Guinée*Potin, en toute liberté

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 05/09/2016

Guinée*Potin

Article paru dans d'A n°247

Depuis Nantes, Anne-Flore Guinée et Hervé Potin essaiment le Grand Ouest d’une production à l’image de leur vision de l’architecture : sans a priori ni posture dogmatique, ils réalisent des bâtiments qui ne craignent pas l’expressivité, bien au contraire.

Anne-Flore Guinée et Hervé Potin se sont rencontrés à l’École d’architecture de Rennes, où ils ont passé leurs diplômes (1996 pour lui, 1997 pour elle). Les premières heures de leur parcours professionnel se vivront à Angers, où Hervé Potin s’associe quelques années à Duncan Lewis, alors fraîchement séparé d’Édouard François, mais aussi hors Hexagone. Hervé Potin est pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1998-199. En 2002, ils filent direction l’Éthiopie dans le cadre de la bourse « L’envers des villes Â». Fin du premier acte.


Le tournant logement

De retour en terre nantaise, qu’ils trouvent plus stimulante que la capitale bretonne, ils créent leur agence et se font un nom avec des projets de commande publique : la section d’éducation motrice de Laval (2007), le Centre nautique de Pléneuf-Val-André (2010) ou l’Écomusée du Pays de Rennes (2010) figurent parmi leurs réalisations les plus remarquées d’une production qui se concentre dans le Grand Ouest. Leur première commande privée se passe à Chantepie, commune proche de Rennes, où ils réalisent 16 logements intermédiaires pour Bouygues Immobilier, « le tournant logement Â», sourient-ils, programme qui est aujourd’hui la principale activité de l’agence. Avec un parcours calibré pour les Albums des jeunes architectes et paysagistes qu’ils n’ont pourtant jamais eus, Anne-Flore Guinée et Hervé Potin sont des architectes de leur temps, « générationnels Â» pourrait-on dire, pour qui travailler avec le privé ne signifie pas vendre son âme au diable. Influencée par les utopies radicales chères aux années 1960, leur architecture assume un goût pour l’expressivité et la plasticité. Elle cherche à affirmer sa présence, guidée par la nécessité de ne pas se fondre dans son environnement, mais de communiquer avec celui-ci. « Le développement d’une architecture de la matière, apte à relier l’architecture à son contexte, est extrêmement lié à la problématique des paysages, car l’épiderme architectural est le point de liaison entre l’architecture et son territoire ambiant Â», expliquent Anne-Flore Guinée et Hervé Potin. D’où leurs expérimentations autour des matériaux, avec ce travail sur les peaux, les épidermes et les enveloppes.

Avec audace souvent, comme à La Roche-sur-Yon où, pour le Centre régional de découverte, de culture scientifique et de recherche sur l’environnement et la biodiversité, où ils n’ont pas hésité à convoquer un matériau ancestral – le chaume – pour en livrer une version contemporaine sans verser dans le pittoresque (voir d’a n° 223, décembre 2013). À Joué-sur-Erdre, ils recourent au béton matricé comme une roche schisteuse évoquant les carrières de la région. À Rennes, c’est le bardeau de châtaignier qui dessine l’image de l’Écomusée. Ils affichent un goût affirmé pour les « sites à forte narration paysagère Â» et aiment « réinterpréter les traditions vernaculaires Â». Ils se voient parfois comme des stylistes, parlent du manteau d’un bâtiment. Anne-Flore Guinée est architecte mais aussi plasticienne. Elle a toujours pris le temps de s’adonner à son autre passion, l’illustration. Elle crée La Petite Collec’ en 2004, un projet d’édition pour enfants ; puis, en 2007, la peluche Pinky Piggy, commercialisée au Japon.


