Désenclaver : Nice, réaménagement du stade du Ray

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 30/08/2016

Projet de Babin+ Renaud et Atelier Février Carre

Article paru dans d'A n°247

Les différents projets de ce concours de promotion/conception, organisé par la ville de Nice pour la réalisation d'un programme immobilier de 21000m2 permettent d’imaginer la reconfiguration de tout un territoire au nord de la cité. L'ancien stade du Ray formant une vaste enclave qui continue d'isoler des espaces très contrastés.

Nice monte en pente douce de sa baie vers les hauteurs de Gairaut. Creusée de vallons urbanisés et traversée par de grands axes de desserte, elle se constitue de quartiers qui, comme autant d’îles, savent développer des ambiances spécifiques autour de leur histoire singulière.

C’est au nord, à la limite de la ville d’alors, que le stade du Ray a été construit en 1927, avant de cesser ses activités en 2013 pour être remplacé par l’Allianz-Arena, une construction sans grand intérêt mais déportée dans la plaine du Var comme la plupart des grands équipements de la métropole.

Pratiquement invisible de la ville, le stade occupait un vaste territoire planté, un no man’s land pouvant être subitement envahi par plus de 25 000 spectateurs les jours de match de la période de gloire de l’OGCN. Cette enclave sépare toujours, comme un mur de Berlin, une zone bourgeoise et une zone populaire. À l’est, un quartier résidentiel constitué de villas érigées dans un vaste parc aménagé à la fin du XIXe siècle par le comte de Chambrun. Un lotissement de luxe où ne subsiste qu’une partie des plantations originelles : un cèdre du Liban et des cyprès entourant un énigmatique temple en marbre de Carrare inspirée du temple de Vesta à Tivoli, où se donnaient des concerts. À l’ouest, le boulevard Diane, une rotonde périptère Gorbella, un des axes majeurs de la ville, qui monte en ligne droite vers le mont Chauve, le terminal du tram réalisé par Marc Barani, l’autoroute et les hauts immeubles de la cité du Rouret (Carlu, Babin, Joly et Séassal). Densifiée à partir des années 1950 et relativement homogène, cette voie présente le long de son cours une collection intéressante de constructions de cette période.

Les édiles souhaitaient renforcer cet axe nord-sud, qui tend à se déliter avant d’atteindre la place de la Fontaine du temple, par des logements, des commerces, un parking et des équipements de proximité. Et créer un vaste parc sur le reste de l’emprise afin de préserver la mémoire du lieu et d’assurer la continuité avec les jardins de la villa Arson, qui s’étendent plus à l’ouest sur les hauteurs du quartier Saint-Barthélemy.

Quatre équipes d’architectes associées à des promoteurs étaient en lice, toutes conduites par de fortes personnalités. Ainsi Édouard François, le lauréat, n’a pas hésité pas à promettre de hauts immeubles couronnés d’étonnantes cascades de verdure. Herzog et de Meuron ont pris des risques en imaginant une sorte de phalanstère organique. Babin et Renaud, plus sages, ont su proposer des constructions en phase avec l’architecture de la zone. Enfin, Rudy Ricciotti, moins inspiré, a répondu littéralement à la demande et montré involontairement l’obscénité latente de ce programme immobilier.


Babylone

Édouard François et Jean-Philippe Cabane avec Adim Côte d’Azur, Vinci Immobilier et Logirem

L’équipe réunie autour d’Édouard François propose un plan rigoureux en U qui s’ouvre unilatéralement vers le futur parc. Ses abords sont largement dégagés de part et d’autre pour permettre la mise en scène des constructions nouvelles, tout en ouvrant des perspectives vers le cœur du vaste îlot replanté.

Jouant la carte de l’hétérogénéité maximale, ce U parvient à intégrer les deux immeubles existants alignés sur le boulevard. Il se constitue en effet d’une agglomération de bâtiments hétérogènes qui dupliquent des constructions existant à proximité, comme le chasseur caméléon de Predator, le film culte de John McTiernan. Certains, ainsi, renvoient, avec leurs balcons et leurs stores en toile, à l’architecture générique des années 1950, ou présentent des épidermes de couleurs ocre et arborent des persiennes à leurs fenêtres. Tandis que d’autres se dressent sur de hauts murs de soutènement en pierre calcaire. À cette sédimentation horizontale vient s’en ajouter une autre, verticale cette fois, composée d’extensions en bois – pièces supplémentaires ou balcons en porte-à-faux – accompagnées de plantations tombant en cascade. Un effet encore souligné par les jardins suspendus qui envahissent les toitures. Aux étages, les appartements, dont on appréciera la clarté et la simplicité de l’organisation, se regroupent par six et sont desservis par une circulation centrale permettant seulement à ceux des extrémités de prétendre à une double orientation.

