Contrôler ? Oui, mais jusqu’à quel point ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 13/12/2013

Article paru dans d'A n°223

S'il est impératif de contrôler la qualité des constructions et le respect des règles de l'art, jusqu'où faut-il le faire quand des chantiers sophistiqués sont soumis à l'évolution incessante des normes, des matériaux et des techniques ? Après avoir obéi aux directives des contrôles, les acteurs de la construction voient aujourd'hui leurs bâtiments soumis aux contrôles ultérieurs des agents techniques de l'État. Ces multiples vérifications sont-elles trop tatillonnes ou accordent-elles une marge de tolérance ? 


Le point avec Philippe Cirgue(1), Michel Jarrault(2), Bernard Proust(3) et Jocelyne Blaser(4).

La loi Spinetta (1978) impose aux maîtres d’ouvrage de recourir à un bureau de contrôle technique garantissant que tout établissement recevant du public est conçu et construit selon les règles de l’art. Ce contrôle vise à prévenir les aléas de réalisation des ouvrages et à détecter d’éventuelles malfaçons. Il valide la sécurité de l’édifice et apporte des garanties aux assureurs. Selon le résultat, des modifications sont imposées.


De la vérification à l’appréciation

Plusieurs grands bureaux de contrôle se partagent ce marché et Michel Jarrault, ancien directeur d’une filiale de Socotec, explique comment les choses ont évolué en cinquante ans. « Lorsque j’étais contrôleur technique, entre 1965 et 1980, le contrôle technique de la construction portait sur les éléments essentiels du bâtiment – fondations, structure, clos et couvert. Il s’est ensuite étendu aux équipements techniques et aux dispositions liées à la sécurité des personnes. Par référence aux règles techniques, DTU, normes et avis techniques du CSTB, en particulier, ce contrôle comprenait à l’origine la vérification des plans d’exécution des BET et l’examen des travaux d’exécution. Les visites de chantier étaient des visites inopinées, aux moments les plus opportuns pour juger, par sondages, de la qualité de l’exécution des points les plus importants et les plus sensibles. Depuis, la démarche n’a pas changé, même si le contrôle s’est élargi et si les règles de référence sont plus nombreuses et plus complexes. » Précisant que le contrôleur technique joue aussi assez souvent le rôle de conseil auprès du maître d’ouvrage et des concepteurs, il ajoute que « le contrôleur doit savoir interpréter les règles techniques et juger de leur adaptation à la réalisation d’un ouvrage particulier qui est toujours un prototype ».


Après l’examen des plans d’exécution effectué en amont, qu’advient-il quand le contrôleur découvre une anomalie sur une partie de l’ouvrage déjà réalisée ? « Le contrôle technique a alors tout son sens d’action de prévention vouée à corriger les anomalies avant la livraison. Les connaissances du contrôleur doivent lui permettre d’apprécier si des écarts par rapport aux valeurs réglementaires sont acceptables ou non. Tout autre contrôle ayant lieu plusieurs années après la réception devrait être conduit dans le même état d’esprit et non pas simplement au travers d’une grille de valeurs. Il n’y a pas de règles sans tolérance au vu des conséquences financières que peut entraîner un rapport menant à la modification, voire à la destruction totale ou partielle d’une partie d’un ouvrage en état de service. »


Contrôle à double détente

L’architecte Philippe Cirgue, ancien secrétaire général du CROAMPP5, insiste lui aussi sur l’importance de cette marge de tolérance. « Hormis les erreurs graves qu’il faut corriger quitte à procéder à des démolitions, les contrôleurs techniques savent que nos immeubles sont des prototypes et ils admettent des tolérances. Corriger de minimes erreurs ou refuser toute marge par rapport à une norme peut entraîner des dépassements budgétaires et calendaires ayant de graves conséquences s’il faut démolir et reconstruire une partie d’édifice ou gérer des réclamations et de longs contentieux. »

Au-delà des contrôles effectués lors du chantier ou à la livraison d’un bâtiment, il rappelle que ses confrères s’inquiètent d’être de plus en plus souvent soumis à un second contrôle effectué $a posteriori$ par des agents assermentés du ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (MEDDTL). Ces derniers s’adressent au maître d’ouvrage qui en réfère à l’architecte. « Ce type de contrôle semble se généraliser avec l’évolution des normes. Généralement sans concession, il met les responsables du projet (MO et MŒ) en grande difficulté quant à la résolution du problème car il intervient après le délai des garanties de parfait achèvement (un an) et de bon fonctionnement (deux ans) quand les entreprises ne sont plus liées au maître d’ouvrage. »

« Pourquoi ce nouveau contrôle nous est-il imposé après l’avis favorable du contrôleur technique ?, s’étonne-t-il. Il semble que les règles se substituent aux règles de l’art. Ceci laisse assez dubitatif quand on sait par ailleurs qu’une surabondance de règles et de normes surenchérit le coût des bâtiments en une période difficile. L’ancien ministre du Logement, Benoist Apparu, ne disait-il pas récemment à la radio que la seule norme d’accessibilité des logements avait généré un surcoût de 15 % ? Il avouait aussi son regret ne l’avoir pas “tempéré” quand il était aux affaires… La superposition de contraintes et de contrôles auxquels il faut ajouter les nouvelles réglementations thermique et acoustique ne peut qu’augmenter encore le coût de nos bâtiments et l’on est loin d’en avoir fini avec les contrôles ! »


Pourquoi vouloir tout contrôler ?