Des affranchis

En plein centre-ville de Nantes, à quelques pas de l’École d’architecture, où Hervé Potin enseigne, ils partagent leurs bureaux avec l’agence Block. Avec eux, ils réalisent actuellement l’opération ÃŽlink sur l’Île de Nantes, soit 22 000 m2 mêlant logements, bureaux, commerces et activités. Dans le cadre de son programme « European identity/Made in Europe Â», la Fondation Mies van der Rohe a retenu leur agence pour représenter la France et raconter leur vision de l’identité européenne. Ils en furent les premiers surpris. Sans s’encombrer des préjugés, affranchis de toute position dogmatique, le tandem semble agir en toute liberté – intellectuelle du moins â€“, écoutant ses intuitions et préférant voir le verre à moitié plein plutôt que de céder à la sinistrose ambiante. Une attitude rassérénante, vivante à l’image de ce couple aussi enthousiaste qu’enjoué.


Projets


Centre Beautour, La Roche-sur-Yon (85)

Passionné de sciences naturelles, le naturaliste vendéen Georges Durand avait élu domicile sur un site atypique abandonné pendant plus de trente ans à La Roche-sur-Yon. Pour transformer cette demeure historique en musée et centre de recherche sur la biodiversité, Anne-Flore Guinée et Hervé Potin se sont inspirés de la narration paysagère en place pour dessiner et nourrir l’identité du nouveau bâtiment. Celui-ci repose sur une série de pilotis en troncs massifs en châtaignier, dispositif qui permet de préserver le sol et la biodiversité existante. La technique du chaume est ici réinterprétée, utilisée en toiture (1 800 m2, 35 cm d’épaisseur) et en bardage (1 100 m2, 25 cm d’épaisseur) pour créer un épiderme organique et onirique. Dix tonnes de chaume (35 000 bottes de roseaux de Camargue) ont été mises en Å“uvre tandis que la filière sèche (ossature/charpente/plancher bois) a été privilégiée pour réaliser la structure du bâtiment (voir d’a n° 223).


[ Maître d’ouvrage : région des Pays de Loire â€“ BET : Isateg, GSP, ITAC – Scénographie : Block â€“ Shon : 2 700 m2– Coût : 5 millions d’euros HT (Phase 1) â€“ 400 000 euros HT (Phase 2) – Livraison : 2014 ]


38 logements collectifs à Rennes (35)

Entre voies ferrées et secteur pavillonnaire, la ZAC Bernard-Duval s’inscrit dans un environnement éclectique où cohabitent de nombreux styles architecturaux. Cette opération de 38 logements en accession libre propose le maximum de plans d’appartements différents afin de diversifier l’offre. Ils s’organisent dans un bâtiment à R + 6 + attique, dont la volumétrie cherche à réinterpréter les typologies du quartier. Le jeu de volumes en façade traduit symboliquement l’emboîtement des logements. En rez-de-chaussée et au R + 1, le socle en béton matricé lasuré gris rappelle les pierres des constructions locales. L’intégration dans le paysage passe également par le découpage progressif du gabarit selon un rythme de strates superposées, qui séquencent et rythment le volume : terrasses en creux, bow-windows et émergence verticale en attique.


[ Maître d’ouvrage : Bouygues Immobilier â€“ Aménageur : Territoires â€“ Urbaniste : Nicolas Lebunetel â€“ Paysagiste : Univers â€“ BET : Thalem, Auxitec â€“ Shon : 2 700 m2 – Coût : 3 millions d’euros HT â€“ Livraison : 2015 ]


Écomusée du Pays de Rennes (35)

Lauréate du concours en 2007, l’agence Guinée*Potin a réalisé l’Écomusée du Pays de Rennes sur un terrain situé en périphérie, au sud de la ville. Confronté à cette situation géographique, le bâtiment devait assumer une fonction de signal et offrir une vitrine à l’Écomusée. Le bâtiment revêt un épiderme en bois formé de bardeaux de châtaignier naturel, développant un motif géométrique en façade, tandis que les bureaux sont abrités dans un volume perché sur des troncs d’arbres. En écho à son programme, l’Écomusée propose une architecture écoresponsable, recourant aux techniques constructives traditionnelles. L’ensemble repose ainsi sur une ossature et une charpente en bois ; la laine de chanvre est le principal isolant et le soubassement est en béton écologique (adjuvant biodégradable, huile de coffrage végétale et ciment enrichi en pouzzolane) teinté dans la masse.