La cour plantée, jouant avec la pente naturelle du terrain, vient se glisser au-dessus du centre commercial qui s’ouvre sur rez-de-chaussée. Elle accueille un objet étrange et bas recouvert d’une carapace de bois et montée sur pilotis, contenant des logements desservis par une coursive extérieure, la seule signature que se permet l’auteur.


Goetheanum

Herzog & de Meuron avec Ametis, Helenis, CFA Méditerranée et Logis Familial

Le projet d’Herzog et de Meuron vient toucher le boulevard Gorbella et s’étire rapidement ensuite pour s’orienter résolument au sud, sur le quartier des poètes. Il s’organise autour d’une vaste cour desservant deux ailes presque symétriques. Une configuration que l’on retrouve assez fréquemment dans les résidences des années 1950 du centre-ville. Pragmatiques, les deux architectes de Bâle ont opté pour des formes courbes, sinusoïdes, qui permettent de maximaliser le rapport des logements à la lumière et aux vues sur le futur parc. Les deux ailes sont chacune percées de deux patios circulaires qui assurent les liaisons verticales jusqu’aux parkings. Elles s’enfoncent en douceur dans le parc pour tenter d’établir avec lui une relation fusionnelle. Aux lignes sinueuses des balcons et des coursives de desserte vient s’opposer, en retrait, l’organisation en redans des logements qui permet à tous, même aux plus petits, de revendiquer au moins deux orientations.


Échiquier

Babin + Renaud et Atelier Février Carre, avec Icade et Habitat 06

Très à l’aise dans ce contexte, Babin et Renaud ont dupliqué et réactualisé intelligemment les typologies actives dans la zone, comme l’opération construite en 1958 par Jean de Mailly, le domaine de Falicon. Ils proposent un dispositif clair et concis. Une trame orthogonale de circulations différenciées – allée et promenade piétonnes, voie de service, cheminements privés permettant d’accès aux logements – est tissée sur le site et complétée par un parvis et une place qui assurent les connexions avec le réseau viaire existant. Une strate commerciale, coupée par l’allée de desserte en pente, s’enfonce résolument dans le relief pour éviter l’effet de dalle. Tandis que les volumes cubiques, contenant les habitations, n’hésitent pas à s’habiller de manière adaptée pour accorder une profondeur scénographique à l’ensemble. Ainsi deux propylées, lisses et neutres, viennent prendre position sur le boulevard. Ils twistent légèrement pour introduire au parvis d’accès à la promenade piétonne. Cette allée poursuit l’axe de la rue Pierre-Mellarède, qui semblait attendre patiemment depuis des années cette ouverture à l’est. Elle dessert, d’un côté, un centre commercial, de l’autre, des commerces de proximité. Une construction totémique atypique se dresse plus loin pour amplifier cette perspective. Tandis qu’au-dessus du centre commercial, une batterie d’immeubles cubiques en quinconce assure sereinement la transition entre la ville dense et la nature. Ces plots possèdent une organisation interne aussi simple qu’efficace : escalier, ascenseur et palier au centre, séjours dans les angles. Ils s’entourent de galeries à barreaudage aux entre-axes variables qui en renforcent la transparence et leur confèrent une forte identité.


ÃŽlot ouvert

Rudy Ricciotti et Jean-Paul Gomis avec Cirmad, Bouygues Immobilier et Côte d’Azur habitat

Rudy Ricciotti et son associé niçois proposent d’insérer un îlot ouvert entre la ville et le futur espace reboisé. Côté boulevard, s’alignent les logements sociaux massifs et peu percés, traités à la manière des années 1980. Tandis qu’à l’orée du parc s’avancent les appartements en accession qui s’entourent de balcons filants protégés par de précieuses plaques de verre réfléchissant, une réponse classique de la fin des années 2000. Comme si le travail de l’architecte consistait à pousser paresseusement le curseur de sa machine à remonter le temps.

Un désengagement qui déçoit. Cette partie de Nice laissée à l’abandon, mais conservant un grand potentiel, méritait une réponse poétique et radicale à la mesure de la notoriété de cet architecte incontestablement très talentueux.



Lisez la suite de cet article dans : N° 247 - Septembre 2016

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