Architecte : Marc Barani Rédigé par Emmanuel CAILLE Publié le 18/10/2021 |
Après les musées ou les auditoriums, le
chai est l’archétype de la commande prestigieuse pour laquelle un architecte de
renom se doit désormais d’être convié. Le chai a remplacé le « château »
mais il n’est pas encore sur l’étiquette. Celui du Domaine Les Davids s’inscrit
dans un site exceptionnel du Lubéron, entièrement repensé et remodelé par ses nouveaux
propriétaires. Dans l’apparente simplicité des formes qui a toujours
caractérisé son travail, Marc Barani atteint ici une virtuosité plastique et
constructive où, dans un savant jeu de correspondances avec la culture du vin, le
dispositif qu’elle instaure permet de magnifier cette vallée tout en la
reconfigurant.
D’abord, il y a un rêve. Celui d’un
couple fortuné – Sophie Le Clercq est dans l’immobilier, Yves Zurstrassen
est peintre – qui désire créer un petit éden où ils pourraient façonner un
verger, des cultures maraîchères et un vignoble selon les règles les plus vertueuses
de l’agroécologie. Un lieu pour l’art aussi, avec un atelier et des espaces d’exposition.
En 2000, ils acquièrent cette vallée que l’élevage de chèvres avait depuis
longtemps rendue aride, mais au riche potentiel : une belle exposition au
sud et de l’eau que recueillent ses flancs alluvionnaires. En vingt ans, ils
vont transformer cette vallée aux confins du Lubéron (exactement à la frontière
entre le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence) en jardin des délices. Les premières
cuvées issues des nouveaux pieds de vigne sont tellement prometteuses qu’est
décidé d’étendre les vignobles et de diversifier les cépages en profitant de
terroirs très variés (schisteux, calcaire, sablonneux ou argileux). Aujourd’hui,
neuf vins biologiques de différents cépages sont produits sur 20 hectares.
S’est alors naturellement posée la question d’un lieu de production viticole
plus ambitieux, d’un espace d’accueil pour la vente des produits du domaine et – pourquoi
pas – d’un restaurant.
Si le monde du vin s’est depuis quelques
années intéressé à l’architecture, ce n’est pas seulement pour des raisons de
marketing et de développement œnotouristique. La viticulture et la vinification
entretiennent avec l’architecture des rapports d’analogie dont les meilleurs
architectes ont su se saisir : les relations complexes qu’elles tissent avec
le paysage – entendu comme topographie, géologie et climat – leur sont
consubstantielles. La manière de tirer parti ou de se protéger de la pente, de
l’ensoleillement, du vent ou de l’aridité du sol participe intimement de la qualité
d’un vin comme de celle d’un lieu habité. Cependant, si le chai devient un espace
de représentation, il reste un outil de production dont l’organisation – qu’il
s’agisse par exemple ici de travailler par gravitation – demeure essentielle.
La formation d’un paysage
La vallée a la forme d’une main que l’on
tendrait pour recueillir l’eau d’une source : en haut, au nord, la paume la
referme puis ses doigts la prolongent en s’évasant et descendant vers le sud. L’antique
bâtisse du domaine, le vieux chai et l’atelier de peinture installé dans un entrepôt
sont au centre du site. La première décision déterminante de l’architecte est de
déplacer le chai. Il l’encastre au nord, là où la vallée se referme, et le retourne
vers le sud pour embrasser le paysage, comme cette vierge de Piero Della Francesca
à Sansepolcro, dit Marc Barani, qui écarte les bras pour étendre la protection
de son manteau aux petits personnages implorant sa bienveillance. La configuration
rappelle aussi la villa Barbaro de Palladio : à Maser, adossées à la colline,
les deux galeries – les dépendances – prolongeant le corps principal semblent
elles aussi embrasser les vignobles en contrebas. Par ce seul dispositif, l’orographie
du domaine paraît entièrement reconfigurée, inversant le rapport naturel des
choses : la vallée semble s’être assujettie au chai et non l’inverse. N’est-ce
pas d’ailleurs par un tel artifice que naît la sensation de paysage ?
