Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, Villeurbanne

Architecte : A-MAS
Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 04/04/2018

À Villeurbanne, une église démolie pour y accueillir un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Voici en substance le résumé d’une opération peu banale menée par l’agence A-MAS. Une histoire mouvementée que seules la ténacité des architectes et la volonté politique pouvaient mener à son terme. Pari remporté puisqu’aux difficultés a succédé une délicate opération de suture entre le patrimoine et de nouveaux bâtiments, qui échappe à tout dogmatisme.


Salutaires, certaines commandes rappellent avec acuité la fonction sociale de l’architecte, souvent reléguée aux oubliettes, tantôt sacrifiée sur l’autel de la créativité, tantôt sur celui de la rentabilité exigée par les promoteurs. À Villeurbanne, l’agence A-MAS (Stéphanie David et Éric David) vient d’achever contre vents et marées une opération à l’histoire mouvementée. Mouvementée par son programme mais aussi par l’enjeu patrimonial, d’autant plus sensible quand il est religieux. Point de départ, le diocèse décide d’effectuer un diagnostic sur son patrimoine afin d’identifier des lieux potentiellement transformables à Villeurbanne. Objectif, s’en séparer pour faire des économies. Parmi eux, l’église du Cœur-Immaculé-de-Marie est située dans un quartier résidentiel au tissu hétérogène, celui de Ferrandière Maisons-Neuves. Une condition cependant, le futur projet devra impérativement avoir une vocation caritative. La ville acquiert donc le site afin d’y installer un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) géré par l’association Alynéa et un programme de 17 logements sociaux portés par le bailleur local Est Métropole Habitat, le second finançant le premier. Un bail emphytéotique est conclu sur le foncier afin que le diocèse puisse récupérer le terrain le cas échéant. Une manière de conserver son patrimoine sans s’épuiser financièrement à l’entretenir.

 

Le CHRS accueille deux populations très différentes : 22 personnes isolées, généralement des sans-abri, mais aussi 10 familles en proie à de grandes difficultés administratives. Ils sont accompagnés par des travailleurs sociaux afin de renouer avec une vie normale pour se réinsérer dans la société. Plutôt courte, la durée de l’hébergement est variable selon les profils.

 

Dès les prémices du projet, les difficultés ont surgi. L’analyse de la situation existante révèle rapidement que la conservation de l’église dont la toiture est détériorée ne présente que peu d’intérêt. Elle n’est d’ailleurs ni classée ni protégée. « Nous avons d’emblée considéré cette église comme un élément existant et non comme un élément de patrimoine. Une réhabilitation aurait dénaturé l’image de l’église pour une qualité de logements médiocre. Construite sans fondations, sa transformation aurait de plus nécessité des reprises en sous-œuvre très importantes. Nous avons opté pour la démolition partielle, une manière de renouveler la mémoire de ce patrimoine. L’espace demeure intact dans sa géométrie mais non dans sa volumétrie », résume Stéphanie David de l’agence A-MAS. La destruction d’une église ? Sacrilège !

 

Not in my backyard

La sauvegarde de l’église va cristalliser la crispation pour détourner l’attention sur l’autre « problème », moins avouable : la nature du programme. Un véritable cas d’école de « Not in my backyard », comme le fut la contestation du centre d’hébergement d’urgence dans le 16e arrondissement à Paris1. Le voisinage craint en effet l’arrivée dans le quartier d’habitants en grande précarité. Ils le font savoir à grand renfort de recours – six en tout ! – contre le permis de construire pourtant conforme au PLU, de violents tags sur les panneaux de chantier et de tentatives de pression en tout genre. Fort heureusement, Jean-Paul Bret, maire socialiste de Villeurbanne depuis 2001, habite à deux pas du site. Il est bien décidé à voir aboutir le projet, n’en déplaise à ses administrés.

 

Le chantier démarre sans attendre que les recours soient purgés car il y avait urgence pour l’association Alynéa. Une possibilité légale de démarrer les travaux avant la fin de l’instruction quand le projet comporte une dimension d’intérêt général. Seul risque, devoir démolir. Quand les premières pelleteuses arrivent, le curé – 85 ans à l’époque – est vent debout contre la destruction et s’interpose sur le chantier. Fermement convaincus que la démolition partielle de l’église est au contraire la meilleure façon d’en préserver la mémoire, les architectes tiennent bon. Ils conserveront une partie des matériaux afin de les réutiliser dans le projet.

