Et si les architectes prenaient part au Grand Débat National?


Publié le 24/01/2019

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Le Grand Débat National a été engagé par le gouvernement pour permettre aux professionnels comme aux particuliers d’ouvrir la discussion autour de quatre thématiques. Chacun peut apporter sa contribution, des réunions locales seront les catalyseurs de nouvelles initiatives publiques. Les architectes, urbanistes et paysagistes ne devraient-ils pas se saisir de cette opportunité pour faire valoir ce qu’ils peuvent apporter au débat ?

Suite au mouvement des « gilets jaunes Â», le gouvernement a inauguré le 15 janvier 2019 le Grand Débat National. Articulé autour de quatre thèmes – transition écologique, fiscalité, organisation de l’Etat, démocratie et citoyenneté- il invite les citoyens à  contribuer via différents moyens Ã  cette consultation: questionnaires, espaces de partage en ligne, stands de proximité ou encore possibilité de participer à des réunions locales.


Les architectes, urbanistes et paysagistes doivent aussi se mobiliser et partager leur savoir-faire pour enrichir le débat. L’architecte et enseignant Michel Bourdeau apporte par exemple sa contribution sur le thème 1 « Transition écologique Â» :


 

L’URBANISME EN FRANCE DEPUIS QUATRE DECENNIES


POUR UNE ARCHITECTURE DU TERRITOIRE

 

Extrait de la Lettre du Président de la République :

« Quelles sont les solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir qui doivent être conçues plutôt au niveau local que national ? Quelles propositions concrètes feriez-vous pour accélérer notre transition environnementale ? Â»

 

Thème 1 du GRAND DEBAT NATIONAL : LA TRANSITION ECOLOGIQUE

Question 16 : « Que pourrait faire la France pour faire partager ses choix en matière d’environnement au niveau européen et international ? Â»

 

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Le mouvement des Gilets Jaunes peut être regardé comme l’une des manifestations de tous nos échecs en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

 

Depuis les années 80, nos gouvernements successifs ont fait le choix de nous imposer un mode de vie dénué de toute humanité, affranchi de toute mesure. Centres commerciaux hors d’échelle, autoroutes abstraites des paysages, banlieues infinies, petites villes et villages abandonnés, tissus industriels désertés, parcs de loisirs imposés, agriculture sacrifiée, animaux emprisonnés, air et eau pollués.

La laideur est partout, sauf dans les traces aujourd’hui quasi archéologiques des anciens centres historiques, préservés pour le tourisme de masse marchandisés aux chinois et aux européens du nord.

Il était inévitable qu’un si grand saccage, mené à une telle échelle, conduise l’homme le plus ordinaire, le plus instinctif, à se révolter et à dire stop. Nous y sommes.

Contrairement aux 2 siècles précédents, un architecte n’a plus aujourd’hui aucune opportunité de proposer des projets d’aménagement de nos espaces et de nos territoires.

Si nous en avions l’occasion, nous le ferions à partir de ces 7 invariants :

 

 

1.     COMMERCES / GRANDES SURFACES

Le consumérisme outrancier plonge le monde occidental dans une impasse écologique.

Les grandes surfaces constituent une rente majoritairement pour 3 grands groupes (certes pourvoyeurs d’emplois mais souvent à temps-partiel). Les hypermarchés ont faussés le marché concurrentiel et ont détruit une très grande partie des commerces de proximité, indispensables aux liens et à l’échange.


Nous proposons de stopper tous les permis de construire actuellement délivrés pour les grandes surfaces, pour les sites urbains, mais aussi pour les sites péri-urbains et ruraux.

 

 

 

 

2.     ROUTES / AUTOROUTES

La vitesse n’est plus ni une nécessité, ni un plaisir. Favoriser les ralentissements mécaniques ne doit pas se faire par l’amende ou par l’augmentation des taxes. Le temps du transport doit être intégré au temps du travail. Les routes doivent être à nouveau bien entretenues, mieux sécurisées et végétalisées.


Nous proposons de consacrer 1/3 de la rente autoroutière à la redynamisation du réseau des routes nationales et départementales. Et ensuite de déconstruire toutes les autoroutes à 2 décimales. Seules les grandes autoroutes d’intérêt national et  international seront préservées.