[ Maître d’ouvrage : Rennes Métropole â€“ BET : Isateg, ITAC – Shon : 1 000 m2 – Coût : 1,9 million d’euros HT – Livraison : 2010 ]


44 logements passifs à Orvault (44)

Au nord de Nantes, Orvault est une commune huppée. Le programme comprend trois maisons individuelles et 41 logements collectifs (du T2 au T5) répartis en trois barrettes compactes. Les maisons s’encastrent dans le terrain, donnant à voir leurs toitures végétalisées. L’objectif était d’atteindre le label Passivhaus, certification allemande élevée en matière d’écologie (consommation de chauffage inférieure à 15 kWh/m2/an). En proue sur un vallon, le projet compose avec la pente naturelle du terrain. Desservis au Nord par des coursives extérieures, les appartements profitent au sud d’espaces extérieurs généreux ouvrant sur le paysage. La structure des coursives est en bois, les murs manteaux périphériques et les bardages extérieurs sont en Douglas.


[ Maître d’ouvrage : Bouygues Immobilier â€“ Aménageur : NMA â€“ Urbaniste : Cap Urbain puis AUP – Paysagiste : Zéphyr Paysage – BET : Pouget, Arest â€“ Surface de plancher : 3 486 m2 â€“ Livraison : 2015 ]


Base « pleine nature Â» du lac de Vioreau (44)

À Joué-sur-Erdre, le lac de Vioreau accueille des activités de loisirs, offrant un lieu privilégié de promenade à 35 km de Nantes. La commande portait sur la construction d’un bâtiment rassemblant divers espaces tels que salles d’enseignement, lieu d’accueil, locaux sportifs ou encore le logement du gardien. L’idée était de réinterpréter les caractéristiques vernaculaires du site et l’architecture rurale en superposant deux strates. Un rez-de-chaussée bas conçu comme un socle minéral en béton matricé évoquant le schiste local et recouvert d’aplats colorés ; un rez-de-chaussée haut, vitré au sud et vêtu d’une peau d’épicéa brut sur les autres façades. À ces différentes strates correspondent deux systèmes constructifs : structure bois en haut et poteau-poutre béton en bas.


[ Maître d’ouvrage : conseil général de Loire-Atlantique â€“ BET : Isateg, GSP, ITAC – Shon : 1 400 m2 – Coût : 1,9 million d’euros HT â€“ Livraison : 2014 ]


Maison des services publics de Quimper (29)

Dans une logique de proximité guidée par un projet de rénovation ANRU, ce programme rassemble plusieurs entités de service public qui s’articulent autour d’un atrium central ouvert, dans une logique de lisibilité et de convivialité des différents espaces. Le bâtiment convoque une géométrie compacte et simple qui répond aux contraintes d’organisation fonctionnelle. En façade, les architectes livrent une version contemporaine du colombage que l’on peut encore voir dans le centre-ville historique de Quimper. Par ce traitement original et la création d’un parvis paysager, l’édifice affirme clairement sa vocation publique dans le quartier de Kermoysan, classé en zone urbaine sensible.


[ Maître d’ouvrage : ville de Quimper – BET : Isateg – Shon : 1 519 m2 â€“ Coût : 2,4 millions d’euros HT â€“ Livraison : 2013 ]


Extension du lycée Charles-Tillon à Rennes (35)

Pour concevoir l’extension de ce lycée, Anne-Flore Guinée et Hervé Potin proposent l’invention d’une transition volumétrique, au carrefour des typologies présentes dans ce quartier central à Rennes. Aux strictes lignes des bâtiments existants s’ajoute une forme organique qui reprend le vocabulaire des bords de berges, de bocage et d’enrochement présent dans la région. Au nord, les architectes reconstituent un paysage largement planté dans lequel prennent place l’ensemble des stationnements.


[ Maître d’ouvrage : région Bretagne – BET : Aréa études Nantes, ITAC â€“ Paysagiste : Guillaume Sevin â€“ Surfaces de plancher : 740 m2 (extension) + 280 m2 (réhabilitation) â€“ Coût : 1,9 million d’euros HT – Concours : 2012 ]


Lisez la suite de cet article dans : N° 247 - Septembre 2016

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