Euroméditerranée: une signature en chantier

Rédigé par Françoise MOIROUX
Publié le 01/12/2010

Porte d’entrée stratégique dans la métropole, le territoire d’Euroméditerranée, où débouchent les autoroutes A7 et A55, s’étend de la gare Saint-Charles aux « bassins est » du Grand Port maritime de Marseille (ex-Port autonome). Le périmètre de l’exte

Article paru dans d'A n°187

Alors que les regards se tournent vers le projet d’extension d’Euroméditerranée (désormais labellisé « ÉcoCité »), les enjeux les plus stratégiques se concentrent dans le périmètre originel de l’opération d’intérêt national. L’établissement public d’aménagement joue une carte décisive sur le front de mer, où se bousculent les projets. Le rendez-vous fatidique de 2013, où Marseille sera capitale européenne de la culture, précipite cette actualité. Concilier le pari du renouvellement urbain et l’activité du port demeure toutefois l’un des principaux défis.

En incluant plus d’une centaine d’hectares du domaine public maritime dans le périmètre originel, les pères fondateurs d’Euroméditerranée ont fait de la reconquête de la façade maritime nord de Marseille un enjeu phare. L’ambition de recomposition de l’interface ville-port a néanmoins tardé à se manifester : elle s’est reportée sur la Cité de la Méditerranée, la dernière des trois ZAC créées, et se focalise sur l’aménagement du boulevard du Littoral en lisière des bassins portuaires, appelé à devenir la vitrine du rayonnement économique et culturel de Marseille. Ce dernier relie, sur une distance de deux kilomètres et demi, le fort Saint-Jean, situé à l’entrée du Vieux-Port, à la tour CMA-CGM de Zaha Hadid et au nouveau quartier résidentiel d’Arenc. L’enfouissement du viaduc autoroutier de l’A55, à l’endroit où il débouche sur le Vieux-Port, est censé pacifier le transit automobile.

L’aménagement des espaces publics du boulevard compose avec la dissymétrie de ses façades urbaine et portuaire. Côté ville, la monumentalité s’exprime dans un registre patrimonial : arcature du socle de la cathédrale de la Major, îlots haussmanniens, façade monumentale des docks de la Joliette… Plus au nord, c’est le contemporain qui s’exprime : Euromed Center, quais d’Arenc et tour CMA-CGM. Alors que cette dernière doit être livrée au deuxième trimestre 2010, les projets d’Euromed Center* (multiplexe, hôtel Marriott, centre de conventions) et des quais d’Arenc (tours de logements et de bureaux) sont, eux, tributaires de la conjoncture immobilière. Côté port, la vue sur la mer est tantôt obstruée par les bâtiments de bureaux ou d’activités intégrés au domaine public maritime, telle la nouvelle gare maritime ; tantôt rendue peu attractive par l’omniprésence de la circulation sur les terre-pleins logistiques. Les nouveaux programmes ouvrent cependant sur le large : musée des Civilisations européennes et méditerranéennes (Mucem) et du Centre régional de la mer sur l’esplanade du môle J4 attenante au fort Saint-Jean, complexe commercial des Terrasses du Port (40 000 mètres carrés), silos à grains d’Arenc reconvertis en salle de concert de 2 000 places et en bureaux…


Sur le front des hostilités

Si l’on en croit les tendances internationales, il est rare que l’activité portuaire survive aux standards de l’immobilier de front de mer. Le Grand Port maritime de Marseille (GPMM) a donc dû défendre farouchement la légitimité du maintien de son activité en ville, malgré les failles de sa compétitivité. Faisant pendant aux « bassins ouest » de Fos-sur-Mer, « les bassins est » de Marseille, auxquels sont liés 13 500 emplois directs, ont accueilli plus de deux millions de passagers en 2008, dont un million et demi à destination de la Corse et du Maghreb, embarquant pour les deux tiers avec leurs véhicules, et 540 000 croisiéristes, tandis que sept millions de tonnes de marchandises y ont été acheminées. Dans le cadre de son « plan de développement stratégique », le port entend de surcroît doubler le nombre de passagers d’ici 2020, à la faveur du fort potentiel de croissance dont bénéficient les croisières. Il mise également sur la tendance haussière du marché du « Ro-Ro » (navires routiers), particulièrement flexible en raison de la possible combinaison du transport de marchandises et de passagers. Cette vocation distinctive des « bassins est », qu’illustre le ballet des ferries et des cargos, engendre des flux de circulation au sol qui ne correspondent guère à une vision carte postale du port, malgré les fantasmes de marina relayés par la candidature de Marseille à l’accueil de la Coupe de voile de l’America.

