Guillaume Ramillien : le dessin, la structure et l’objet

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 23/02/2021

Portait de Guillaume Ramillien

Article paru dans d'A n°287

Il est temps de parler de Guillaume Ramillien. Dessinateur impénitent et architecte remarqué par les critiques de d’a lors de la sélection des prix d’architectures 2020, pour une école réalisée à Arras avec Boris Bouchet. Mais aussi créateur d’objets singuliers, qui décline dans le bronze les silhouettes de ses projets, et enfin enseignant, dont la pédagogie rigoureuse est clairement identifiable parmi l’offre des écoles.


Barbe et longs cheveux noirs parfois remontés en chignon, ongle de l’un des auriculaires étrangement allongé, chemises largement ouvertes et vestes raffinées, Guillaume Ramillien a su se construire un personnage. Mais derrière cette apparence de dandy, son regard animé et intense comme sa voix douce, au débit parfois très rapide, trahissent des passions intérieures et la volonté de les faire partager. Son architecture s’accorde a priori avec cette personnalité complexe. Elle sait se draper dans des enveloppes parfois précieuses tout en restant toujours animée par une organisation interne à la fois rigoureuse et généreuse.

C’est avant tout un dessinateur qui, dans des croquis parfois proches de la bande dessinée, capte des ambiances, des histoires enchevêtrées ; ce que ne fait pas le dessin architectural traditionnel, plus centré sur les formes construites. Mais c’est aussi un plasticien attentif à réaliser lui-même les maquettes de ses projets en utilisant des matériaux nobles comme le bois ou le béton, qui leur accordent une certaine autonomie. Des maquettes qui servent aussi de modèles à des bagues et des broches en laiton ou en bronze qu’il développe dans son atelier avec sa compagne, la créatrice de bijoux Laure Mory, et qu’ils commercialisent à travers « Architecture du Désir », une société qu’ils ont eux-mêmes créée. Enfin c’est un architecte qui s’intéresse aux matériaux traditionnels, comme le bois et la brique, et à leurs différents modes de mise en œuvre. Un praticien engagé dans le faire qui définit des structures spatiales plus que des espaces émotionnels.

Des activités qui ne convergent pas toujours et qui tendent chacune à suivre leur propre ligne de fuite. Ainsi le dessin parfois anecdotique entraîne les projets à s’affirmer comme des volumes neutres, ouverts à toutes formes d’affordances. L’approche plastique les recentre au contraire sur leur silhouette, ce qui leur permet d’apparaître dans leur singularité comme des objets messianiques accordant du sens aux usages qu’ils accueillent comme aux contextes dans lesquels ils s’insèrent. Tandis que le travail sur la structure décompose ces volumétries simples et évidentes pour proposer d’autres organisations spatiales plus géométriques et rationnelles.

 

DE L’INDE À L’AFRIQUE

Mais revenons sur son parcours. Il a d’abord fait ses études à Lyon où il s’est, comme beaucoup d’autres étudiants, intéressé à l’architecture durable. Durant ce cursus, il partira en Suisse dans le cadre d’un échange avec l’EPFL pour suivre l’enseignement de Patrick Berger. Puis il fera un long séjour en Inde où il suivra des chantiers de constructions en briques crues pour un architecte d’Auroville.

Ces années d’études s’achèveront avec l’Europan, dont il est lauréat de la neuvième session avec un projet pour Clermont-Ferrand entièrement dessiné à main levée. Une proposition qui trace une alternative au tout informatique et au béton, en prônant le retour à la main qui pense et qui construit.

À son chevet, beaucoup de bonnes fées : Jean-Christophe Quinton, avec qui il collabore en tant que travailleur indépendant sur plusieurs projets, et Éric Lapierre dans l’atelier duquel il partage un espace et qui l’entraînera à l’École de Marne-la-Vallée pour l’assister dans son enseignement. Avec le premier, il poursuit sa réflexion sur la structure, notamment en suivant la réalisation de la maison-grange de la Plaine de Caen présentée à la Biennale de Venise en 2016. Avec le second, il reviendra sur la puissance du plan. Il fondera son agence en 2012 et obtiendra en 2016 les AJAP, qui conforteront sa visibilité dans le paysage architectural parisien tout en lui facilitant l’accès aux concours publics.

Après des vacations dans de nombreuses écoles, il sera finalement titularisé à Rouen en 2016 où il participera activement à la refonte de l’enseignement du projet, avant de retrouver l’équipe de Versailles avec laquelle il avait déjà collaboré. Il forme ses étudiants à la réalisation de maquettes à grande échelle, de véritables simulations de la construction qui fleurissent dans les couloirs de l’école lors de la saison des rendus. Et il les entraîne cycliquement hors les murs pour des workshops au Sénégal où, dans le dénuement le plus complet, sa pédagogie fondée sur le dessin à la main et sur l’utilisation de matériaux locaux trouve un territoire d’expérimentation à sa mesure.

