest, au sud de la ville du Cap. Elle est célèbre pour la richesse de sa faune marine. Elle attire un grand nombre de touristes qui viennent observer des baleines et des requins blancs. Certains d'entre eux, avides de sensations fortes, plongent dans des cages pour voir de plus près les redoutables prédateurs ! La ville de Hermanus est le point de départ de ces expéditions en mer. Disneylandisée pour plaire aux touristes, sa population blanche vit aisément de la manne touristique.

La communauté noire du village voisin de Hawston ne profite pas des retombées économiques de l'activité touristique de la région. Le village a mauvaise réputation en raison de la présence de bandes armées (gangs) et de voleurs d'abalone. Ce mollusque rare a fait l'objet d'une pêche intensive durant des années et il est dorénavant une espèce protégée. Pêché illégalement, il est l'objet d'un marché noir intense dans la région, sa chair étant très appréciée des gastronomes asiatiques.

Selon une méthode dorénavant bien éprouvée au fil des projets, Carin Smuts réunit l'ensemble des acteurs locaux : commerçants, femmes, enfants, sans oublier les chefs de bandes. Pendant deux ans, elle organise des workshops où chacun peut exprimer son point de vue et le présenter sous forme de dessin. CS Studio se charge ensuite de la synthèse des différentes propositions et de les rassembler au sein d'un projet cohérent. Le travail en maquette est privilégié afin de pouvoir communiquer facilement les qualités spatiales et fonctionnelles du projet à ses interlocuteurs.


Road architecture

Stratégiquement situé le long de la route 43 par laquelle les touristes arrivent dans la région, le projet s'articule autour d'une gigantesque baleine perchée sur un noyau de circulation vertical, qui fonctionne à la fois comme un signal vu depuis la route et une plate-forme accessible par le public pour observer les bancs de cétacés sur la mer. À sa base, un bâtiment organisé sur deux niveaux contient un lieu de promotion des activités touristiques et culturelles de la région. Les habitants ont voulu qu'il y ait un restaurant de fruits de mer au premier étage, des boutiques pour vendre l'artisanat local, une boulangerie et un amphithéâtre extérieur pouvant accueillir des performances. Le lieu fonctionnera également comme un centre culturel destiné aux enfants de Hawston, qui pourront participer à des activités artistiques et sportives.

Le projet représente un enjeu de taille pour cette communauté pauvre. Ses retombées économiques ne sont pas négligeables : une cinquantaine d'emplois pour sa construction et, à terme, une trentaine d'emplois pour son fonctionnement. Inspiré par l'architecture de bord de route, CS Studio n'hésite pas à affirmer de manière explicite l'objet du bâtiment. Une enseigne publicitaire sur la façade permettra de générer des revenus réguliers, tandis que les coquilles nacrées d'abalone seront utilisées pour construire l'enveloppe extérieure. Le projet fait aussi référence à la famille des ducks de Robert Venturi, ces bâtiments commerciaux qui, en adoptant la forme même de l'objet qu'ils vendent, réconcilient les dimensions fonctionnelles et symboliques de l'architecture.


Les dents de la terre

En 2011, un comité est élu par les habitants de Hawston afin de suivre le montage du projet et finaliser son financement. Le nouveau maire, qui avait activement défendu le projet durant sa campagne électorale, a décidé de ne plus le soutenir une fois élu. Majoritaire dans la région du Western Cape, le parti Democratic Alliance a, selon Carin Smuts, la réputation de faire des promesses aux communautés noires en période électorale et de les oublier rapidement après les élections… Les habitants de Hawston n'entendent pourtant pas en rester là. Avec l'aide d'un avocat rallié à leur cause, ils écrivent au leader de la région pour solliciter son aide et résoudre le conflit. Ce dernier transmet leur requête au ministre du Développement économique.

Après deux ans de travail acharné, ceux-là mêmes qui avaient initié le projet à son origine semblent tout faire pour qu'il ne voie jamais le jour. Pour Carin Smuts, le constat est clair et cynique : l'argent public est utilisé pour déstabiliser les communautés les plus pauvres et leur empêcher l'accès à toutes opportunités de développement économique. La démarche participative de CS Studio, qui consiste à donner aux habitants les moyens d'agir et d'exprimer leur point de vue, fait peur au milieu politique qui perd le contrôle sur le projet, mais aussi sur un interlocuteur unique et facilement manipulable : l'architecte. Cette situation n'est pas propre à l'Afrique du Sud. Il n'y a pas de différence, selon Carin Smuts, entre le maire de la municipalité de Overstrand et celui de Follanville-Dennemont, petite commune située dans le parc naturel du Vexin, où CS Studio a été invité en 2009 pour réaliser un centre multiservice. À l'issue de nombreux workshops avec les habitants des deux villages, le parti architectural retenu a déplu au maire et à ses élus, qui n'ont pas donné suite au projet…

Le comité travaille actuellement, avec l'aide de CS Studio, sur un plan d'investissement dans le but de réunir les fonds nécessaires à la réalisation du projet, et s'oriente vers un financement privé. Il a déjà rassemblé plusieurs sponsors, localement mais aussi au niveau international : une entreprise de transport (Safmarine), un magazine d'architecture (AIT magazine) et la mairie de Stockholm ont pour l'instant répondu positivement à son appel.

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