La Clairière, Le nouveau stade de Bordeaux

Architecte : Herzog & de Meuron
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 07/09/2015

Après le stade ovoïde de Munich et le Nid d’oiseau de Pékin, les deux architectes suisses proposent pour Bordeaux une nouvelle figure matricielle : la clairière.

 

 

Le nouveau stade se dresse dans un paysage creusé de lacs artificiels et modelé par le parc floral, le bois et le golf de Bordeaux, entre le parc des expositions et le vélodrome, sur l’emplacement d’anciens marais asséchés dans les années 1960. Un paysage d’infrastructures aussi, desservi par l’A630 comme par la ligne C du tramway, constellé de ronds-points et déjà équipé d’un vaste parking couvert qui pourra être utilisé lors des matchs. 

Le nouvel équipement s’inscrit entre le prolongement du cours Jules-Ladoumègue et le canal d’irrigation de la Jallère, dans une bande paysagère perpendiculaire à la Garonne, qui structure le site. Sa forme rectangulaire lui accorde incontestablement un statut urbain. Elle souligne le caractère orthogonal de la trame viaire pour mieux policer ce territoire périphérique et le faire basculer dans la ville. Deux grands escaliers, l’un descendant vers l’est l’autre vers l’ouest, permettent, comme à l’opéra, à la foule de s’asseoir et de se mettre en scène avant et après les matchs, tandis que les deux nouveaux espaces de stationnement dessinés par le paysagiste Michel Desvigne renforcent le positionnement de l’édifice dans son contexte. 

Ce projet, d’un aspect presque classique, s’éloigne des autres équipements sportifs réalisés par les deux Suisses tout en entretenant avec eux des correspondances sur certains points fondamentaux. Il diffère du stade de Pékin et de son exosquelette discontinu, comme de celui de Munich et de sa façade gonflable, qui sont des objets résolument antiurbains : l’un lancé dans le campus olympique des Jeux de 2008, l’autre dans un paysage ponctué de constructions industrielles monumentales. Mais, semblable à eux, il s’affirme comme un espace introverti trouvant sa légitimation dans les célébrations archaïques qu’il accueille. Quant au stade de Bâle, il reste à part : il fonctionne comme une œuvre ouverte, comme une œuvre en perpétuel procès. Dissymétrique, il n’est pas hermétiquement fermé sur lui-même et permet des vues sur l’extérieur. Mixte, il renferme un centre commercial et une résidence pour personnes âgées. Expérimental – on se rappellera sa façade composée de skydomes recyclés –, il semble contenir les germes de tous les autres projets : la couleur rouge de Pékin qui, visible de l’extérieur, lui accorde une profondeur organique ; les sièges anthropomorphiques et l’enveloppe à bulles de Munich ; les élégants vomitoires en forme de trompes de Bordeaux qui per- mettent au public de rejoindre les tribunes hautes depuis la plateforme d’accueil... 

 

Machine/matrice

Forêt de colonnes s’ouvrant sur une clairière verticale, relief inversé flottant sur une pluie de pilotis : cette forme interroge et convoque une multiplicité d’images oniriques. 

Mais les colonnes métalliques ne sont pas que des images. Elles sont de trois types et procèdent d’un dispositif constructif implacable. Les premières, en retrait, jouent en compression pour porter les tribunes hautes, tandis que les secondes, alignées en périphérie, travaillent en traction pour arrimer au sol la toiture exposée au vent. Les dernières, enfin, n’ont aucune fonction structurelle mais font office de gaines pour les descentes d’eaux pluviales ou les câbles électriques. 

De même, les tribunes basses composent un socle fonctionnel dans lequel viennent se glisser les vestiaires des joueurs, l’administration, des restaurants et des commerces, ainsi qu’un anneau de circulation permettant leur desserte. Elles absorbent aussi les loges et les salons. 

Dès qu’il pénètre dans l’arène vide, le visiteur est profondément frappé sa simplicité et par la retenue des éléments qui la composent, notamment les sièges aléatoirement blancs, gris clair ou gris foncé. Ce réceptacle neutre possède quelque chose de presque chirurgical, il peut apparaître comme un gigantesque incubateur produisant un environnement artificiel pour maintenir la pelouse dans les conditions de vie optimale qui lui permettront de résister aux crampons des joueurs. En effet, précautionneusement tondue, chauffée et arrosée, elle est cultivée sur un humus synthétique composé de sable, de liège et de fibres permettant à chacun de ses semis un enracinement maximal. 

Mais c’est aussi une couveuse qui attend les corps des supporters qui viendront s’y greffer pour se transformer en véritable paroi vivante ; un dispositif permettant la culture hors-sol de la foule. La toiture rigoureusement plate dirige ainsi implacablement les regards vers le bas, interdisant la moindre échappée visuelle sur le paysage alentour. Le rectangle découpé en son centre ne laisse entrevoir qu’un ciel arraisonné ne contribuant qu’à l’éclairage diurne. Cette couverture se comporte comme l’un des rouages essentiels d’une machine à vision qui impose une concentration permanente sur la pelouse. Ainsi, le plateau d’entrée, qui sépare les tribunes basses des hautes, esquisse seulement la promesse d’un horizon sans jamais permettre l’irruption d’une quelconque extériorité dans cette intimité jalousement circonscrite. Il est immédiatement fermé par une galerie qui rassemble les multiples services hétérogènes de ce type d’équipement : buvettes, toilettes... Une galerie qui serpente entre les colonnes pour générer une impression de profondeur et s’avance en porte-à-faux au-dessus des escaliers pour cerner les accès. Elle permet au public de venir se désaltérer ou se restaurer tout en restant attentif à ce qui se déroule sur la pelouse. 

Colonnes tendues, toiture basse, ciel rétréci, horizon fermé contribuent à définir un mécanisme orthopédique qui rend possible la transsubstantiation de l’évolution d’un ballon blanc sur un rectangle vert en souffle retenu collectivement, en rumeur montant en crescendo jusqu’au hurlement primal d’une société qui retrouve sa cohérence perdue. Une attention particulière a été accordée à l’acoustique pour que l’arène puisse fonctionner comme un instrument de musique dont les supporters débraillés seraient les solistes. Une caisse de résonance qui accorde une qualité sonore à la tension bruyante qui accompagne précisément le moindre mouvement des joueurs et qui permet à un public dispensé de se libérer du poids de son individualité pour fusionner dans une communauté première, bien au-delà des rivalités entre les équipes et les supporters. Une clairière au milieu d’une forêt où la foule s’ausculte et s’éprouve elle-même dans la clameur originelle qui l’institue en communauté...



Maîtres d'ouvrages : Ville de Bordeaux - Maîtres d'oeuvres : Jacques Herzog et Pierre de Meuron , Stephane Marbach, Tobias Winkelmann - Entreprises : Stade Bordeaux Atlantique - Surface SHON : 77000 M2 - Coût : 185 M€ - Date de livraison : 2015


Lisez la suite de cet article dans : N° 238 - Septembre 2015

La clairière, Herzog & de Meuron <br/> Crédit photo : BAAN Iwan La clairière, Herzog & de Meuron <br/> Crédit photo : BAAN Iwan La clairière, Herzog & de Meuron <br/> Crédit photo : BAAN Iwan La clairière, Herzog & de Meuron <br/> Crédit photo : BAAN Iwan

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