 

Le CHRS s’organise en L autour d’une cour-jardin où l’emprise de l’église est matérialisée par son sol reconstitué. « Le plein de l’église devient le vide qui ordonne la composition des deux entités programmatiques », expliquent les architectes. Cette cour est délimitée par des murs de 3,80 m de hauteur, vestiges du Cœur-Immaculé-de-Marie, qui lui confèrent une atmosphère intime… tout en rassurant les riverains, inquiets de leurs nouveaux vis-à-vis. La notion d’espace de transition prend ici tout son sens puisque ces habitants ont longtemps vécu dehors et ont souvent bien du mal à rester enfermés dans leurs logements. Cette pièce à ciel ouvert permet une mise à distance, un passage plus doux entre la rue et leur intimité.

 

Réapprendre à habiter

Pour les 22 chambres individuelles réparties sur les deux étages courants, le choix a été fait de limiter la largeur à 2,20 m pour une longueur de 7,50 m en intégrant le mobilier. La salle de bains est réduite à la cabine de douche et le lavabo multi-usage est positionné entre le placard et le lit. « Nous avons conçu le mobilier des chambres afin que ce format singulier puisse être compris et approprié, tout comme nous avons accordé une importance particulière au traitement des sols, tous carrelés, en mettant en avant le motif et la couleur. Une façon de retrouver la capacité d’habiter un logement », note Stéphanie David.

 

Des espaces communs (cuisine, salon de détente) sont quant à eux situés au rez-de-chaussée, en lien direct avec la cour : un subtil équilibre entre autonomie de l’individu et cohésion du groupe. Les logements destinés aux familles s’appuient sur une logique de chambre volante. Entre les appartements, des pièces supplémentaires peuvent être annexées en fonction des besoins. Forte d’une matérialité brute, cette opération dégage une sérénité apaisante. « La question du “beau” dans le très social est toujours complexe. Comme si c’était un accessoire qu’on ne pouvait pas se payer. Il y a vraiment des idées reçues à déconstruire », déplore Stéphanie David.

 

Programme distinct du CHRS, les 17 logements sociaux (du T2 au T4, avec une majorité de T3) sont regroupés dans un bâtiment à R + 4, en front de rue, donnant sur un jardin. Tous bénéficient d’une terrasse orientée plein sud. Des volets coulissants en aluminium anodisé doré permettent aux occupants de se protéger du soleil, tout en qualifiant la façade.

 

Sur la rue, certains éléments ont été conservés : la façade originelle de l’église ou la croix d’un oculus en guise de réconciliation avec les anciens habitués de la paroisse. Pas de regrets pour les architectes : « La mémoire de l’édifice existe aujourd’hui à travers ses murs, son sol, sa matérialité. Le vide généré, sa force paysagère sont un hommage plus important que la muséographie factice d’un lieu qui n’existe plus dans sa fonction. »

 

 

1. Lire à ce sujet Panique dans le 16!, une enquête sociologique et dessinée de Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon et Étienne Lécroart, éditions La Ville Brûle, 2017.

 

 




Fiche technique

Maîtres d'ouvrages : Est Métropole Habitat, Association Alynéa
Maîtres d'oeuvres : A-MAS architectes (Stéphanie David et Éric David)
Entreprises : Eiffage construction
Surface : 2 943 m2 SDP
Coût : 4,8 millions d’euros HT
Economie de la construction : GBA Éco

BET thermique fluide SSI : GBA Fluides

BET structure : BOST Ingénierie

Date de livraison : concours en 2013, livraison en 2017, arrivée des habitants en septembre 2017

Programme : centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et logements sociaux

Lieu : 34, rue Richelieu, 69601 Villeurbanne

Cour intérieure dont le sol reprend les motifs de l'église démolie pour la contruction du site<br/> Crédit photo : WEINER Cyrille Centre d'hébergement et de réinsertion sociale de Villerbanne, A-MAS<br/> Crédit photo : WEINER Cyrille Centre d'hébergement et de réinsertion sociale de Villerbanne, A-MAS<br/> Crédit photo : WEINER Cyrille Logement social vu depuis le séjour<br/> Crédit photo : WEINER Cyrille

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