Entretien avec Éric Alonzo : le CIR : un moyen de solidifier l’économie des petites agences ?

Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 03/05/2018

Eric Alonzo

Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN
Dossier publié dans le d'A n°262

Éric Alonzo a rejoint le petit groupe d’experts chargés d’évaluer les dossiers des architectes candidats au crédit impôt recherche auprès du MESRI. Il fait part de l’intérêt de sa mission à déterminer le contenu de la recherche et de l’innovation en architecture tout autant que de la difficulté de la profession à discriminer les travaux de R&D de leur production courante.

D’a : Dans quel contexte avez-vous été sollicité pour expertiser les dossiers des postulants au CIR ?

Lorsque les agences d’architecture ont commencé à déclarer le CIR, le ministère de l’Enseignement supérieur (MESRI) a été contacté par l’administration fiscale pour évaluer des dossiers sur lesquels il avait peu d’expertise spécialisée. Il a donc sollicité un premier expert puis, sous l’ampleur des demandes, le cercle s’est élargi à plusieurs experts pour toute la France, tous rattachés à des écoles d’architecture. Avant de les instruire, on s’assure qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts, et l’on est bien sûr tenu au secret professionnel.

Il y a une valeur épistémologique à déterminer le contenu de la recherche et de l’innovation en architecture. Entre experts, il est nécessaire de nous forger une doctrine propre à la discipline, d’extraire une philosophie du guide général du CIR. L’architecture étant une science du faire, qu’est-ce qui, au sein d’une agence, peut être appréhendé comme une activité de recherche ? C’est une appréciation délicate, car on ne peut pas faire de distinction entre la discipline pure, qui supposerait qu’il existe une recherche conceptuelle, et « l’opérationnel Â» qui en serait un sous-produit.

 

D’a : Vous pointez un manque de discernement des architectes dans l’évaluation de leurs travaux de R&D. Pouvez-vous préciser ?

Tout n’a pas vocation à être de la R&D, les architectes doivent parvenir à distinguer les sujets de recherche des projets d’architecture. Certains nous soumettent des books avec des contributions de chercheurs, de critiques ou d’intellectuels, mais ce sont souvent des publications à caractère essentiellement promotionnel. De même, développer des ATEx, des prototypes, une modélisation 3D avec les BET ne constitue pas une recherche pour autant. Dans les résolutions techniques d’un projet, il faut bien discriminer ce qui est plus que la résolution d’un problème lié à un projet particulier, fût-il compliqué à résoudre. Soyons francs, rares sont aujourd’hui les agences qui ont une activité de R&D structurée en amont. Beaucoup de dossiers consistent à la mise en forme, a posteriori, d’une sélection de travaux et d’études souvent effectuée par des organismes de conseil. C’est un rapport un peu biaisé, car si elles s’engageaient dans la R&D dès le départ, l’exercice serait plus clair. Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse pas mettre en évidence rétrospectivement une activité de R&D. C’est là toute la difficulté…

 

D’a : Comment identifiez-vous ces ingrédients d’une recherche qui n’en est pas une ?

Le respect d’un certain formalisme est notre boussole : définir la problématique, les hypothèses, dresser un état de la connaissance sur le sujet, mettre en place un protocole, dégager des résultats de portée générale et reproductible, et promouvoir les résultats au travers de colloques et de publications. Nous évaluons les moyens mis en Å“uvre au regard des objectifs. Il est clair que cette aide fiscale a suscité des démarches opportunistes chez certains, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose car, la plupart du temps, il y a bien matière à R&D dans les études menées dans les agences.

Après l’examen de ces dossiers, on peut proposer une éligibilité partielle ne retenant que certains travaux, comme nous pouvons aussi proposer de reformuler et de mieux expliciter leur recherche. Dans tous les cas, cet avis n’est pas anonyme, et le MESRI nous incite parfois à rencontrer les architectes, en cas de refus notamment, pour expliquer nos choix de manière pédagogique. Il arrive alors souvent de conseiller le recrutement de doctorants en architecture par le dispositif Cifre, afin de mieux structurer leur recherche au sein de l’agence. Cela prend du temps, mais cette acculturation est d’autant plus nécessaire qu’elle permettra à terme de bâtir des projets de recherche explicites.

 

D’a : Les CIR vous semblent-ils un outil qui peut réellement impacter la recherche et l’innovation en architecture ?

C’est un outil qui s’adresse à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur ancienneté. Par exemple, plusieurs jeunes agences mènent une approche réflexive sur la commande et la manière d’y accéder, questionnent les outils, les normes, les ressources constructives locales, dans un contexte de crise environnementale, de doute et de raréfaction des finances de la maîtrise d’ouvrage publique. Ils ont donc souvent à leur actif une part de R&D qui ne porte pas son nom. Le CIR pourrait être un moyen de solidifier l’économie de ces petites structures, c’est un réel coup de pouce. Plus nombreuses seront les agences à s’inscrire dans le processus, plus elles contribueront à l’élaboration d’un savoir cumulatif et transmissible, et donc à une meilleure reconnaissance de la discipline. Ce dispositif s’inscrit dans une période particulièrement intéressante dans cette longue histoire de débats sur la relation recherche-métier. Si aujourd’hui la recherche formalisée est peu développée dans les agences d’architecture, elle a vocation à l’être bien davantage. Le potentiel de la R&D en architecture est considérable.

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