Crèche «Les graines d’étoiles», Aix-en-Provence

Architecte : Atelier Fernandez & Serres
Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 05/01/2009

Il y aurait de multiples raisons de vous présenter cette crèche construite à quelques kilomètres au sud-ouest d’Aix-en-Provence. On pourrait évoquer l’évidence et la force de son plan, sa manière radicale de réinterpréter le vernaculaire aixois ou encore la maîtrise de son exécution dont la rigueur n’est pas un dandysme d’architecte mais l’expression aboutie d’une pensée sur l’espace et son adéquation à l’usage de ceux qui l’habitent. Mais ce petit équipement a davantage attiré l’attention par la couleur jaune vif de ses murs. Ce choix, dont on verra qu’il se révèle d’une subtilité contextuelle inattendue, n’a pas été du goût de certains édiles locaux pour lesquels le respect des traditions provençales se satisfait de bien pauvres artifices. 

La crèche « Les graines d’étoiles » est située le long de la route d’accès au parc technologique de la Duranne, sur les contreforts du plateau de l’Arbois. Des logements et des équipements publics sont récemment venus compléter cette zone industrielle dont on cherche en vain à comprendre la logique qui a pu déterminer son développement urbain. Sur ce plateau de l’Arbois, qui en 1978 a échappé à l’implantation d’un parc Disneyland, les constructions s’éparpillent au gré des disponibilités foncières. On a peine à croire que cet ambitieux technopôle soit spécialisé dans l’environnement tant les constructions y sont médiocres et autistiquement implantées au milieu de terrains implacablement arasés. Ajoutant l’ignorance au cynisme, ces outrages au paysage et à la culture aixoise prétendent vouloir s’absoudre de leur désinvolture en imposant le sacro-saint binôme pseudo provençal : tuile canal et enduit rose. 

La crèche conçue par l’atelier Fernandez & Serres tranche assurément sur cette attitude. Elle manifeste la volonté d’engager avec la culture aixoise une relation plus audacieuse, notamment dans son refus d’utiliser les signes platement mimétiques du kitsch néoprovençal, ce « style » dont les codes réglementairement imposés sont le produit d’une réinterprétation mal comprise de l’architecture vernaculaire. 

Le bâtiment se présente d’abord sous la forme d’un socle carré au centre duquel émerge une tour également carrée. Chaque face est percée d’un très large porche qui accentue à la fois l’horizontalité et la sensation d’épaisseur du bâtiment. Cette densité est renforcée par la modénature des murs : un enduit mélangé à une résine qui est habituellement utilisée pour réaliser les faux rochers des zoos. Il est projeté, puis peigné manuellement avec une règle inox dont le profil a été dessiné par les architectes. La toiture, visible depuis de nombreux points de vue, est tapissée d’un lit de cailloux reposant sur un caillebotis monté sur plots. Ce plan minéral ainsi élevé affleure au niveau supérieur de l’acrotère, accentuant d’autant l’impression d’homogénéité et de massivité de la crèche.
Le choix de peindre l’ensemble du bâtiment d’un ocre jaune vif et dense pouvait paraître iconoclaste. Il se révèle pourtant d’une étonnante pertinence. L’éclat de la couleur contredit étrangement la pesanteur du monolithe qui, lorsqu’on s’en approche, diffuse une intense luminosité. L’effet se renforce avec le vis-à-vis du bâtiment de service placé côté route. Ce prisme longiligne protège les enfants du bruit et des regards, tout en formant une cour triangulaire avec la crèche. Face à face, les deux façades exacerbent leur jaune qui redouble d’intensité. Plus étonnant encore, le parfait accord de cette couleur avec la végétation alentour. Lorsque nous l’avons visité en juin dernier, la crèche semblait avoir volé son éclat aux fleurs des genêts qui l’entouraient. L’accord qui nous semble si naturel entre le vert des feuilles et le jaune des pétales le devient pour le bâtiment qui rayonne dans son écrin de verdure.

