De qui se moque-t-on ?

Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 15/12/2015

De qui se moquent les géomètres-experts ? Ils sont responsables depuis 40 ans de la destruction systématique des paysages ruraux français qu'ils transforment en lotissement en raquette ou zone commerciale. Nos territoires sont ainsi aménagés sans paysagiste, urbaniste ou architecte. Pour stopper ce massacre, des dispositions de la loi Création, architecture, patrimoine portée par Fleur Pellerin, prévoient de réserver en exclusivité aux architectes le projet architectural, paysager et environnemental du lotissement. L'Ordre des architectes a invité les paysagistes et les urbanistes à se joindre à eux (lire ci-dessous l'appel de la présidente de l'ordre). Mais le lobby des géomètres-expert contre attaque et lance un appel pour que les architectes ne puissent pas être responsables du projet architectural, paysager et environnemental. Leur communiqué de presse accompagné d'une vidéo explique sans rire que ce n'est pas la faiblesse des espaces communs conçus par les géomètres-experts qui donne une « perception discutable Â» aux lotissements mais la qualité architecturale médiocre des maisons. Ah bon ?



Deux communiqués de presse de Catherine Jacquot, présidente de l'Ordre des architectes.


COMMUNIQUE DE PRESSE


Permis d’aménager, ne nous divisons pas !


Paris le 2 Novembre 2015- Tous, paysagistes, architectes, urbanistes faisons le constat de la médiocrité de l’aménagement des périphéries des villes et villages de notre pays, C’est un constat partagé par une partie des élus et des citoyens et la presse s’en fait régulièrement l’écho.

Depuis des dizaines d’années, la procédure du lotissement est figée par les constructeurs de maisons individuelles pour satisfaire une demande des Français et reproduit un modèle avant tout commercial : des maisons posées au centre d’une parcelle, parfois sur un monticule, desservies par une voie en « raquette Â», caractéristique des lotissements reliés par un accès unique au réseau viaire de la commune, inscrivant dans l’espace et sur le sol, sa non appartenance au système urbain existant.

L’ordonnance du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme, et plusieurs textes législatifs à sa suite, ont instauré un permis d’aménager comprenant un volet architectural, paysager et environnemental. Cela aurait pu favoriser la qualité conceptuelle de ces lotissements résidentiels et un renouveau de ces morceaux de territoires.

Ces ensembles n’ont-ils pas droit au statut de « quartiers Â» de villes ou de bourgs et à l’urbanité attachée à ce terme ? Or cela n’a pas été le cas. Très peu de lotissements ont bénéficié de la contribution d’un architecte ou d’un paysagiste dans leur conception. Pourtant, et saluons l’engagement des élus locaux qui l’ont permis, des exemples existent et montrent des lotissements avec des mitoyennetés en continuité de la trame urbaine existante. Pour généraliser cette pratique vertueuse, il faut aller plus loin et c’est ce que fait le projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine.

Si, parce que la profession est réglementée, c’est le recours à l’architecte qui est inscrit dans la loi, c’est sans préjudice des autres acteurs de la conception. En aucun cas, la loi ne réserve aux seuls architectes les missions de maîtrise d’œuvre. Ils seront la figure de proue qui entraînera avec elle, les paysagistes et toutes les compétences indispensables à l’accroissement de la qualité de l’aménagement des territoires : urbanistes, environnementalistes actuellement absents de l’immense majorité des permis d’aménager déposés.

Les architectes ne peuvent rien seuls, ils en sont conscients ; ils peuvent défricher et ouvrir la voie. Ce n’est pas un quelconque monopole que nous revendiquons, c’est le droit à l’urbanité, à une excellence de l’architecture ordinaire pour des centaines de milliers de maisons individuelles construites chaque année ; c’est le droit au ménagement des paysages et des terres agricoles.

Les corporatismes n’ont pas lieu d’être. Face à un enjeu de cette importance, ne nous divisons pas car nous avons tous le même objectif, et les architectes proposent d’élaborer ensemble une charte pour la conception des lotissements avec toutes les compétences réunies au service de la qualité du cadre de vie.

Catherine Jacquot 2 Novembre 2015.




Ensemble pour l’excellence de l’habitat individuel !


