Frédéric Delangle « Le monde vu depuis ma chambre »

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/03/2007

Frédéric Delangle

Article paru dans d'A n°162

L’utilisation d’une chambre photographique est un trait commun à tous les photographes qui traitent aujourd’hui du paysage urbain. Mais chez Frédéric Delangle, la chambre représente plus qu’un matériel : c’est un médiateur, dont les caractéristiques et les contraintes déterminent un rapport au monde.

La camera obscura n’a pas attendu la photographie pour exister. Lorsque la perspective a été inventée, à la Renaissance, c’est cet instrument qui a redéfini la notion de tableau. Son cadre, bien plus orthogonal que n’importe quelle fenêtre de l’époque, ainsi que le rappelle l’écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman, a influencé durablement la subjectivité moderne. L’adjonction d’une surface sensible a transformé ensuite cette camera obscura en chambre photographique, un matériel qui a été, au XIXe siècle, de toutes les campagnes les plus hardies, en dépit de sa lourdeur et de son manque de maniabilité. L’avènement des a p p a reils portables, dont le plus célèbre est le 24x36, a relégué la chambre aux usages de la photographie technique jusqu’à une période récente, où a elle retrouvé la faveur des photographes contemporains.

Pour Frédéric Delangle, ancien membre de l’agence Archipress venu au paysage urbain avant même ses études de photographie à l’université Paris- VIII- Saint-Denis, la chambre photographique est un monde en soi qui impose sa discipline : « Difficile à mettre en oeuvre, elle n’autorise à faire qu’un petit nombre de photos, elle oblige à réfléchir, à prendre le temps de regarder l’espace – avec le 24x36 on prend toujours les photos pour voir “plus tard” ce que ça donnera. » Il considère son travail sur commande pour les architectes comme « un exercice difficile car le photographe peut rapidement être attiré par des détails qui sont éloignés de la façon dont l’ architecte envisage le bâtiment – on peut rapidement être ironique ». En dehors de cette activité, Frédéric Delangle parcourt les villes qui l’ inspirent – Bâle, Hô Chi Minh- Ville, Bombay – à la recherche d’une poétique du quotidien. « Ça peut être un marché, une pierre, un élément qui me raccroche à la vie quotidienne. » Ses clichés sont souvent livrés sans fil conducteur et, sans le secours de ce mode d’emploi implicite que constitue l’organisation des images en une série thématique, il faut les regarder avec lui pour en retrouver les affinités. « Beaucoup de photographes contemporains exposent des séries. On me reproche de ne pas faire des suites d’images sur une thématique, dans une même ville. Cette notion de série est paralysante. » Ce que l’ observateur perçoit de cohérent dans ces images est la seule garantie qu’elles disent une réalité du monde.


Le mouvement dans l'image

Heureusement, Frédéric Delangle sait se montrer plus explicite. Dans son dernier travail sur la ville, à Ahmedabad, la photographie restitue un espace impossible à découvrir dans son usage quotidien : « J’étais allé à Ahmedabad pour suivre un ami architecte qui travaillait sur le patrimoine de la ville en cours de disparition. Le grouillement de la ville était tel qu’on ne pouvait pas la photographier durant la journée. La solution qui s’est imposée a été de la photographier de nuit. » La nuit, la ville se retrouve inactive et vide. Les temps de pose très longs de l’ appareil ont permis une véritable exhumation de cet espace urbain voué à la destruction, les strates construites émergent peu à peu dans cette sorte de fouille visuelle. Cette série est constituée d’une quarantaine d’images. « J’aurais pu continuer à prendre des milliers de photographies sur Ahmedabad mais au bout d’un moment, tu détruis ton propre travail. » Au-delà de l’aspect esthétique, ce reportage est un geste de militantisme. « Je suis engagé à ma façon : je livre une sorte de témoignage sur cette ville historique qui va disparaître sous la pression des transformations économiques. »

Cette série terminée, Frédéric Delangle a emprunté d’autres voies : « J’aime expérimenter et triturer la chambre. Ahmedabad m’ a vait amené à travailler sur des poses de plusieurs minutes. J’ai voulu voir comment le mouvement pouvait jouer dans l’image. » Dans Coït, sa dernière série, il photographie des couples pendant la durée d’un rapport sexuel : comme enfermés dans la chambre photographique, ils laissent une empreinte sur la pellicule qui forme une sorte de nuage, une version floue et évanescente des images d’Étienne Jules Marrey ou d’ Edward Muybridge. Cette thématique éloignée de l’espace et de l’architecture – à moins que ce soit par une nouvelle attention portée aux usagers – est un détour qui alimente son travail sur l’espace. « Je réfléchis à une façon d’introduire le mouvement dans l’architecture et les paysages », un projet en devenir sur lequel il reste peu disert : « je ne dis rien, je pourrais peut- être me planter… » Une affaire à suivre.

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