La focalisation du projet urbain sur l’interface

visuelle entre la ville et le port, liée au désir de l’aménageur de rétablir le contact avec la mer, a provoqué un violent bras de fer entre le Port et la Ville, l’un renvoyant à l’autre une image de liquidateur, l’autre celle d’usurpateur d’espaces à forte plus-value immobilière. L’État possède en effet deux visages à Marseille : celui de l’établissement Euroméditerranée et celui du Grand Port maritime de Marseille (GPMM). La convention conclue en 1999 entre Euroméditerranée et le GPMM a néanmoins eu pour mérite de définir un cadre de coopération. Outre le fait qu’elle associait le GPMM à la programmation de la ZAC de la Cité de la Méditerranée, elle entérinait la cession à Euroméditerranée de l’esplanade de l’ancien hangar J4 et d’une bande de terrain, permettant d’élargir le boulevard du Littoral à 45 mètres grâce au recul de la grille d’enceinte du port. Cette cession foncière imposait de démanteler le système d’embarquement des passagers, régulé par un dispositif très novateur à l’époque de sa conception : des hangars en peigne reliés entre eux par un hangar longitudinal. Mais il est apparemment plus simple de raser des hangars « faisant obstruction à la vue sur la mer » que de repenser le système de terminaux d’embarquement, rendu en outre particulièrement complexe par les réglementations internationales de sécurité en vigueur. C’est ce que démontre l’indigence architecturale du système substitutif. Le brutalisme de l’ouvrage de liaison en béton qui relie, sur plusieurs centaines de mètres, la nouvelle gare maritime (construite en 2006) à une gare satellite, située dans le hangar J1, seul conservé, a fait scandale, tandis qu’à proximité on démolissait le viaduc autoroutier de l’A55. La décision de détruire cette passerelle en béton doublée sur sa hauteur a été entérinée, sans d’ailleurs que l’on puisse préjuger de l’avenir de la gare maritime. Le bon usage des deniers publics n’imposerait-il pas de tirer enseignement de ce fiasco, symptomatique de la teneur névralgique de la relation ville-port ?


Une interface visuelle…

Euroméditerranée rêvait d’une bien plus vaste reconquête urbaine du domaine public maritime : ainsi, son président ne désespère pas d’y implanter le « palais des événements » dont Marseille rêve de se doter. Il a cependant fallu en rabattre et inventer un modèle spatial apte à concilier l’ambition de renouvellement urbain avec les contraintes d’exploitation d’un port en activité. La volonté de pallier l’obstruction de la vue sur la mer semble avoir primé. Dans l’étude de définition de la ZAC de la Cité de la Méditerranée, dont a été lauréate l’équipe d’Yves Lion, urbaniste de la ZAC et maître d’œuvre de l’aménagement des espaces publics (boulevard et esplanade du J4), l’idée de « balcon ou de cadrage des vues sur la mer » s’est substituée à celle d’un « linéaire panoramique ». Ce parti s’illustre dans le réaménagement de l’esplanade de la cathédrale de la Major (Bruno Fortier et Jean-Michel Savignat, architectes), offrant de splendides vues sur la rade et le port de Marseille, ou dans la construction d’IGH en front de mer. Il s’incarne également dans le principe original d’une superposition de volumes permettant de construire au-dessus des terre-pleins du port sans interférer avec son activité. La reconversion des silos d’Arenc (Éric Castaldi et Roland Carta, architectes), construits sur pilotis, en a été le prototype. Les Terrasses du Port, devant pallier le sous-équipement commercial de Marseille et l’évasion du commerce en périphérie (Jean-Michel Pétuaud-Létang, architecte ; Forum Invest, promoteur) en offrent une autre déclinaison. Le futur centre commercial et de loisirs, en vis-à-vis des docks de la Joliette, intègre une gare maritime exclusivement dédiée à la Corse et se prolonge par une vaste terrasse au-dessus de la mer, où s’installeront une dizaine de bars et restaurants. Les vues perspectives ne permettent toutefois pas de préjuger de sa qualité architecturale et de son impact. L’architecture industrielle des silos a, elle, été dénaturée, sinon torturée, par le parti programmatique. À la localisation des bureaux au sud, ayant obligé à pratiquer de nombreux percements dans la façade des fûts, s’ajoute le choix, très contraignant et onéreux, d’y installer l’Opéra de Marseille pendant le temps de sa restauration, au lieu de la salle de musiques actuelles prévue initialement.


