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Pierre Lajus avait été sollicité par le Conseil Régional de l'Ordre des Architectes d'Aquitaine
pour être le "parrain" de la dernière promotion de jeunes inscrits Ã
l'Ordre. Son discours du 16 mars 2012 avait pour thème la question de l'image d'architecture, et de l'architecture elle-même, à l'ère de la fabrication numérique, thème abordé dans le dernier numéro de d'a. Il a accepté de nous transmettre son discours, qui, selon lui, "prolonge votre réflexion
sur la virtualité de l'image d'architecture, vers celle de la
matérialité de la construction". |
Ne me voyant pas dans le rôle de Marlon Brando, j'ai consulté le Petit Robert pour savoir ce que signifiait être un « parrain ».
Le dictionnaire m'indique qu'il s'agit d'être celui qui tient un enfant sur les fonts baptismaux, ou qui apporte soutien à une personne qui demande à entrer dans un ordre ou une société.
Cette définition me plonge dans l'embarras. Car comment puis-je apporter soutien à de jeunes architectes qui vont, j'en suis persuadé, exercer un métier très différent de celui que j'ai connu depuis 1956, date de mon diplôme à l'Ecole Régionale d'Architecture de Bordeaux. Comment les aider à affronter une commande raréfiée, une mise en compétition permanente, des Partenariats Public/Privé détenus par des majors du BTP tout puissants, imposant la loi de la logique financière à tout l'appareil de production de l'architecture...Comment les conseiller dans des démarches d'économies d'énergie qui m'ont toujours été étrangères, même si certains me tiennent pour un précurseur de l'architecture écologique...
Il y a cependant une question sur laquelle j'ai quelque chose à vous dire. C'est une question que tous vous allez rencontrer, que vous deveniez maître d'œuvre isolé ou membre d'une grosse structure, architecte lié à la maîtrise d'ouvrage, urbaniste ou aménageur. C'est une question qui me préoccupe surtout depuis que je me suis aperçu que dans les revues d'architecture, on ne pouvait plus distinguer les photos d'œuvres réalisées et celles de projets représentés avec tout l'art des images de synthèse. C'est sur ce sujet du rapport entre virtualité numérique et réalité matérielle dans le projet architectural que je ne crains pas de me mettre à contre-courant .
Les images qui font rêver vos commanditaires, vous les élaborez sur vos écrans ou vos tablettes en croyant faire de l'architecture. Il faut que vous sachiez qu'elles n'en sont pas encore. Elles ne le deviendront que lorsqu'elles auront été confrontées à la réalité de la construction, sur laquelle vous devez acquérir une maîtrise aussi grande que sur celle des images. Elles ne prendront existence que si vous avez su trouver les matériaux adéquats, que si vous savez en concevoir les techniques de mise en œuvre, que si vous êtes capables d'en évaluer et d'en garantir les coûts.
C'est de ce sujet que je voudrais vous parler. Ce n'est pas une question nouvelle, car les rendus au lavis de chapiteaux corinthiens que me faisait exécuter le patron pourtant respecté Claude Ferret étaient tout autant éloignés que vos images de synthèse de la réalité construite des petites maisons bon marché qui allaient être l'objet principal de mon travail d'architecte pendant quarante ans.
Il faut donc parler de la réalité de
la construction, de sa matérialité.
En ce qui me concerne, c'est
l'expérience des qualités architecturales incluses dans les
matériaux de la construction qui m'a fait découvrir des
dimensions de la création architecturale auxquelles ne m'avait pas
préparé l'enseignement des Beaux-Arts.
Je veux ajouter autre chose. J'ai essayé de vous montrer que , pour moi, l'architecture n'existe que lorsque la virtualité des images du projet a rencontré la réalité de la matière de la construction.
Vous ne pouvez pas vous contenter d'être des producteurs de belles images d'architecture, rêvant de les voir construites par je ne sais quel miracle.
Aujourd'hui, le contrôle de la matérialité de la construction est entièrement dans les mains des entreprises, et vous savez que la finalité de l'entreprise est avant tout sa rentabilité financière. Les images du projet, si l'entreprise est seule à les contrôler, ne résisteront pas à cette logique, et toutes les dérives sont malheureusement possibles. Vous devez donc d'abord reconquérir la compétence technique que les architectes ont abandonnée aux ingénieurs. La formation permanente, associée à votre expérience, fera de vous des éternels étudiants, et c'est tant mieux !
Mais pour peser un poids suffisant dans cette reconquête de la « maîtrise de l'œuvre »à laquelle vous êtes maintenant habilités, vous avez aussi besoin d'alliés. Vous les trouverez d'abord au sein des entreprises elles-même, dans les bureaux d'études ou sur les chantiers, où vous rencontrerez parfois des travailleurs immigrés ou des hommes de métier qui comprennent mieux l'architecture que bien des ingénieurs diplômés qui les dirigent. Pour que leurs énergies convergent avec la vôtre, vous devez vous faire les organisateurs de cette chaîne d'interventions qui conduit à l'oeuvre architecturale.
Vous devez aussi vous faire des alliés de vos commanditaires, les maîtres d'ouvrage, et pourquoi pas de leurs clients, les utilisateurs. Ils sont mieux informés que par le passé, souvent grâce à Internet, de l'évolution des techniques, et ils savent mieux formuler les exigences de qualité d'usage qui contribueront à la qualité de votre architecture. Une qualité architecturale qui sera mieux reconnue par les utilisateurs s'ils ont participé à son élaboration.
Pour conclure, je vous demande d'excuser le ton un peu sévère de cette admonestation, mais c'est, je crois, ce qu'attendaient de moi les responsables du Conseil Régional de l'Ordre des Architectes d'Aquitaine qui m'ont choisi pour être votre « parrain ».
J'ai essayé de vous convaincre de la nécessité de ne pas se prendre aux pièges du virtuel, et d'accepter avec confiance la matérialité de la construction, pour en faire de l'architecture.
Mais qu'est-ce que construire ? J'ai trouvé chez Marguerite Yourcenar, dans les « Mémoires d'Hadrien », quelques lignes qui le disent assez bien :
« Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais, c'est contribuer à ce lent changement qu'est la vie des villes. Que de soins pour trouver l'emplacement exact d'un pont ou d'une fontaine, pour donner à une route de montagne la courbe la plus économique qui est en même temps la plus pure !…Creuser des ports, c'était féconder la beauté des golfes…J'ai beaucoup reconstruit, poursuit Hadrien :
C'est collaborer avec le temps sous son aspect de passé, en saisir ou en modifier l'esprit, lui servir de relais vers un plus long avenir ; c'est retrouver sous les pierres le secret des sources… »
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