Élégante sans ostentation, cette réalisation pourrait ne marquer que le savoir-faire d’une équipe déjà riche d’une œuvre impression-nante, quoique discrète. Elle vaut surtout pour le travail accompli sur les logements et la possibilité de les adapter aux besoins changeants de leurs occupants.

Contre le chemin de fer de la Petite Ceinture, aux confins du xxe arrondissement, ce terrain a déjà attiré l’attention. La Société d’études et de développement patrimonial de la RATP y a monté une opération immobilière qui lui permet de faire face à de nécessaires travaux de modernisation des ateliers qui l’occupaient. Ceux-ci sont adaptés et ramassés, tandis que sur les surfaces libérées ont été élaborés et construits des programmes de natures différentes. Pour l’ensemble comme pour chacun, des concours avaient été montés, qui ont permis d’attribuer à Patrick Berger l’urbanisation et l’espace socioculturel destiné au personnel de la Régie, à Jacques Ferrier des bureaux qu’elle occupe, à Francis Nordemann des logements sociaux destinés pour l’essentiel à son personnel, à Badia et Berger des logements, assortis d’une halte-garderie municipale, confiés à un opérateur privé.

Patrick Berger a très judicieusement découpé ce vaste îlot en quatre, avec deux ruelles orthogonales qui délimitent des blocs épais, entièrement construits pour deux d’entre eux, aéré d’une cour pour celui qui réunit les deux opérations de logements. Il leur a imposé l’alignement sur les rues et les ruelles, des retraits successifs qui en découpaient l’échelle de six niveaux, pour mieux l’adapter à ce quartier faubourien, des plans lisses percés d’ouvertures verticales. Toutes règles auxquelles se sont pliés Badia et Berger, qui se sont surtout évertués à en tirer le meilleur parti. Ainsi la façade sur la nouvelle voie privée, qui profite de la profondeur suggérée par l’aplomb du retrait des niveaux supérieurs pour abriter des loggias : leur épaisseur, abritée par des persiennes, atténue le vis-à-vis des bureaux d’en face. Ainsi l’ouverture de la cour voulue sur la rue des Maraîchers, démultipliée jusqu’à la rue qui lui est parallèle grâce au préau de la crèche (lequel est ainsi à l’abri des surplombs), et agrandie par l’intégration de la rampe du garage au jardin. Très belle solution, pour le confort des occupants – qui peuvent déposer leurs passagers avant d’aller parquer leur véhicule – et pour la rue – qui n’est plus mutilée par une porte de garage et profite à plein d’un jardin privatif.

Ce sont cependant les logements et leur distribution qui singularisent cette opération. Les architectes ont mis en place des plateaux régulièrement tramés et servis par les gaines de fluides. Ils sont distribués par deux cages, chacune à l’un des angles du U, avec des paliers éclairés. Les grands appartements (trois à quatre-pièces) sont traversants et flanqués des petits. De sorte que ceux-ci peuvent s’y accoupler, soit en étant utilisés séparément – mais ils peuvent communiquer –, soit pour former de très grands logements – un studio pouvant donner deux chambres. Cette disposition judicieuse permet de répondre aux besoins changeants d’une famille : les enfants grandissent, ils peuvent occuper un appartement séparé ; s’ils s’en vont, les parents peuvent louer l’appartement contigu au leur. Les distributions intérieures de chaque logement peuvent être modifiées sans vraie contrainte : chaque appartement est une maison.

Pareille flexibilité pouvait sembler intéres-sante pour le vendeur, ainsi en situation de proposer aux acquéreurs une gamme élargie de logements adaptables aux besoins de chacun (les logements étaient vendus sur plan). Les architectes ont été dépités en voyant les appartements partir un par un et tels quels, sans que leur belle et souple mécanique soit davantage exploitée. La rareté des logements à Paris et le prix avantageux ont permis de les vendre très vite, sans autre effort.

Mais que leurs concepteurs se rassurent : leur travail n’est pas inutile pour autant. C’est maintenant le temps qui justifiera leurs efforts, lui qui saura profiter de ces logements conçus pour leurs capacités à des usages multiples et évolutifs, mieux que pour une seule et invariable fonctionnalité.

[ Maîtres d’ouvrage : SEDP jusqu’au permis de construire, SNC Marignan Habitat pour le chantier et la commercialisation – Maîtres d’œuvre : Badia-Berger architectes avec Didier Bouvard, Alain Barthe et Delphine Bougeant – BET : LGX ingénierie – Économiste : J.-C. Campion – Entreprise : Bouygues Habitat Résidentiel – Surface : 4 393 m2 Shon – Coût : 5,86 millions d’euros HT – Livraison : août 2006 ]