Un éminent critique d’architecture, habitué des jurys de concours prestigieux, racontait récemment que, au cours de ces séances où sont jugés, en quelques heures, plusieurs mois de travail d’une équipe de maîtrise d’œuvre, rares étaient les membres de la docte assemblée à prendre la peine de se lever pour aller étudier les rendus des candidats. Il est vrai que beaucoup d’entre eux n'ont pas été formés à lire un plan, a fortiori une coupe. Ces délibérations se faisant désormais en l’absence des auteurs des projets, on ne s’étonnera pas que les images de simulation produites aient pris une importance capitale. Mais on est saisi par la frénésie avec laquelle ces vues accumulent les moyens de séduction : qu’importe que le projet soit situé dans un territoire sinistre et soit conçu avec des matériaux médiocres, il apparaîtra, sur fond de crépuscule hawaïen, émergeant d’une jungle tropicale agrémentée de quelques cerisiers en fleur du Japon. Des jeunes filles prépubères batifoleront dans une prairie de fleurs printanières. Les façades, déclinant toutes les harmonies de couleurs, seront une dentelle précieuse réfléchissant le ciel flamboyant.
Soit. Il faut séduire. On n’ira pas reprocher à l’architecte cet acte d’allégeance à la vulgarité d’une telle séduction. On reste cependant perplexe sur la dérive du mécanisme de sélection des projets. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que parallèlement se développe, à travers la photographie, une esthétique qui est son exact opposé. Celle des nouveaux gourous de la ville contemporaine ; déshérence, vacuité de l’espace, ciels de plomb, sordide post-industriel y sont le lieu de nouvelles figures de style où la taille des images paraît inversement proportionnelle à ce qui est à voir. Ce qui est pour le moins équivoque, c’est que l’esthétique de cette fascination compatissante pour le « réel » (sic) – cette édition de d’A, sans que nous l’ayons prémédité, en témoigne – est produite par un système qui se complaît à utiliser les jolis chromos promotionnels des concours… Étonnant, non ?