Douce contamination : réhabilitation et restructuration d’un groupe scolaire, Guécélard, Sarthe

Architecte : Atelier Julien Boidot
Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 28/02/2021

Pour cette première commande en solo, après des années de complicité avec Émilien Robin, Julien Boidot nous emmène à Guécélard, un de ces territoires périurbains ordinaires auxquels il porte une attention particulière. Saisissant le prétexte de la demande initiale, la construction d’un accueil périscolaire, il contamine l’école existante par un ensemble d’interventions habilement dosées, qui lui confèrent aujourd’hui cohérence et dignité, et un statut d’équipement public. Rien d’héroïque dans le geste, l’art et la manière s’attachant au contraire à repérer les signes vernaculaires d’un paysage, sans accroche possible au premier regard, pour les infuser dans une vision savante et un récit engagé.

 

Aux portes du Mans, Guécélard est un de ces villages de la campagne sarthoise coupé par la nationale. Pour se rendre au groupe scolaire René-Cassin, on longe des pavillons aux jardins méticuleusement taillés, entre lesquels poulaillers, potagers et appentis rudimentaires témoignent d’une activité agricole encore vivace dans la région.

L’école s’annonce par trois cheminées, objets insolites dans le paysage, dont on nous dévoilera plus tard le rôle. Le linéaire de baies vitrées face à la rue a de quoi surprendre, à une époque où les mesures sécuritaires sont au premier plan de la conception dans ces établissements. Elles laissent entrevoir, à travers le filtre du bâtiment, les enfants jouant dans la cour. Julien Boidot explique d’emblée l’intérêt et le plaisir à travailler pour ces petites collectivités qui sont à l’écoute, ouvertes à la perception de l’architecte à l’égard de leur cadre de vie. Tout l’enjeu consiste alors à regarder ces situations ordinaires, avec attention et sans préjugés esthétiques, pour en déceler les qualités latentes, les révéler et les enrichir… avec des moyens modestes.

Nouer ces relations de confiance avec les interlocuteurs requiert méthode et pédagogie. Cette médiation, appliquée dans des contextes similaires lors de précédentes opérations, s’appuie sur des outils opérants tels que la maquette produite à différentes échelles. Celle du site, incluant le tissu pavillonnaire alentour, a fait adhérer à l’idée que ce projet-ci ne pouvait pas se cantonner à un objet autonome de plus, au sein d’une école qui a égrené ses extensions précaires depuis sa construction d’origine dans les années 1960. Le nouvel accueil périscolaire est une opportunité à saisir pour débarrasser les bâtisses qui morcèlent la cour, ramifier les interventions dans l’existant et remodeler l’école par petites touches afin de lui donner une cohérence et un statut digne d’un équipement public.

 

Ce préalable amène à privilégier une densification au sein de l’enceinte scolaire plutôt qu’un étalement sur la parcelle communale adjacente. Le nouveau bâtiment est positionné en retrait de la rue, dégageant ainsi un espace semi-public jardiné en bordure de cette voie passante aux heures de pointe. La mise à distance de l’activité scolaire préserve l’intimité des enfants tout en offrant un lieu pour que les parents n’aient pas à patienter sur le trottoir. La séquence rend également lisibles les deux entrées, l’une pour l’école, l’autre pour l’accueil périscolaire.

 

Dessin cultivé

Les choix architecturaux résultent d’abord d’une approche pragmatique. En épousant de façon mimétique le gabarit des volumes conservés – des rez-de-chaussée glissés sous des toitures monopentes â€“, le nouvel édifice les absorbe discrètement dans de subtiles articulations, à l’instar du préau existant étiré sous un écheveau de bois. Désormais fermé mais non chauffé, ce dernier offre une attente à couvert pour les enfants.

L’évidence formelle rejoint la clarté du plan, qui s’organise autour de trois blocs servants (cuisine, vestiaire, sanitaires…), émergeant en toiture pour endosser plusieurs fonctions : ils contreventent la structure, forment des puits de lumière et créent des cheminées de ventilation naturelle, une réinterprétation du malqaf oriental. Aux dispositifs sophistiqués, Julien Boidot préfère les machines climatiques frugales que peut résoudre l’architecture, dans la filiation d’un certain Glenn Murcutt auquel on pense en visitant le bâtiment.