Bernard Proust, 
directeur région Sud-Ouest de Socotec, rappelle que l’objet de la mission de contrôle technique n’est pas de donner un certificat de conformité mais de contribuer à la prévention en analysant les risques susceptibles de générer des sinistres (solidité, étanchéité, etc.) et les points liés à la conformité des divers règlements (accessibilité, sécurité incendie, acoustique et thermique). Il voit « une différence de philosophie » entre la mission effectuée par un contrôleur technique et celle qu’effectue l’État $a posteriori$. « Le contrôleur technique tient compte de la spécificité d’un ouvrage en portant son attention sur les points pouvant poser problème. Il vérifie aussi par des sondages réguliers sur le chantier que l’entreprise assure avec diligence l’autocontrôle dont la responsabilité lui revient. La démarche de l’État est différente, car ses contrôles sont fondés sur le respect d’une grille d’analyse très stricte visant à vérifier la conformité d’un bâtiment à tous les points réglementaires. Toutefois, ne pas satisfaire l’un de ces points ne signifie pas qu’un bâtiment est impropre à l’usage pour lequel il est fait. »


Dès lors, vouloir tout contrôler est-il judicieux ?

« Tout relève d’une différence de points de vue. La multiplication des textes s’explique par une certaine forme de déresponsabilisation des politiques qui suivent la pression de l’évolution de la société et des directives européennes, les utilisateurs demandant toujours plus de confort et de sécurité. La responsabilité de l’exécution des travaux revient à l’entrepreneur et l’architecte considère qu’il devrait s’engager à une obligation de résultat sans être obligé de respecter des normes qui ne lui semblent pas forcément utiles. Ne vaudrait-il pas mieux s’engager sur une qualité d’usage plutôt qu’au respect d’une conformité totale à des règlements contraignants et pas toujours adaptés ? »


Une mission régalienne de l’État

« Le contrôle effectué par les agents assermentés des centres techniques du ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (MEDDTL) existe depuis des décennies », précise Jocelyne Blaser, responsable de la division économie et qualité de la construction à la Direction régionale de d’environnement de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées. « Sans lien avec la mission des bureaux de contrôle technique, ce contrôle répond à des missions régaliennes et permet au législateur de statuer en application du code de la construction. Dans le cadre de nos campagnes annuelles portant sur des opérations choisies au hasard dans les trois ans après la fin des travaux, il peut concerner tous types de bâtiments soumis ou non à la loi Spinetta. »


Ce contrôle régalien, qui rejoint les enjeux du Grenelle de l’environnement et de la transposition des règles européennes, a plusieurs objectifs : « Veiller au respect des règles de construction sur onze cibles, de la sécurité incendie à l’acoustique, en passant par la thermique, l’accessibilité ou la ventilation. » Face à la superposition d’évolutions réglementaires liées aux objectifs de performances énergétiques ou économiques et à la qualité des produits utilisés dans le bâtiment, ces contrôles permettent aussi « de répertorier des points de vigilance récurrents pour constituer une base de données nationale et améliorer la qualité dans le secteur de la construction ».


Face aux questions soulevées par une normalisation souvent jugée excessive, Jocelyne Blaser insiste sur la vertu pédagogique du contrôle. « Il permet notamment à l’État de faire progresser les choses en engageant un dialogue qui n’existait pas auparavant avec les maîtres d’ouvrage. » Sur le terrain, elle constate que la jurisprudence ayant engagé une démolition, cas extrême de la décision du juge, est rare. Si tous les professionnels engagés dans un projet sont diligents, il est possible que le contrôleur n’ait rien à signaler. Prenant l’exemple des contrôles portant actuellement sur des bâtiments RT 2005, elle indique que les rapports débouchent sur moins de 25 à 30 % de non-conformités. Un tiers de celles-ci portent sur « au moins un point de non-conformité souvent sans gravité ». Insistant sur le bien-fondé du contrôle, elle ajoute que, désormais, les évolutions réglementaires imposent de fournir au stade du permis de construire et de l’achèvement des travaux des déclarations liées au respect des règles d’accessibilité, d’acoustique, de thermique et aux normes antisismiques. « Cette obligation renforçant la sensibilisation et la responsabilisation des maîtres d’ouvrage, nous devrions détecter de moins en moins de non-conformités », conclut-elle non sans optimisme.


1 - Architecte.

2 - Ingénieur et expert dans le domaine de la construction

3 - Directeur région Sud-Ouest de Socotec.

4 - Responsable de la division économie et qualité de la construction à la Direction régionale de d’environnement de l’aménagement et du logement Midi-Pyrénées.

5 - Conseil régional de l’Ordre des architectes Midi-Pyrénées.

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