« L’enjeu n’est déjà plus de concevoir des villes durables ex nihilo », entretien avec Jana Revedin, architecte

Rédigé par . D'ARCHITECTURES
Publié le 01/05/2011

Le quartier des chiffoniers du Caire

Dossier réalisé par . D'ARCHITECTURES
Dossier publié dans le d'A n°200 Le Global Award for Sustainable Architecture récompense chaque année cinq architectes qui partagent l'éthique du développement durable et ont construit une démarche innovante, au Nord comme au Sud. Il a été créé en 2007 sur un concept de l'architecte et professeur Jana Revedin, grâce au soutien de partenaires français et européens : la Cité de l'architecture & du patrimoine et le conseil général des Yvelines, les membres du Comité scientifique. 

Le travail effectué depuis cinq ans a permis une reconnaissance indéniable du Global Award for Sustainable Architecture. La Cité de l'architecture & du patrimoine assure la valorisation culturelle du prix et de ses lauréats en France et à l'étranger. En avril 2010, Jana Revedin a créé le LOCUS Fund pour porter le prix, garantir l'indépendance du Comité scientifique et lancer surtout des actions de transmission et d'expérimentation dans le monde, avec le Global Award College qui réunit les architectes lauréats. Le Global Award a reçu cette année le patronage de l'Unesco.


DA : Alors que vous êtes issue de la scène allemande d'architecture écologique, vous avez préféré créer un prix d'emblée global, avec des partenaires français et européens. Pourquoi ?

Jana Revedin : Au XXIe siècle, la question de l'équité est plus cruciale que jamais. Mais les enjeux ont changé. Il s'agit moins de concevoir des villes durables ex nihilo que de transformer l'immense déjà-là urbain que le siècle précédent nous lègue, avec de terribles problèmes. J'ai créé le Global Award for Sustainable Architecture, lancé en 2007 avec la Cité et un réseau de partenaires, afin de faire reconnaître et de rassembler des architectes qui se consacrent à la recherche et à l'invention pour faire face à ces enjeux, dans le monde entier.


DA : Quels sont les objectifs du LOCUS Fund, que vous avez créé en 2010 ?

JR : "Dare, transmit, federate"… Et je commencerais par le dernier, qui fut notre premier souci : fédérer. Depuis l'origine, nous voulions construire avec le Global Award moins un prix qu'un think tank. Le prix n'est pas une fin en soi, c'est un instrument, un observatoire du monde qui permet de repérer des architectes, souvent loin des projecteurs médiatiques qui n'éclairent que ce que j'appelle la coffee table architecture, et de les rassembler. Pour rendre plus visibles les principes qui les réunissent. Pour leur permettre de travailler ensemble car ce sont des chercheurs, des inventeurs, qui ont besoin d'échanges. C'était un pari : comment être sûr que ces personnalités venues de partout trouveraient des terrains d'entente ? Mais c'est ce qui s'est passé, au-delà de mes attentes. Les lauréats des pays du Sud – Carin Smuts, Francis Diébédo Kéré, Bijoy Jain, Fabrizio Carola – montent des actions en réseau. Un lien existe aussi entre tous ces workshop professors, Sami Rintala, Andrew Frear de Rural Studio, Wang Shu, qui renouvellent l'enseignement de l'architecture… Le Global Award College se constitue de lui-même grâce à ces échanges.


DA : C'est un conte de fées ?

JR : Non, cela signifie qu'en architecture, l'éthique n'est pas un vain mot. Ces architectes ont des parcours très différents : les uns sont passionnés de recherche constructive, les autres associent l'architecture au développement, d'autres défendent une nouvelle anthropologie de l'habitat… Ce n'est pas un formalisme qui les réunit mais le partage d'une vision pleine du rôle de l'architecte, beaucoup plus large que celle de brand designer à quoi on a voulu nous réduire à la fin du XXe siècle. Le Global Award défend finalement la vision vitruvienne de l'architecte, une personne qui travaille à la rencontre des arts, des techniques et de la philosophie – avec laquelle l'architecture partage le rôle de rendre intelligibles les relations de l'homme avec l'univers.


DA : Et que signifie dare, que l'on traduirait plutôt par « oser » ?

JR : Nous voulions également que le Global Award soit prolongé par un do tank, c'est-à-dire un instrument qui produise des projets concrets. J'avais depuis le début l'idée d'oser des Practice Projects, menés par les architectes du Global Award College, là où ils travaillent et ont besoin d'être soutenus. Projets éclairants sur la scène globale par leur éthique, leur inventivité, leur capacité de dissémination aussi, car ils contribueront à transmettre, et la transmission est notre deuxième objectif.


