![]() Portrait d'Eric Baudelaire |
Cette année, la Fondation HSBC pour la photographie récompense Éric Baudelaire –trentenaire, avec déjà nombre de prix en poche– pour sa dernière série « États imaginés ». Une réflexion passionnante sur la notion d'État, menée en Abkhazie, à travers une série d'images gigantesques, dans lesquelles le réel se mêle à l'imaginaire. |
d'A : Vous avez grandi entre les États-Unis et la France. Comment cela a-t-il influencé votre manière de travailler ?
Éric Baudelaire : Les traditions photographiques sont différentes de part et d'autre de l'Atlantique. Pourtant, toutes deux se superposent dans mon travail, qui mélange la poésie, la légèreté et la spontanéité empruntées à l'Europe, à la rigueur picturale et une ambition dans le projet, très américaines. Lorsque je me suis intéressé à la photo, j'ai d'abord observé les pionniers comme Atget, avant de me confronter à ce qui s'est fait en Amérique au XXe siècle. Les photographes paysagistes tels Stephen Shore ont retenu mon attention. Le paysage permet de recouper des problématiques historique, politique, géographique et sociale. J'aime cette interaction entre architecture et nature, entre le destin des hommes sur le territoire et un mode pictural.
d'A : Pourquoi avoir intitulé votre dernier travail « États imaginés » ?
E. B. : C'est avant tout un projet en collaboration avec un écrivain-philosophe, Dov Lynch. Même si nous utilisons des outils différents, nos œuvres finissent toujours par s'entrecroiser. Bien sûr, elles gardent leur propre autonomie, mais elles n'en sont pas moins liées par les idées. De par notre double culture Dov, comme moi-même, nous avons vécu ici et là, et naturellement, nous nous sommes intéressés à la notion d'État, à cette manière dont les hommes s'organisent sur la base d'une structure politique, leur permettant de s'identifier et de se diriger. Qu'est-ce que ça veut dire d'appartenir à un État ? Pour réfléchir à tout cela, nous sommes partis en Abkhazie, zone de non droit située en Géorgie. D'aucuns la considèrent comme une faille du système géopolitique de la planète : lorsque la Géorgie a obtenu son indépendance au lendemain du démantèlement de l'URSS, l'Abkhazie a réclamé la sienne, allant jusqu'à mener une guerre qu'elle a gagnée. De fait, elle est donc indépendante. De droit, elle ne l'est pas, puisqu'elle n'est reconnue par aucun pays. L'État d'Abkhazie n'existe donc que par la seule volonté de ses habitants. C'est un État imaginé. Je joue sur le sens de ce dernier mot dans mon titre parce que j'aime l'ambiguïté entre la part de réel et la part d'imaginaire qu'il implique, ambiguïté que l'on retrouve d'ailleurs dans mes images. Car cette série n'est pas un travail documentaire sur l'Abkhazie. La région sert de toile de fond à une réflexion sur les sens politique, paysagiste, poétique et littéraire du mot État.
d'A : Vous dites que ce travail n'est ni un voyage, ni un documentaire, ni un reportage. Comment le définiriez-vous ?
E. B. : C'est une série de photos narratives et conceptuelles autour de la problématique de l'État, qui entremêle des démarches documentaire et cinématographique puisqu'elles sont scénarisées. d'A : Qu'est-ce qui caractérise l'architecture de l'Abkhazie ? E. B. : Les tsars ont transformé cette région en station balnéaire. Des sanatoriums de style néoclassique ou baroque ont été construits pour permettre aux classes dirigeantes de se reposer à l'air pur. Pendant la période révolutionnaire, une architecture stalinienne a été greffée à ce style néoclassique, puis a succédé le règne du monumental et du béton. L'Abkhazie, c'est un peu la côte d'Azur soviétique. De grandes barres voisinent avec des datchas.
d'A : L'architecture est-elle le décor d'un État qui n'existe pas, ou une manière de le matérialiser ? E. B. : C'est avant tout une métaphore de l'État. L'architecture est monumentale dans l'ancien bloc soviétique. Or, la construction d'un État est aussi un projet monumental. L'architecture doit se confronter à la nature et à l'histoire, donc au délabrement et à l'usure. L'État confronte également un mode d'organisation sociale à la nature humaine et au territoire. En Abkhazie, l'architecture est grandiose, en phase de décomposition. Elle juxtapose le construit et le naturel, reflète les traces du temps et de la guerre pour se transformer, au final, en autre chose, qui renvoie à l'art et à la sculpture. Certaines architectures me rappellent des œuvres de Richard Serra, Richard Long ou Matta-Clark. L'architecture est un sujet métaphorique, mais aussi matière à une sculpture photographique.
d'A : Avez-vous déjà collaboré avec des architectes ?
E. B. : Pour l'un de ses livres, Claude Vasconi souhaitait travailler avec un photographe non spécialisé afin de mêler différents regards. J'ai alors cherché à inscrire ses bâtiments dans leur contexte urbain et humain, en construisant des séries narratives avec un texte, qui fonctionnent comme des chapitres. Mais je ne pense pas être un bon photographe d'architecture : mon regard reste personnel et non objectif. (YY)
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