P r o je c t i l e s, scènes d’architecture

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 28/06/2016

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Article paru dans d'A n°246

De la petite à la grande échelle, tout est projet d’architecture, nous dit cette agence qui préfère se laisser guider par des intuitions partagées plutôt que par une écriture déterminée.

Le « Projectiles » lancé par d’anciens étudiants de l’école d’architecture de La Villette rassemblait d’abord trois protagonistes déjà désireux d’entremêler les disciplines. Chaque membre du trio portait une seconde casquette – philosophie pour Michaël Batalla, licence d’histoire de l’art pour Éric Stéphany, mathématique pour Reza Azard, qui pensait au départ devenir ingénieur. Le nom de cette association informelle renvoie à l’ouvrage de Ungers et Koolhaas, La ville dans la ville, Berlin, un archipel vert : un manifeste (1977), dans lequel chaque projet est une île ou procède d’un désir. Projectiles propose spontanément des projets scénographiques, tel « de l’autre côté de la mer », une « architecture poème » fondée sur un texte de 7 000 mots écrits par Batalla. Quand ses membres délaissent l’architecture – Batalla pour la poésie et Stéphany pour l’art –, Projectiles croise la trajectoire de Daniel Mészáros, puis d’Hervé Bouttet, architecte d’intérieur qui travaillait sur la signalétique du projet du musée des Arts premiers du quai Branly, que Reza Azard suivait pour le compte des Ateliers Jean Nouvel. Projectiles ricoche, oscille entre trois et cinq membres au gré des allées et venues de ses fondateurs, qui continuent d’intervenir ponctuellement. En 2005, l’association, devenue une SARL, est distinguée par les Albums de la jeune architecture (NAJA) – une victoire à cinq, rappellent ses membres. Elle insère alors des espaces entre chaque lettre de son nom qui devient un « Pr o je c til e s » mité d’espaces typographiques aléatoires, ésotérique, distendu et démantibulé, mais encore élastique…


Paris, Texas…

La scénographie représente une part importante de l’activité de l’agence – presque la moitié certaines années – et aussi son visage le plus connu. Une spécialisation à double tranchant. « Chez les architectes, nous passons pour des scénographes et, inversement, les scénographes se demandent pourquoi des architectes s’occupent d’expositions », regrettent-ils. Une ambivalence mal perçue dans un univers contemporain cloisonné entre le supposé « sérieux » du monde du bâtiment et le connoté « frivole » d’une culture aux teintes événementiels. Or, longtemps, les architectes intervenaient indifféremment dans les deux domaines. Il suffit de penser au Bauhaus ou à Diller & Scofidio, auxquels les membres de Projectiles font volontiers référence.

Plus rapide dans ses temps de projet, la scénographie connecte l’architecte à des univers variés. Ceux de la commande, qui passe de Miles Davis (dans l’exposition « We want Miles », en 2009, à la Cité de la Musique) à la cow-girl, comme dans ce musée de Fort-Worth, au Texas, où une scénographie permanente de 3 000 m2 est entièrement dédiée à ces femmes, fermières ou médecins – qu’importe, pourvu que le manège de leur vie ait tourné autour du cheval. Les technologies convoquées sont diverses – films, simulations 3D, dispositifs interactifs, projection vidéo, illumination, etc. –, de même que les éléments de montages – toiles souples, mikado, structure tubulaire proliférante ou ventouse, que Projectiles avait fabriquée sur mesure pour solidariser les « mikados » lumineux présentant les lauréats des NAJA 2008.

Les trois associés reconnaissent leurs dettes à des figures comme celle de « l’expologue » Jacques Hainard. Cet ancien directeur du musée de Neufchâtel, en Suisse, avait réalisé l’exploit de monter une exposition autour du mot « trou » sans jamais en montrer un, en jouant uniquement sur les rapports visuels, ou celui d’organiser une exposition dont tous les objets présentés étaient vendus aux visiteurs.


Autour du paysage intérieur

Comment les architectes abordent-ils les questions scénographiques ? Leur apport est-il pertinent ? « Souvent, les commissaires restent rivés sur un scénario qu’ils tentent d’appliquer à l’espace de manière empirique. Nous sommes plus dans une ambiance, nous essayons de donner une vision globale, de raconter une histoire qui puisse embarquer les commissaires d’exposition avec nous », disent-ils, synthétisant ces différents éléments autour de la notion de « paysage intérieur » : une topographie de toile posée à la verticale pour l’exposition « Architecture & bande dessinée », une rue avec des « poches » ou des salles d’exposition connexes pour l’exposition « We want Miles » de la Cité de la Musique. Pour Azard et Mészáros, deux musiciens de jazz aguerris qui se retrouvaient un temps au sein du groupe Harom Settin, le trompettiste de Kind of Blue est plus qu’une référence : « Notre méthode de projet tient beaucoup au concept de “direction” défini par Miles Davis dans les années 1970. Nous impulsons une trajectoire, pour laisser les choses arriver, se coaguler, et tant mieux si l’on ne maîtrise pas tout. Cela permet de se laisser surprendre, d’éviter les effets de style. Le résultat nous importe autant que le chemin. » Quitte à risquer le lieu commun, on demande à Mészáros si la musique, qui a tenu beaucoup de place pour deux des associés, a influencé leur architecture : « La pratique de la musique incite à écouter l’autre, à lui faire confiance », répond-il.