Entre ces blocs, le caractère des pièces s’affirme dans un dessin cultivé et précis, qui tend à réduire au maximum le second œuvre pour laisser s’exprimer la matérialité de l’enveloppe, imprimer une ambiance, un climat spécifique. Brique creuse de remplissage, poteaux et poutres de béton, charpente bois… Le choix de recourir à des éléments standards modulaires, en poussant le raffinement de leurs assemblages, souscrit au désir et à la volonté de convoquer le travail à la main plutôt que la grue, de valoriser le savoir-faire des artisans par des échanges nourris.

Cette écriture affirmée, qui met à nu les matériaux structurels en ne laissant rien au hasard (visibles, les gaines des interrupteurs électriques et luminaires sont placés au cordeau), invite à s’interroger sur la neutralité expressive, mise en avant parfois dans certaines architectures, au motif de ne pas brider les potentialités d’appropriation. L’expérience spatiale se prête au contraire à une grande souplesse d’usages et d’interrelations possibles entre les pièces. La bibliothèque et la salle d’arts plastiques, qui se trouvaient dans un local obsolète à l’autre bout de la cour, ont été rapatriées dans l’une des unités, dont la flexibilité pourra se prêter à une salle de classe si besoin. Les rangements, disséminés dans un mobilier intégré au soubassement des grandes ouvertures, participent aussi de cette liberté de mouvement, en composant des alcôves généreuses propices aux jeux.

 

Analogies

La colonisation dans l’école prend la forme d’une greffe qui accueille des fonctions supplémentaires (salle de classe, salle des professeurs, infirmerie) et fait la jonction avec les salles de classe au sud. Une équité de traitement entre neuf et existant a incité à une remise aux normes simple de toutes les classes. Celles au sud bénéficient d’un aménagement supplémentaire, une surhausse partielle qui ménage une grande ouverture plein sud. La réflexion autour des enjeux programmatiques a également étoffé l’école d’un préau en lien direct avec la cour et d’un lieu de stockage pour le matériel de jardinage, en prévision du jardin pédagogique prévu sur la parcelle libre.

Ces travaux, réalisés sur le temps des vacances scolaires en parallèle du chantier principal, ont eu pour vertu de redonner des limites claires à la cour. Désormais dégagée, elle devient le cÅ“ur de l’agencement, qualifiée par une galerie qui file tout au long des bâtiments et dont l’altimétrie, parfaitement réglée, fait régner une unité entre les géométries disparates. Soutenue par une charpente bois rapportée, elle est coiffée d’une tôle ondulée en fibrociment, qui revêt aussi les toitures, façades et clôtures. Le matériau introduit une résonance avec les hangars et autoconstructions alentour, les inspirations vernaculaires et cette manière de procéder par analogies faisant partie de la méthode de l’architecte. L’écueil de son apparente banalité est déjoué par un élégant calepinage, conjugué au travail menuisé des façades. Ensemble, ils apposent une identité juste et harmonieuse au groupe scolaire.

L’architecture témoigne ici d’une attention qui embrasse au-delà de la discipline elle-même. Tout y est question d’écoute, de dosage et de précision, une démarche qui répond, avec humilité et engagement, au défi de ces situations rurales héritées d’aménagements tristement arbitraires.



Maîtres d'ouvrages : commune de Guécélard
Maîtres d'oeuvres : mandataire : Atelier Julien Boidot, chef de projet Quentin Lherbette ; H3C (fluides), Vessière (structure), Jean Souviron (CFD, ventilation naturelle)
Entreprises : fondation, dallage et GO : ESBTP ; charpente bois : charpente Cénomane : couverture, bardage et ITE : Cruard couverture ; menuiseries extérieures bois : ébénisterie JL

Surface SHON : neuf 830 m2 SDP, réhabilitation 728 m2 SDP
Cout : 1,69 million d’euros HT

Date de livraison : 2020

Vue extérieur de l'école restructurée ancrée dans le tissu rural de la campagne sarthoise et ses maisons pavillonnaires<br/> Crédit photo : GUILLAUME Clément Plan du groupe scolaire, en rouge, les parties neuves<br/> Crédit photo : Atelier Julien Boidot Coupe du gorupe scolaire, en rouge, les parties neuves<br/> Crédit photo : Atelier Julien Boidot groupe scolaire, Guécélard, Sarthe<br/> Crédit photo : GUILLAUME Clément Vue sur le préau qui fait la jonction avec les anciens locaux<br/> Crédit photo : GUILLAUME Clément Vue sur le couloir éclairé par la cheminée, une réinterprétation du malqaf oriental<br/> Crédit photo : GUILLAUME Clément

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