 

 

3.     PETITE ECHELLE / GROSSE ECHELLE

Depuis plus de trente ans la commande publique ne jure que par les gros chantiers : gros équipements, gros hôpitaux, gros musées, gros lycées, grosses universités, gros tribunaux,…Tout est devenu gros, impotent et pachydermique. Ce syndrome néo-gaullien (LE France, LE Concorde, LES Centrales,…) est en fait un titanic territorial et financier.


Nous proposons que plus aucun programme public ou privé n’excède 10 000 M2 de surface nette et ne dépasse 10 mètres de hauteur. Au-delà de cette surface optimale, nous demandons que chaque M2 de plancher bâti soit accompagné de 10 M2 de jardin et de 100 M2 de culture agricole ou vivrière.

 

 

4.     NATURE / VILLE

Historiquement, nature et ville ne se sont jamais opposées. Par son intelligence,  son bon sens et sa patience, l’homme savait organiser le naturel et l’artificiel de manière harmonieuse. A partir des années 50, la ville n’a plus été circonscrite. L’impératif de la quantité et de l’uniformité a fait sombrer notre pays dans l’amnésie et la laideur. Les sols sont bitumés et imperméables aux eaux des pluies. Les objectifs financiers court-termistes dictent les zones : industrielles, artisanales, commerciales, résidentielles, éducatives,…Pourtant, sur une vue satellite nocturne, la ville demeure heureusement très minoritaire par rapport à la nature.


Nous demandons de stopper toutes les formes d’extensions urbaines en cours : métropoles, villes, banlieues, villages. Elles peuvent encore être densifiées sans dépasser leurs limites actuelles. Il faut en même temps satisfaire les demandes de nombreux habitants qui aspirent à vivre dans des lieux isolés de tout. La dispersion, la très faible densité à l’hectare est une liberté primitive fondamentale. D’ici peu d’années, les nouvelles techniques de déplacements autonomes et propres permettront de dé-centrer la ville et de re-naturaliser l’ensemble du territoire.

 

 

5.     VEGETAL / MINERAL

L’animal n’est pas fait pour vivre en ville. L’homme non plus. L’industrialisation, d’abord ferroviaire puis automobile, nous a contraint à vivre cet enfermement. Le télé-travail, la numérisation et la robotique sont entrain de faire sauter ce carcan biséculaire. Très bientôt, nous vivrons tous au calme, entourés d’oiseaux, d’arbres et de rivières.


Nous demandons que chaque nouvel emploi créé soit situé en dehors des villes. Que chaque départ en retraite soit remplacé par un poste de travail à distance. Nous proposons que l’empreinte carbone de toute nouvelle construction du secteur tertiaire soit de zéro : matériaux, énergies, durabilité, luminosité, maintenance.

 

 

 

 

6.     PROXIMITE / LOINTAIN

L’exclusion ressentie aujourd’hui par beaucoup de français, si elle est effectivement économique, est avant tout psychologique. Se savoir loin de tout s’accompagne d’un sentiment d’abandon. Loin du savoir, loin de l’information, loin de la dynamique collective. Nous pouvons être physiquement proches de nos voisins mais très éloignés du monde.


Nous demandons que chacun soit relié à chacun. Que chaque habitant de tout point du territoire puisse accéder en langue française aux richesses du commun national : histoire, littérature, philosophie, sciences, arts, théâtre, cinéma, musique, gastronomie. Tout lointain sera intégré comme proche.

 

 

7.     LIEUX / NULLE PART

Les lieux sont la condition première de l’établissement de l’homme dans l’espace. Les lieux c’est ici et maintenant : ils sont bornés, limités, identifiables. L’espace c’est nulle part : il est infini, a-humain, hors des temps. La condition post-moderne a généré une rupture dans nos tréfonds archaïques et anthropologiques. Elle est la source de souffrances quotidiennes.


Nous proposons que les architectes, pour chacun de leurs édifices, créent des intériorités de silence, des cloîtres de paix, des lumières de silence. Ils doivent pour cela s’interroger sur la justesse de leurs actions : lieux, programmes, coûts, échelle, solidité, symboles, images.

 

 

 

Michel BOURDEAU Architecte – JANVIER 2019

 

 

Retrouvez la contribution de Michel Bourdeau sur le site du Grand Débat ainsi que le texte de Philippe Ameller, "L'architecte, le maire et le rond point" 


 


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