Depuis la rue, l’édifice paraît peu ouvert sur l’extérieur mais en pénétrant dans la crèche, on est frappé par le contraste entre la massivité extérieure et la fluidité des espaces intérieurs. Son plan palladien cruciforme permet dès l’entrée de comprendre son organisation : enfants et parents sont d’emblée conduits sous la tour, au centre de la crèche. De là, ils peuvent découvrir les différentes salles à travers de grandes baies vitrées horizontales disposées sur les trois côtés opposés à celui de l’entrée. Au cœur du bâtiment, le jardin est ainsi visible des quatre côtés. Ce patio, magnifié par ses proportions (un cube parfait lui donnant notamment une hauteur double de celle des autres pièces), l’est davantage encore par l’éclairage naturel zénithal, une membrane tendue translucide de type batyline dessinant la sixième face du cube, jusqu’en ses arêtes. Le rose fuchsia des quatre murs achève de transformer ce hall en boîte lumineuse. La couleur ne se limite cependant pas à un rôle décoratif, elle intervient dans le bâtiment aux parois blanches chaque fois que le regard est tiré vers le haut par la lumière du jour, notamment dans les quatre autres petits patios annexes. Volume, couleur et lumière concourent ainsi à concilier l’architecture avec le temps de la petite enfance, celui de l’apprentissage de la marche et de la verticalisation. 

La couleur est aujourd’hui trop souvent utilisée pour pallier l’indigence de l’architecture ou pour faire oublier son peu d’aménité. Dans cette réalisation de Stéphane Fernandez et Ivry Serres, la couleur n’est pas là pour divertir, elle est un élément structurant du projet architectural, indissociable de sa signification. Sommés un moment par la mairie de repeindre la crèche avec ce fameux « rose provençal », les architectes ont eu la judicieuse idée de faire appel à Cézanne, retournant l’argument de la tradition locale en leur faveur grâce à l’incontournable figure aixoise. Des paysages d’Aix-en-Provence, tout le monde connaît l’interprétation qu’en a donnée le plus populaire des peintres français, peignant inlassablement la montagne Sainte-Victoire, ses reliefs calcaires et ses forêts de chênes verts. Sous le pinceau de Cézanne, les villages ou les simples bâtisses émergent comme des concrétions géologiques dont les géométries contaminent à leur tour le dessin des nuages. Rien dans ces peintures ne semble exister par soi-même. L’espace y est une matière homogène où les vides ont la même densité que les pleins. Dessin et couleur ne sont plus distincts. Le ciel, la terre, la végétation et les habitations se renvoient sans cesse leurs reflets jusqu’à nous faire oublier d’où viennent d’abord le bleu, l’ocre ou le vert. 

Dans une toile de 1906 convoquée par les architectes, La Montagne Sainte-Victoire et le château noir, le peintre semble abolir l’identité pigmentaire de chaque chose dans l’unité organique du tableau. Arbres, montagne et ciel s’imprègnent des mêmes teintes. Le château noir, qui émerge comme un rocher, se fait ocre jaune et dissémine ses éclats aux quatre coins de la toile. Si la comparaison avec la crèche s’impose ici avec évidence, ce n’est cependant pas pour l’étonnante similitude de l’harmonie des couleurs. Ce que Cézanne nous montre n’est pas tant que les maisons sont jaunes mais qu’une autre réalité existe derrière ce que l’on voit. Cette idée, Paul Klee, en grand admirateur de Cézanne, la traduira dans sa célèbre phrase: « L’art ne reproduit pas le visible; il rend visible. » Les idées, l’imagination ne peuvent être prises au sérieux que si « elles sont étroitement associées aux moyens plastiques leur permettant de devenir des réalités de l’art qui élargissent les limites de la vie telle qu’elle apparaît d’ordinaire ». Les idées, ajoute Klee, « ne reproduisent pas le visible avec plus ou moins de tempérament, mais rendent visible une vision secrète. » C’est pourquoi imposer adnauseum l’imitation d’une teinte d’enduit soi-disant « traditionnelle » ne satisfera jamais le désir d’authenticité: le don d’établir un lien fort avec l’histoire et l’idiosyncrasie d’un lieu ne peut être accordé qu’à ceux qui tentent de voir au-delà du visible en réinterprétant le réel. Seul l’accès à la signification intime des choses autorise un dialogue qui échappe à la contrainte du temps. C’est le propre du langage poétique d’offrir ce pouvoir et c’est de cet ordre que relève ici l’architecture de Stéphane Fernandez et Ivry Serres.



Maîtres d'ouvrages : Commune d’Aix-en-Provence, SEMEPA 
Maîtres d'oeuvres :  Atelier Fernandez & Serres (architectes mandataires) G. Calas, C. Murat et F. Vesval, (assistants) – paysagiste : François Navarro 
Entreprises :  BET : Ingebat 
Surface SHON :  820 m2
Coût :  1,66 million d’euros HT
Date de livraison : avril 2009

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