Avec le concept de direction, Projectiles importe dans le projet d’architecture une autre notion mise en œuvre dans les scénographies. « La réhabilitation et l’extension sont un des grands champs d’activité de l’agence. La notion de confrontation, de coexistence entre deux objets, très présente dans la topographie, se transpose à l’échelle du bâtiment. » Elle se perçoit clairement dans les bureaux qu’ils ont réalisés à Épône, où une série de boîtes en bois sont posées entre deux entrepôts métalliques pour les prolonger. On retrouve cette idée de confrontation dans l’extension-réhabilitation du musée de Lodève, en cours de réalisation. L’opposition des Lodévois a malheureusement eu raison des façades les plus contemporaines du projet, qui conserve en intérieur des aspects plus contrastés. Ces contretemps ne sauraient briser l’élan de ces Projectiles, qui entendent bien continuer à fendre l’espace !


Concours pour Lascaux IV, Lascaux-Montignac (24)

En association avec le Catalan Josep Lluís Mateo, Projectiles a participé au concours dit « Lascaux IV » (voir d’a n° 214, décembre 2012). Le nouveau bâtiment abrite une réplique de la grotte et marque l’achèvement du réaménagement du site, qui se voit débarrassé de ses zones de stationnement. Mateo et Projectiles ont imaginé un monolithe organisant un parcours progressif vers l’intérieur de la terre. Différents dispositifs scénographiques interactifs expliquent les interprétations multiples que suscite l’art pariétal.


[ Projet : Centre international de l’Art pariétal, dit Lascaux IV – Architecte mandataire : MAP Architectura – architecte associé : Projectiles – Conception lumière : Abraxas concept – Paysagiste : D’ici Là – Surface : 9 200 m2 – Livraison : 2013 ]


Logements rue de Chaumont, Paris 19e

Rue de Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris, ces 28 logements sociaux ont été livrés en 2015. Le projet fait le lien entre un bâtiment de type haussmannien et un immeuble en pierre agrafée des années 1980, s’adaptant aux hauteurs et aux nus de façade de chacun. La forme en L offre une cour à l’intérieur de l’îlot. Les façades sont entièrement recouvertes de cassettes métalliques. Sur les fenêtres, ces éléments sont perforés et s’ouvrent en volets pliants, animant l’immeuble au gré de l’humeur des habitants.


Concours musée d’art contemporain de Moscou

En 2013, Projectiles participe au concours du NCCAM (Centre national d’art contemporain de Moscou). Entre un grand centre commercial et un parc, comme pour souligner l’autonomie des programmes culturel et commercial, Projectiles implante le musée sur un terrain initialement prévu pour un « parvis » face au parc. Ce musée est pensé comme la somme d’espaces très différents. À chacun correspond un pavillon, une somme de situations muséales rassemblées par une toiture qui dessine un vaste espace public en hauteur. L’ensemble forme « un paysage d’archipel émergeant de l’horizon, ou bien l’inverse, des clairières de forêt, où chacune préserverait un inattendu ». Ce jeu de typologies à la Louis Kahn cherche à s’affranchir de la dictature du White Cube, offrant une composition hétérogène de galeries d’exposition : « Le musée de demain sera multiple. Il sera mille lieux. Il sera une boîte blanche... si vous le voulez ; il sera une rue, un immeuble, un logement, une chambre, un lit. Il sera un espace public, un jardin, une place, un lieu de culte, une nef, raconte Projectiles. Il sera une tour, un « open space », un bureau. Il sera un paquebot, une péniche, une barque. Il sera un mur, un escalier, un belvédère, un bunker. Il sera une colline, un couvent, une cour. Il sera un marché. Il sera une ville dans la métropole. »



Bureaux ramifiés, Épône (78)

Le maître d’ouvrage est une PME spécialisée dans l’exécution de scénographie d’exposition, œuvrant parfois pour les projets de Projectiles. Les bureaux se glissent dans un vide séparant deux ateliers de fabrication prenant la forme de boîtes métalliques caractéristiques des zones d’activités périphériques. Le projet s’oppose à ces constructions banales autant par ses matériaux que par son mode d’implantation émietté. Placés sur pilotis, les espaces de l’extension communiquent directement avec les deux mezzanines des hangars, où les prototypes et objets scénographiques sont présentés au client avant leur installation sur site. L’espace sous pilotis est utilisé par les usagers comme zone de détente ou pour les déjeuners en plein air. La répartition du programme dans plusieurs boîtes autonomes s’accompagne du développement de grands linéaires de circulations surélevées largement vitrées, serpentant entre les arbres et les vides du terrain.