Lors du premier confinement qui a assigné ses élèves dans leur chambre, il les a poussés à explorer les territoires inconnus qui gisent sous les meubles, derrière les radiateurs ou entre les tuiles du toit et le plâtre des plafonds, au moyen de coupes-perspectives détaillées. Des travaux exposés au mois de juillet dernier à la Galerie d’architecture.

Mais commençons notre va-et-vient entre diverses régions françaises et la banlieue parisienne pour analyser ses projets en essayant de suivre un ordre chronologique.

 

 

PLAN

Maison Papillon à Yzeure, 2012-2014

Rendons-nous à Yzeure dans la banlieue de Moulins, dans l’Allier, et commençons par la visite d’une maison de plain-pied qui trouve sa raison d’être dans son plan. Un simple carré en dessine d’emblée la toiture qui vient flotter devant la ligne d’un très beau mur de clôture. Ce carré se déforme ensuite pour générer le tracé des trois murs qui donnent sur des espaces libres et qui se plissent pour former des angles rentrants sous les débords de la toiture afin de piéger l’ombre et de révéler le caractère plastique du volume. Le bardage horizontal en mélèze souligne cette impression de relief en s’opposant à l’appareillage de briques rouges du long mur existant.

Le plissement des façades induit la forme en « navette » du séjour-galerie qui traverse l’habitation de part en part pour s’ouvrir par de grandes baies vers les jardins sud et nord tandis que les chambres conservent une organisation orthogonale…

 

[ Maître d’ouvrage : privée

Programme : maison familiale

Surface : 120 m2

Coût : 165 000 euros HT ]

 

 

VOLUME

Centre socioculturel Christian-Marin, Limeil-Brévannes, 2012-2015

C’est maintenant un volume effilé semblant tout droit sorti de l’atelier de Brancusi qui vient se poster contre le pignon aveugle d’un vaste ensemble de logements sociaux afin de l’articuler au reste de la ville. Ses dimensions modestes, sa peau de bois texturée qui articule deux essences – mélèze brut de sciage et douglas autoclave teinté – comme ses ouvertures en quinconce qui brouillent les échelles lui accordent la monumentalité domestique qui convient à sa destination.

Comme le montre la coupe longitudinale, à l’intérieur de ce petit équipement socioculturel les pièces possèdent souvent des plafonds à deux pentes pour s’affirmer comme des volumes en négatif, rappelant certains projets des frères Aires Mateus.

 

[ Maître d’ouvrage : Ville de Limeil-Brévannes

Programme : accueil de loisirs et maison de quartier

Surface : 385 m2

Coût : 925 000 euros HT ]

 

 

COMBINATOIRE

Écocité La Garenne, Fourchambault, 2012-2015

Redescendons à Fourchambault dans la Nièvre, une petite ville de 4 000 habitants à proximité immédiate de Nevers, pour entrer dans l’Écocité La Garenne. Cette opération terminée en 2015 s’étire le long d’un axe piéton qui relie un grand bois à la gare, après avoir franchi les voies ferrées qui l’enclavent.

De part et d’autre de l’axe se regroupent deux types distincts d’habitations : d’un côté s’alignent des maisons jumelées aux toitures à deux pentes placées en porte-à-faux sur des socles massifs ; de l’autre des maisons isolées qui voient leur toiture s’inverser pour dessiner des oreilles dressées vers le ciel rappelant les architectures zoomorphes de John Hejduk. Comme s’il s’agissait de l’opposition de deux populations différentes – têtes pointues et têtes creuses – telles que celles que l’on retrouve parfois dans les contes pour enfants.

Au croisement de l’axe piéton avec la rue Maurice-Thorez, des logements atypiques et plus hauts prennent la forme de petites tours de Babel pour assurer l’articulation du nouveau quartier à la ville, tandis qu’à la périphérie une dernière typologie est encore créée, moins pertinente que les premières.

Les bardages en aluminium doré, les murs en gabions, les crépis blancs donnent un aspect d’objets précieux à cette collection de formes essaimées dans ce terrain arboré à la lisière du bois de la Garenne.