DA : Cette activité s'est-elle déjà concrétisée ?

JR : Notre partenaire, le conseil général des Yvelines, avait souhaité créer une collection d'architecture en confiant de petits projets aux lauréats mais la crise de 2008 a mis un terme à cette action. Nous avons lancé un Practice Project en Chine en 2010, avec Wang Shu, lauréat en 2007 et vice-président de LOCUS. C'est une action de plus grande échelle, sur l'île de Zhoushan au large de Shanghai. Alors qu'il avait reçu commande de la rénovation de cet ancien port de pêche, Wang Shu a refusé de détruire les quartiers et a plaidé pour une autre pratique. Il a proposé que d'autres architectes du Global Award qui possèdent la culture de la rénovation urbaine viennent travailler sur ce quartier et LOCUS a coordonné ce processus. C'est la première fois depuis longtemps en Chine qu'à cette échelle de projet urbain, « rénover » ne voudra pas dire « raser ».
Un deuxième Practice Project, à contenu social et urbain, va être lancé au Caire, dans le quartier des chiffonniers que les Français connaissent bien à travers la figure de sœur Emmanuelle. Depuis vingt ans, cette zone de relégation est déjà devenue un exemple d'auto-développement, mais il y a encore beaucoup à faire. Nous travaillons avec les ONG locales qui ont porté ce premier cycle d'auto-développement – mon amie Carin Smuts parle, plus justement, d'empowerment. LOCUS, avec son réseau d'universités et d'experts spécialisés, va développer un deuxième cycle de développement urbain, avec les chiffonniers et leurs entreprises car ils ont créé en fait une véritable économie du recyclage, avec des filières de transformation pour les matériaux. Le quartier des chiffonniers est devenu le « quartier des recycleurs » et il peut se développer sur lui-même et devenir un exemple d'économie urbaine circulaire. Un troisième projet sera lancé à Bombay Alibag en 2012, avec Bijoy Jain, lauréat en 2009, sur un quartier d'habitat populaire.



Nous avons demandé à François de Mazières pourquoi il a souhaité que la Cité de l'architecture & du patrimoine, qu'il préside, soit un acteur majeur de l'aventure du Global Award.


DA : Le lancement du Global Award en 2007 avait été accueilli avec une certaine réserve en France. Pouvez-vous nous en rappeler les circonstances ?

François de Mazières : Il y a cinq ans, il était difficile de lancer en France des projets comme le Global Award ou l'exposition « Habiter écologique »… Je rencontrais beaucoup de scepticisme. Certains étaient contre, d'autres mettaient en garde contre ce qui ne serait qu'un effet de mode. Puis il y a eu le Grenelle de l'environnement, la consultation sur le Grand Paris qui demandait aux architectes d'« imaginer la métropole de l'après-Kyoto », ce qui a suscité l'intérêt des citoyens, mais également des maîtres d'ouvrage et des industriels. Je ne suis donc pas étonné que le Global Award ait connu le succès, autant en France qu'à l'international.


DA : Qu'appelez-vous un succès ?

FM : La désignation des lauréats est suivie chaque année d'une action de valorisation culturelle menée par la Cité. Ainsi sont prévues une exposition itinérante, des tournées de conférences et de symposiums, des publications. À l'heure où ce numéro paraît, l'exposition est présentée à Prague, une itinérance d'une année est programmée en Italie et l'Afrique du Sud va également l'accueillir. En outre, elle poursuit son tour de France dans les maisons de l'architecture.


DA : Aujourd'hui, sur vingt lauréats, deux sont français. Cela suffit-il à stimuler le débat en France ?

FM : Deux sur vingt, c'est plus qu'un bon début, dans un pays où la plupart des milieux intellectuels étaient, au mieux indifférents, au pire vent debout contre le sujet… Demandez à Françoise-Hélène Jourda comment elle a vécu les années quatre-vingt ! Il faut se souvenir aujourd'hui de l'état du débat écologique il y a encore cinq ans. Savez-vous que pour l'exposition « Habiter écologique », nous avons lancé une véritable enquête dans toute la France pour trouver des projets?
J'observe qu'à l'étranger, les centres d'architecture perçoivent la cohérence de cette ligne de recherche de la Cité : le Global Award se développe et nourrit le débat, l'exposition « Habiter écologique », actuellement à São Paulo, entame sa deuxième année d'itinérance internationale. Et l'exposition « Ville fertile », qui révèle la vitalité du débat sur le paysage urbain – encore un sujet clé – est bien partie elle aussi.

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