[ Architectes mandataires : Projectiles – BET structure : EVP – Surface : 445 m2 – Livraison : 2011 ]



Le cri de La Muette, Paris 16e

L’opposition virulente récemment exprimée par les habitants du 16e arrondissement à la construction d’un centre pour sans-abri redonne une actualité inattendue à cette petite provocation « projectuelle », réponse humoristique de l’agence à l’annulation courant 2010 d’une opération de logement social rue Nicolo, près de La Muette, suite aux recours engagés par des riverains jugeant l’habitat social indigne d’un quartier aussi chic que le leur. Un mur vient séparer ce ghetto du Gotha d’un Paris décidément trop indigent. Dans le texte de présentation du projet, on peut lire cette adresse ironique aux architectes : « Chers confrères, illustres aînés, ressaisissez-vous. À Paris, il manque des bureaux, de grands hôtels, vous feriez mieux de travailler sur des projets plus respectables. C’est déjà le cas ? Alors, arrêtez de perdre votre temps avec ces logements ridicules et bâtissons ensemble les remparts contre ces agressions de l’extérieur. Le pré carré de la consanguinité sociale vous en sera éternellement reconnaissant. »


[ Surface : périmètre de tout l’arrondissement – Livraison : 2010 ]




Musée de Lodève (34)

Le musée rassemble des collections d’archéologie, d’histoire et des beaux-arts. L’intervention de Projectiles doit redonner une cohérence à une institution éclatée entre plusieurs types de bâtiments (un hôtel particulier, des immeubles d’habitation). La destruction d’un corps de bâtiment R+1 permet de retrouver une place face à l’entrée, qui s’effectuait initialement par un creux dans une façade en retour. Proposition rejetée, car jugée trop contemporaine. La confrontation féconde entre ancien et nouveau se poursuit à l’intérieur du musée, à l’abri de l’espace public…


[ Architectes mandataires et scénographe : Projectiles – Architecte du patrimoine : Laurent Dufoix – Paysagiste : Emma Blanc – Graphiste : Polygraphik – Lumières : Hervé Audibert – Techniques audiovisuelles : Pierre Tailhardat (Comment) – Surface : 3 015 m2 – Livraison : 2018 ]



The National Cowgirl Museum and Hall of Fame, Fort-Worth, Texas

Des liens inattendus relient Projectiles à l’univers de la cow-girl et des grands espaces libres de l’Ouest américain. Le client a découvert le travail de l’agence lors de la présentation de l’exposition « The Fashion World of Jean Paul Gaultier : From the Sidewalk to the Catwalk » à Dallas, fin 2011, itinérance d’une exposition conçue pour le musée des Beaux-Arts de Montréal. Partant d’une demande de réaménagement d’une petite partie du musée, la commande s’est progressivement étendue à tout l’espace intérieur. Les objets sont insérés dans des vitrines courbes apportant fluidité à l’espace. Des jeux de lumière font basculer ces éléments de l’opacité à la transparence, laissant appréhender le lieu dans sa totalité. Parallèlement au travail d’aménagement, Projectiles a coordonné la réalisation et l’installation de nombreux dispositifs interactifs. La dernière des trois tranches des travaux, réalisés en sites occupés, sera inaugurée fin 2017.



[ Architecte mandataire et scénographe : Projectiles – Graphiste : Panni Demeter – Production multimédia : Christophe Dupuis – Architecte d’exécution : Bennett, Benner & Pettit architects – Project manager : The Projects Group – Surface : 3 000 m2 – Livraison : 2015 ]




Exposition « Le Siècle du jazz », musée du Quai Branly, Paris 7e

L’exposition s’ouvrait totalement sur le jardin du musée, instaurant un dialogue entre espace intérieur et extérieur. Elle présentait des œuvres d’art illustrant les relations entre le jazz et les arts graphiques à travers tout le XXe siècle. Les jeux de correspondances étaient organisés à travers deux univers scénographiques : dix espaces chrono-thématiques greffés le long d’une ligne diagonale chronologique tailladant la salle de part en part. Les « poches » chrono-thématiques qui s’y connectaient définissaient une forme de labyrinthe éclaté et ouvraient la perspective pour que le regard s’échappe au loin. Enfin, l’ensemble des espaces était illuminé par la lumière diffuse provenant de stalactites artificielles. La scénographie était conçue pour être vue aussi bien du sol que depuis la rampe menant aux collections permanentes.


[ Architectes scénographes : Projectiles – Graphisme : Atelier Pierre Di Sciullo – Surface : 2 000 m2 – Livraison : 2009 ]



Lisez la suite de cet article dans : N° 246 - Juillet 2016

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