Hôtel du département de l’Aube, Troyes

Architecte : Linazasoro & Sánchez et Thienot, Ballan, Zulaica
Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 05/05/2015

Il aura fallu près d’un siècle pour que l’architecture moderne assume pleinement sa place dans le palimpseste de l’histoire urbaine et parvienne à établir un dialogue apaisé avec le passé. Entre effets d’analogie et de contraste, tout une écriture s’est progressivement mise en place avec ses codes et ses outils. Le nouvel hôtel départemental de l’Aube et centre de congrès témoigne brillamment de la subtilité des dispositifs engagés pour mettre en œuvre cette relation sans jamais renier la contemporanéité de son intervention. 

 

José Ignacio Linazasoro s’est fait connaître en 1993 en livrant la très belle bibliothèque de l’UNED à Madrid, un bâtiment qui doit beaucoup à Gunnar Asplund et Louis Kahn, figures tutélaires dont on retrouve l’inspiration dans le projet de Troyes. L’architecte a eu depuis de nombreuses occasions de se confronter au patrimoine architectural ancien. Il a ainsi réinvesti il y a dix ans les ruines de l’église et de l’école du couvent des Piaristes dans le quartier Lavapiés à Madrid, démontrant qu’une écriture contemporaine étayée sur une interprétation savante demeure le plus pertinent hommage au passé (à découvrir sur darchitectures.com). L’architecte madrilène, désormais associé à Ricardo Sánchez, de trente ans son cadet, a travaillé pour l’hôtel du département de l’Aube avec une équipe rémoise – Thienot, Ballan, Zulaica – avec laquelle il avait déjà collaboré en 2008 pour la réalisation du parvis de la cathédrale de Reims. 

À Troyes, le conseil général souhaitait s’étendre, regrouper ses services et saisir cette opportunité pour créer un centre de congrès avec auditorium, dont une partie des locaux pourrait être mutualisée avec les siens. Le terrain – un parking – était situé en plein centre ancien, entre la préfecture, la basilique Saint-Urbain et des rues ayant gardé leur habitat médiéval. Entre un grand bâtiment administratif, une esplanade publique (la place de la Libération) et des petites maisons à pans de bois du XVIe siècle, le nouvel édifice se devait de redonner une cohérence urbaine. Plutôt qu’un bâtiment unitaire s’articulant pour venir se greffer sur sa périphérie, les architectes ont préféré penser l’ensemble comme une pièce de tissu urbain traversée de passages et de patios. Le jeu des volumes paraît davantage généré par le bâti existant qu’il ne cherche à le rejoindre. Une rue est aussi recréée depuis la place de la Libération jusqu’à l’arrière de la préfecture. Elle longe la salle polyvalente du centre de congrès, se glisse sous le porche que forme la passerelle qui rattache le nouveau bâtiment à la préfecture, passe devant le hall d’accueil commun et débouche sur le foyer de l’auditorium. De là, en tournant à droite, un passage conduit au sud à la rue Charles-Gros. En tangeantant ces espaces, tous largement vitrés sur l’espace public, le parcours bénéficie de leur animation. Cette porosité entre l’intérieur et l’extérieur signifie le statut public du lieu et son appartenance à la vie citoyenne. Rythmes, proportions, matériaux : les architectes ont ensuite utilisé les outils traditionnels de l’architecture pour faire résonner le bâtiment en accord avec son écrin urbain. 

 

S’INTÉGRER SANS PASTICHER 

Ils n’ont pas dû aller bien loin pour apprendre comment insérer un grand édifice au sein d’un tissu pittoresque de maisons médiévales. À quelques rues, les bas-côtés de l’église Saint-Jean-au-Marché s’alignent avec les petites bâtisses étroites de la rue Molé. Malgré une écriture architecturale et des matériaux différents, les grands fenestrages gothiques, au rythme de leurs voûtages intérieurs, reprennent naturellement la prosodie de la rue (voir p. 80 la photo en bas à gauche). En le réinterprétant, c’est ce principe qu’ont, de différentes manières, décliné les architectes. Lorsque la façade abrite un grand et haut volume, comme sur les flancs de l’auditorium, ils ont par exemple dessiné de hauts fenestrages séparés par un mince colonnage de béton. Laissés à leurs grandes proportions face au parking de la préfecture, ils ne sont pas sans rappeler un ordonnancement à la Perret. Mais de l’autre côté, au sud, lorsqu’ils font face aux petites maisons de la rue Charles-Gros, un jeu de brise-soleil verticaux en bois les redécoupe pour retrouver le rythme des façades voisines. Dans la même rue, sur les façades des bureaux du conseil général, ce sont à l’inverse les fenêtres qui ont été regroupées par quatre pour redonner un rythme rappelant celui de chacune des vieilles maisons se succédant dans la rue. S’ils sont perçus latéralement, l’effet produit rappelle celui de leurs pans de bois. 

Sur la place de la Libération, c’est la charpente en lamellé-collé qui prolonge les poutres de la salle polyvalente et se retourne verticalement jusqu’au toit. Écho plus explicite aux pans de bois des maisons mitoyennes, la modénature qu’offrent ces refends de bois évite cependant tout effet de pastiche. 

Les divers types de façades reprennent également le découpage traditionnel entre un soubassement en retrait, un corps en avant et des toitures inclinées en retrait. L’inclinaison est une contrainte imposée par l’implantation du projet en secteur sauvegardé. Mais pour éviter le caractère trop pittoresque engendré par la pente des toits et la complexité presque organique avec laquelle se développent les bâtiments, la diversité des matériaux a été réduite au minimum : bois et béton planchette, à l’exception de certaines couvertines et du volume émergeant de l’auditorium, en cuivre laitonné. Les toitures sont recouvertes de tavaillons de châtaignier et les menuiseries et brise-soleil, en mélèze naturel, commencent déjà à se griser pour s’accorder aux tonalités du béton.

Comme s’il fallait distinguer quand même un peu cette institution départementale qui s’intègre si naturellement à son environnement, le volume de la salle du conseil émerge en porte-à-faux au-dessus de la façade rue Charles-Gros, réintroduisant en la couronnant une relative monumentalité. Alors que l’ensemble de l’édifice s’adresse au quartier par ses jeux d’analogies et de contrastes, cette salle qui accueille les élus du conseil général semble vouloir davantage renvoyer au territoire qu’elle incarne.



Maîtrise d’ouvrage : conseil général de l’Aube

Maîtrise d’œuvre : Linazasoro & Sánchez arquitectura, avec Thienot, Ballan, Zulaica

BET structure : SETIB – BET fluides : Betelec – Génie mécanique : Varlet Ingénierie

Surface du site : 5 800 m2

Surface de plancher : 10 000 m2 Coût : 35 millions d’euros HT

Livraison : octobre 2014


Lisez la suite de cet article dans : N° 235 - Mai 2015

Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : Halbe Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : HALBE  Roland Hôtel du département de l’Aube, Troyes<br/> Crédit photo : Rault    Lionel

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