… trop restrictive

La primauté du concept de balcon n’a pas été jusqu’à remettre en cause le bien-fondé de la coûteuse démolition (120 millions d’euros) du dernier kilomètre du viaduc de l’A55, pourvoyeur de fantastiques travellings sur la mer. Face au caractère extrêmement routier du futur boulevard du Littoral, Yves Lion a néanmoins fait part de ses doutes. L’enfouissement du viaduc, seulement à mi-parcours de la séquence monumentale des docks de la Joliette, ne plaide guère, de surcroît, en faveur de ce parti éradicateur.

La focalisation sur l’idée de balcon paraît en outre avoir éclipsé la recherche d’une qualité d’ambiance au niveau du sol. À mesure que l’on s’éloigne du Vieux-Port, l’aménité du boulevard du Littoral disparaît et, dans la partie la plus proche du Vieux-Port, nombre de potentialités sont inexploitées, sinon annihilées. Le traitement sacrilège apparemment réservé au flanc ouest des docks de la Joliette en offre l’exemple le plus caricatural : là où le viaduc autoroutier le longe, la création inopinée d’une cinquième voie de circulation vient brutalement réduire le trottoir en bordure, de 12 mètres à 3 mètres !

Si l’on en croit le piètre traitement urbanistique également infligé à son flanc est, la vocation historique de charnière entre la ville et le port de ce bâtiment Janus, long de 365 mètres, n’a guère inspiré que l’architecte de son exemplaire réhabilitation. Grâce à une subtile articulation des traversées nord-sud et est-ouest du bâtiment, Éric Castaldi a en effet préservé cette porosité originelle, inscrite dans la structure du bâtiment. Dans le même esprit, il mène actuellement campagne en faveur de l’exploitation de splendides caves voûtées semi-enterrées, qu’une simple descente d’allèges permettrait d’ouvrir sur le boulevard du Littoral.

Le traitement de l’interface entre la ville et le port souffre d’être rivé sur le littoral, comme le suggère l’impuissance de la trame des espaces publics à mettre en tension les hauteurs de la gare Saint-Charles avec les bassins du port et la digue du large. La focalisation sur la liaison visuelle entre la ville et le port a en outre relégué en arrière-plan les questions d’interfaces fonctionnelle, économique, sociale, culturelle… À travers l’élaboration concertée du « schéma de pilotage des bassins est », initiative peut-être trop tardive, le Port a néanmoins voulu faire œuvre de pédagogie et remédier à la méconnaissance de sa réalité.

Pour autant, l’image de son territoire, victime de l’absence d’une stratégie de paysage, de design et d’architecture apte à le requalifier, et la rationalisation de l’exploitation de ses surfaces dépendent entièrement d’une vision stratégique et prospective qui fait encore défaut. Ainsi, la création à l’étude d’un avant-port permettant au port de s’adapter à l’augmentation de la taille des navires, pourrait impliquer à terme une totale refonte du système d’accueil des passagers et des croisiéristes. Elle impliquerait d’ailleurs aussi une démolition partielle de la digue du large, figure patrimoniale constitutive de l’identité du port et promenade panoramique devenue, hélas, inaccessible au public.

L’interdépendance des territoires portuaires (450 hectares) et arrière portuaires (480 hectares) condamne la Ville et le Port à parier sur leur destin commun, même s’ils se disputent la mer, et à ajuster leurs calendriers respectifs. Au regard du caractère d’intérêt national de l’opération, l’État ne devrait-il pas promouvoir une ambition, partageable mais aussi beaucoup plus durable ?


Dates repères
> 1992-2001 : réhabilitation des docks de la Joliette par la Sari.
> 1995 : engagement de l’opération d’intérêt national.
> 1999 : signature d’une convention avec le Port autonome.
> 2000 : création des ZAC de la Joliette et Saint-Charles.
> 2001 : arrivée du TGV à Marseille.
> 2005 : création de la ZAC de la Cité de la Méditerrannée.
> 2007 : mise en service du tramway. Extension d’Euroméditerranée.
> 2010 : inauguration de la tour CMA-CGM.

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