Architecte : Kengo Kuma Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 02/05/2013 |
Kengo Kuma : le nom claque aux oreilles des maîtres d’ouvrage français comme l’étendard du développement durable, de la perfection artisanale et d’une autre conception des matériaux de construction. L’autopsie de ses deux premières œuvres réalisées sur notre territoire – le FRAC de Marseille et la Cité des arts de Besançon – révèle pourtant bien autre chose.
Après Kenzo Tange, Tadao Ando, Toyo Ito et Kazuyo Sejima, invités à venir réaliser en France une œuvre emblématique, c’est au tour de l’ambitieux Kengo Kuma.
Le premier nous a livré un bloc de métabolisme policé pour la place d’Italie. Le deuxième, un petit objet aussi pervers qu’un roman de Yuko Mishima, capable d’inséminer un peu de méchanceté, de cruauté, dans la très politiquement correcte Maison de l’Unesco de Zehrfuss et de ses amis. Le troisième est parvenu, en jouant uniquement sur la transparence et les reflets, à concevoir l’hôpital Cognacq-Jay comme une réserve d’espaces virtuels, une respiration répondant efficacement à la densité étouffante de ce quartier. Et la quatrième a réalisé un nouveau Louvre, loin de la Seine et des Tuileries, mais plus vrai que le vrai. Une construction transgenre, à la fois cristalline et organique, ici et ailleurs, féminine et masculine, visible par son invisibilité même.
Quant au dernier, rejetant les précédents, il nous promet un retour aux valeurs ancestrales du Japon, loin des mégastructures démodées, des objets fermés sur eux-mêmes, comme des réflecteurs d’aluminium et de verre ou des constructions immatérielles. Il prend la posture du grand couturier qui sait révéler le grain, la texture des matières les plus communes.
Masses nuageuses
Kengo Kuma a en effet réalisé dans son pays des édifices qui ne condescendent pas à apparaître comme de simples objets, des constructions qui se refusent à recourir systématiquement au béton ou à l’acier. Ce sont d’amples structures, parfois très complexes, qui n’hésitent pas à multiplier les points porteurs et à employer des matériaux naturels et vivants, parfois insolites. Des constructions qui se pixélisent ou se ramifient et rappellent les formes indéterminées des nuages ou des frondaisons flottant au-dessus des paysages. Une architecture militante, aussi, qui réactive les traditions artisanales pour mieux résister à la mondialisation.
Ainsi les murs ajourés de la halle polyvalente de Takanezawa sont-ils constitués de lits de pierre poreuse d’Ôya superposés en lignes brisées de manière à composer d’étonnantes textures à motifs de losanges aplatis. Ailleurs, des balles de paille presque incongrues viennent habiller et isoler la façade du marché de Yusuhuara. Un revêtement fragile, protégé par une couverture en saillie, elle-même soutenue par des piliers arborescents en cèdre. Tandis qu’à Kasugai, pour le musée CG Prostho, c’est un procédé d’assemblage sans clou inspiré du Cidori, un jeu traditionnel de construction, qui est réactivé. Il permet d’élaborer un treillis tridimensionnel en cyprès, une structure décorative en suspension s’étendant autour du bâtiment pour mieux en indéfinir les contours. Ou encore, à Nagano : une maison se glisse sous une vaste toiture pliée et recouverte de plaquettes rectangulaires de pierre posées à plat ou sur le champ afin de composer une étonnante peau d’écailles érectiles.
Il est difficile de cacher sa déception quand on se rend à Marseille ou à Besançon après avoir feuilleté les multiples publications – Thames & Hudson, GA... – qui rendent compte de la production antérieure du maître ombrageux. Comme si cette démarche semblait rétive à quitter son territoire d’origine pour s’inscrire dans nos villes aux façades plates, aux parcelles biscornues, aux programmes complexes et aux budgets resserrés. Les amples constructions nuageuses et précieuses semblent s’être, comme par enchantement, condensées en des objets assez quelconques. Pourtant...
Condensation
... Pourtant, l’image incandescente présentée lors du concours du FRAC Paca semblait évidente et rejetait dans l’ombre les propositions laborieuses des quatre autres candidats : Combarel et Marrec, Flint, Moatti-Rivière et Moussafir. Une cascade de lumière derrière laquelle transparaissaient
écrans vidéo, enseignes lumineuses, silhouettes des visiteurs et blocs en lévitation de l’auditorium et des ateliers. Le plan aussi, par sa fluidité, son étonnante simplicité – une superposition de plateaux non cloisonnés et intelligemment reliés par un escalier droit –, faisait la différence.