Histoire d’un seuil :

Jusqu’en 2011, un particulier construisant pour lui-même pouvait déposer un permis de construire sans recours à un architecte si la surface de la maison n’excédait pas 170m² de surface hors Å“uvre nette (SHON) ; puis pour encourager une meilleure isolation des bâtiments, un nouveau calcul a créé la surface de plancher qui exclut la surface des murs de la surface totale. Cependant le seuil de recours à l’architecte par le décret du 7 mai 2012, est resté à 170m² augmentant de fait le seuil de recours obligatoire à l’architecte

De fait, comme le précise Patrick Bloche dans son rapport sur la création architecturale, « même s’il n’existe pas de correspondance fixe entre la SHON et la surface de plancher, puisque cela dépend de la configuration du bâtiment, on estime que l’impact peut aller jusqu’à 15 % de la superficie Â».


Quelques chiffres :

Selon le Commissariat général au développement durable, cité dans son rapport par Patrick Bloche, en 2012, « seules 5 % des maisons pour lesquelles un permis a été délivré cette année-là, avaient pour maître d’œuvre un architecte ; les constructeurs de maisons individuelles représentaient 53 % de ce marché, tandis que 29 % de ces logements étaient construits directement par leurs propriétaires Â».

Selon Développement Construction, spécialiste des études de marché dans le secteur du bâtiment, la maison neuve type dispose d’une surface moyenne de 131 m².

Enfin, selon le rapport de de la mission conjointe mandatée respectivement par les ministères du logement et de la Culture, les constructeurs de maisons individuelles occupent 59 % du marché au-dessous du seuil, et 38 % au-dessus du seuil 

Quant aux architectes, ils occupent, en mission complète, 3 % du marché au-dessous du seuil et 13 % au-dessus.



Après avoir analysé le marché de la maison individuelle, la qualité technique des maisons ainsi que la manière dont les permis de construire étaient instruits, la Mission s’est prononcée très clairement en faveur d’une simplification du calcul du seuil de surface et à l’abaissement de celui-ci à 150 m² de surface de plancher, pour compenser les effets du décret du 7 mai 2012.

En particulier, les auteurs du rapport ont estimé qu'un seuil fixé à 150 m2 de surface de plancher permet de « rester dans les équilibres d'origine Â» et de « respecter les exigences de la RT 2012, sans augmenter les coûts de construction Â».


Alors pourquoi tant d’acharnement ?

Les architectes travailleront toujours avec les entreprises pour construire une maison ! En quoi l’intervention d’un professionnel compétent-elle peut engendrer un tel hallali !

N’est-il pas de l’intérêt de tous de bénéficier de territoires mieux aménagés et de maisons de meilleure qualité ? Comment se fait-il que tant d’acteurs de l’acte de construire s’imaginent pouvoir impunément se passer d’architectes pour concevoir des maisons ou des lotissements ?

Quels intérêts cela sert-il, sûrement pas l’intérêt général ! Il suffit de regarder ce que sont devenus en 40 ans les périphéries des bourgs et des villes en France : alors que les centres sont à l’abandon, on couvre les terres agricoles et naturelles d’ensembles stéréotypés : maisons implantées au milieu de leur parcelle desservies par les voies en raquette. ..

On ne peut se résigner à cela ! L’habitat est un bien culturel au moins autant qu’économique et sa valeur patrimoniale est le bien commun de tous les citoyens.

Cessons de répandre des chimères, et Å“uvrons, chacun pour notre part, en faveur de la qualité !

Pour transformer et rénover l’aménagement des territoires, l’architecte ne peut en aucun cas agir seul. Tous les acteurs de l’acte de construire - paysagistes, bureaux d’études, entreprises et artisans - doivent s’engager dans cette démarche de fabrication de ces quartiers d’habitation que sont les lotissements de maisons individuelles.

Au lieu de vouloir sauvegarder des pratiques d’un autre temps, saisissons ensemble la nécessité de la mutation de l’écosystème de toute la filière bâtiment pour concevoir et aménager autrement nos bourgs et nos villes. Le véritable enjeu est là, les élus des collectivités territoriales et les parlementaires le savent.

Catherine Jacquot le 10 Novembre 2015




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