 

[ Maître d’ouvrage : Nièvre Habitat

Paysagiste : La Motrice Paysage

BET : fluides et HQE, Louis Choulet ; structure, Altaïs ; économie CS2N

Programme : 34 logements locatifs groupés et espaces publics

Surface : 2 500 m2

Coût : 3 650 000 euros HT ]

 

 

STRUCTURE

Pôle éducatif du Val de Scarpe, Arras, 2016-2019, avec Boris Bouchet

Réalisé à Arras avec Boris Bouchet dans un quartier dont la population, selon le maire, parlerait plus de 30 langues différentes, ce pôle éducatif renvoie aux projets précédents mais s’en distingue par sa grande complexité. En volumes, c’est la juxtaposition d’un bâtiment allongé qui s’aligne sur la rue et d’un bâtiment plus bas et rectangulaire creusé par une cour. Mais, en plan, la lecture est sensiblement différente : ce sont deux ailes qui entourent un grand vide central, elles partent de la rue et s’enfoncent dans la profondeur de cette parcelle industrielle en friche comme pour la coloniser. Le grand vide central est composé par une succession d’espaces communs couverts et ouverts : la grande loge qui marque de part et d’autre les entrées des différents équipements, puis la salle d’évolution de la crèche et celle de l’école maternelle qui peuvent être associées pour créer un espace mutualisable. Enfin la cour de récréation et le préau ouvert en belvédère sur le paysage. Quant aux ailes, elles se subdivisent depuis la cour en trois bandes : le couloir, les salles de classe et le long jardin fermé qui permet aux enfants d’avoir un rapport intime à la nature. Ces ailes sont munies d’appendices : d’un côté, le réfectoire qui bénéficie de doubles hauteurs ; de l’autre, la crèche et, au-dessus de celle-ci, les services de la mairie.

La structure tient encore un autre discours. Des piles en bois massif soutiennent des fermes composées d’arbalétriers en bois et d’entraits en acier, pour accompagner la pente de la toiture descendant du centre vers la périphérie. Cette structure détermine les espaces plus efficacement que les cloisonnements, tout en s’adressant dans la langue de la logique aux petits élèves de multiples origines qui courent et jouent sous sa protection.

Enfin la façade autoporteuse forme une enveloppe précieuse de briques vertes constellées de blocs de laiton massif qui entoure l’ossature bois à la manière des tissus précieux qui couvrent les corps des personnages de Gustav Klimt ; moins pour les révéler que pour les rendre encore plus secrets. Un côté Sécession viennoise qui n’est pas anodin, et qui indique que c’est aussi du côté d’architectes comme Plečnik ou Olbrich qu’il faut chercher l’inspiration de Guillaume Ramillien.

 

[ Architecte associé : Boris Bouchet

Maître d’ouvrage : Ville d’Arras

Paysagistes : Sensomoto

BET : fluides et HQE, AI Environement ; structure, EVP ; économie, CS2N

Programme : école maternelle, crèche et services administratifs de la mairie

Surface : 2 650 m2

Coût : 4 610 000 euros HT ]

 

 

ARTICULATION

Centre socioculturel et maison des jeunes Louise-Michel, Asnières-sur-Seine, 2017-2021

Terminons nos allers-retours à Asnières dans un quartier assez dense, composé majoritairement d’immeubles d’habitations qui n’ont pas renoncé à la tradition moderne. C’est ici que vient s’élever le centre socioculturel Louise-Michel, à proximité d’un groupe scolaire avec lequel il partage le parvis. Mais plus que sur le construit, c’est sur les deux hauts arbres existants que cette opération prend appui en formant une composition pavillonnaire en S qui serpente entre eux.

Ainsi, sur un bâtiment central de deux étages où alternent espaces banalisés et spécialisés – notamment des salles de musique et des studios d’enregistrement – viennent en rez-de-chaussée s’articuler en quinconce deux annexes d’un seul niveau. La première accueille une salle de conférences pouvant s’ouvrir sur le parvis, la seconde une salle de danse vitrée sur un jardin protégé.

Chacun de ces éléments reçoit une toiture en zinc dont les pentes se décalent pour ménager des sheds éclairant les combles. À l’extérieur, la structure bois est parfaitement lisible sauf sur deux pignons qui affirment le caractère institutionnel de l’édifice face à la ville en se recouvrant d’une peau lisse de briques blanches. À l’intérieur, elle détermine clairement l’espace, comme dans les grandes salles du rez-de-chaussée, ou ne le fait qu’en partie dans certaines autres qui hésitent à se constituer comme des volumes plastiques autonomes, comme cela était déjà le cas à Limeil-Brévannes…

 

[ Maître d’ouvrage : Ville d’Asnières-sur-Seine

Paysagistes : Urbaterra

BET : fluides et HQE, AB-Ingénierie ; structure, ICM Structure ; acoustique, dB Acoustic

Programme : centre socioculturel, accueil collectif de mineurs et maison de quartier

Surface : 1 620 m2

Coût : 3 180 000 euros HT ]

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