À cette mise en scène, il fallait au
sein même du bâtiment offrir un dispositif qui la magnifie. Une baie vitrée s’étendant
sur toute la longueur du chai permet à la fois de découvrir depuis l’extérieur
les cuves tulipes en béton, tout en offrant depuis la cuverie une vision panoramique
sur la vallée au sud. Mais pour que cette ouverture ne devienne pas une nuisance
par l’éblouissement et la chaleur qu’elle aurait pu engendrer, l’architecte l’a
protégée d’un vaste auvent horizontal. Aucun rayonnement solaire ne vient ainsi
frapper les cuves, dont la température fait évidemment l’objet d’un contrôle
rigoureux. Pour éviter également l’effet de contre-jour, des oculus zénithaux
apportent une lumière d’appoint sur l’autre face des cuves.
De sa célèbre villa cannoise à l’École
de la photographie d’Arles, qu’il a livrée l’année dernière, Marc Barani est passé
maître dans l’art du porte-à -faux surdimensionné. Il faut se tenir sous cette
dalle imposante pour comprendre immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un caprice
stylistique. Sa hauteur et sa profondeur ont fait l’objet d’un long travail d’ajustement
des proportions entre ciel et terre : comme s’il s’agissait de placer le
visiteur à la limite entre intériorité et extériorité dans une sensation d’instabilité
qui intensifie le rapport au paysage.
Mais si ce monumental auvent, affinant
le long volume du chai, lui confère d’abord un statut de figure archétypale de
bâtiment contemporain, le dispositif structurel qui le génère, en défiant la
rationalité constructive – ou, comme s’amuse espièglement à le dire l’architecte,
en commettant une erreur de débutant –, nous projette dans une expérience
de perceptions plus complexes. Pour un tel porte-Ã -faux, il faut un fort contrepoids ;
soit des tirants ancrés dans le sol, soit un auvent symétrique formant
cantilever. Or, la longue baie interdit tout point porteur sous la dalle et la
hauteur des cuves empêche tout prolongement intérieur. Le report des charges doit
donc se faire en baïonnette en passant par-dessus, une solution onéreuse qu’a dû
négocier l’architecte. À l’harmonieux classicisme du chai, ce maniérisme
structurel confère une tension inattendue. Il n’y a probablement rien d’intentionnel
de la part de l’architecte, mais on ne peut s’empêcher ici aussi de noter l’analogie
avec la vigne : c’est dans la difficulté qu’a le système racinaire des
cépages à fracturer la roche pour y trouver l’eau nécessaire à sa croissance
que naît une part des subtilités gustatives du vin.
L’accord chai-vin
Le chai de vinification étant mis en
vitrine sur le paysage, l’espace de dégustation et de vente est reporté à l’arrière,
tout comme le chai d’élevage qui le jouxte. Pour y amener le visiteur sans
passer par le cuvage, une galerie latérale – à gauche en regardant le chai
depuis les vignes – a été créée. On y entre comme dans une grotte tout en
admirant les fûts sur la droite. Mais pour atténuer la violence du passage de
la lumière à l’ombre, le fond du passage est percé d’une sorte de soupirail
géant formant canon de lumière. Sur le mur à gauche, Yves Zurstrassen a réalisé
une grande fresque de céramique, elle-même éclairée par une fente de lumière
rasante. Si on voulait prolonger la référence palladienne, on pourrait voir
dans ce dispositif une transposition de la cour des nymphéas à l’arrière de la
villa Barbaro – encastrée dans la colline comme une grotte à ciel ouvert –
mais qui serait ici latéralisée.
Dans ce dialogue qu’instaure Marc Barani
entre forces chtoniennes et ouraniennes, la matière même du chai s’impose comme
une évidence : un béton planchette dont les teintes ocre rose reprennent
celles de la terre. Ainsi fondé, le bâtiment répond aux falaises du ravin des
Gipières qui lui font face à l’horizon.
Dans cette vallée de Viens, l’architecture
et le vin entretiennent un subtil jeu de correspondances, leur rapport à la nature
ne se construit pas dans la soumission ou le mimétisme, mais davantage dans un
harmonieux rapport de force qui permet de sublimer l’un et l’autre.
Maîtres d'ouvrages : Les Davids
Maîtres d'oeuvres : Atelier Marc Barani ; Moritz
Krüger, chef de projet ; Jean Paysant, architecte ; Régis Roudil,
architecte chantier
Entreprises : -
Surface SHON : 2 130 m2
Cout : non communiqué
Date de livraison : 2020
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