Las, le nuage de lumière pointilliste a disparu pour laisser place à de lourds pixels en verre émaillé qui jerkent devant des murs en béton percés de rares ouvertures. De plus, la proue de la tour d’entrée qui s’élance vers le boulevard de Dunkerque est orientée plein nord, ce qui ne permet guère à la lumière de jouer efficacement sur sa peau opalescente.
Le jour de l’inauguration, l’architecte n’hésitait pas à invoquer L’Éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki et le « musée sans murs » d’André Malraux. Des mots dévotement répétés par le directeur du FRAC comme des talismans pour conjurer la cruauté du visible. Si effectivement toutes les salles semblent avoir impérativement besoin de lumière artificielle, même à l’heure où le soleil atteint son zénith, nulle trace de l’ombre vénéneuse et secrète chantée par le poète. De même, les murs de béton de l’enveloppe porteuse ont transformé les plateaux ouverts en volumes étirés et mal proportionnés. C’est à Lens, dans la galerie du Temps, que le musée sans murs, le musée imaginaire, a bien été transcrit dans les trois dimensions de l’espace.
Pour la Cité des arts de Besançon – qui associe au FRAC de Franche-Comté un conservatoire de région –, pas de parcelle alambiquée. Le site est magnifique, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Il s’agit de l’une des berges du Doubs, bornée au nord par un bastion participant au dispositif de défense imaginé par Vauban et dominée à l’ouest par l’éperon rocheux d’où surgit la Citadelle. Une contrainte cependant : conserver un bâtiment sans qualité, seul vestige du port fluvial, une construction industrielle édifiée en 1930. Programme d’un FRAC dont la collection est liée à la question du temps – tradition horlogère oblige –, présence d’un paysage arboré et changeant au gré des saisons, terrain inondable, menacé par les crues du fleuve : tout semblait favorable à l’émergence d’une œuvre majeure.
Une cour d’accès largement ouverte sur la ville et le Doubs coupe le bâtiment en deux parties de hauteurs inégales. La plus haute est dédiée à l’étude de la musique ; l’autre, bizarrement traversée par la construction préservée des années trente, à la diffusion de l’art contemporain. Une toiture plate, légèrement infléchie et portée par de longues poutres en mélèze, cherche à unifier cet ensemble. L’alternance des panneaux opaques et transparents de la couverture, relayée par les damiers décoratifs en bois placés devant les façades vitrées ou recouvertes d’Eternit gris foncé, permet à certains moments à la lumière de découper l’espace de part en part. Un effet encore renforcé par le plan d’eau exposé au sud-ouest, qui tente de donner une expression architecturale au komorebi, le terme japonais qui désigne les jeux mouvants des rayons du soleil au travers d’un feuillage.
Le maître d’œuvre semble ici avoir décliné les principes de sa maison Lotus construite en 2005 dans son pays natal : même disposition autour d’une cour couverte, mêmes poutres élancées, même toiture ruban, mêmes éléments de bardage évoquant l’ichimasu, le motif en damiers des tissus traditionnels. Mais la forêt dense a disparu, le plan d’eau s’est rétréci et les plaques de bois flottant élégamment devant le bâtiment sont désormais soudées à l’édifice.
Seul l’auditorium du conservatoire reste franchement convaincant. Le sol de la scène, recouvert de parquet de hêtre, est conçu en parfaite continuité avec celui de la salle. Le plafond se compose d’une dizaine de panneaux bombés qui semblent formés de larges rubans de bois tressés afin d’orienter uniformément les sons dans l’espace. Chacun de ces éléments accorde à la salle une qualité acoustique remarquable. Un dispositif complété par de hauts panneaux pivotants latéraux et des rideaux épais et sombres qui coulissent le long des gradins afin d’en moduler exactement la réverbération. L’ensemble paraît aussi précieux qu’un violon ou qu’une harpe et l’on hésite à y pénétrer sans avoir à se déchausser. Comme si, ironiquement, c’est dans ce travail in vitro sur la texture que l’architecte japonais trouvait enfin en France un domaine à sa mesure.
Mais notre collection est complète. Nous avions l’urbaniste utopique, le guerrier de la modernité, les antihéros de la fluidité et de la disparition. Ils sont rejoints par l’architecte couturier qui, las de couper sur mesure des tissus d’une richesse inouïe, préfère destiner à l’exportation des collections de prêt-à-porter.
FRAC Marseille
Maître d'ouvrage : Région Provence-Alpes-Côte-d'Azut
Maîtres d'oeuvres : Kengo Kuma & Associates, Paris et Tokyo
Surface SHON : 5 757 m2 dont 1 000 m2 dédiés aux expositions
Cout : 12,3 M €
Date de livraison : mars 2013
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