À la recherche du bonheur, entretien avec Philippe Madec, le 30 septembre 2024

Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 15/11/2024

Portrait de Philippe Madec

Article paru dans d'A n°321

Je sors du métro, par un long escalator, place des Fêtes, cette anomalie dans Paris. Des tours uniformes, pas de rue, aucun repère, aucune échelle si ce n’est cette ombrière salvatrice dessinée par Bernard Huet. Je perçois au loin un fragment de la treille monumentale qui recouvre partiellement la dernière réhabilitation de l’Atelier Philippe Madec, je ferme mon GPS et je me dirige vers elle d’un pas assuré.
Des ouvriers s’affairent encore dans la cour pour poser des vitrages anti-effraction au rez-de-chaussée. Je retrouve l’architecte de la « frugalité heureuse » dans le hall, une construction nouvelle en bois massif et en terre coulée, qui articule les deux ailes indépendantes d’un ancien lycée hôtelier, l’une ayant été transformée en médiathèque (fermée aujourd’hui), l’autre en Maison des réfugiés, où règne déjà une ambiance bon enfant. Nous entrons dans la salle de lecture vide, dont les dalles de l’étage ont été sciées pour faire passer la lumière entre les fines poutres en béton préfa des années 1970. Le gardien s’est endormi à côté de la banque d’accueil et nous montons sans faire de bruit sur la mezzanine, à la recherche d’une table où nous installer pour commencer notre entretien sans le déranger…

D’a : Pourquoi avez-vous voulu être architecte ?
J’ai toujours voulu être architecte, mais je n’ai jamais su pourquoi. Je vais plutôt vous expliquer pourquoi j’ai voulu être un architecte écologiste. Et pour cela il faut que je vous parle de mes origines. Je suis né dans une région en permanence confrontée à la force des phénomènes naturels. En Bretagne, la mer c’est avant tout les marées qui, deux fois par jour, se retirent au loin et reviennent.
Mon père était ostréiculteur et ma mère venait d’une famille de meuniers. Mon grand-père maternel, qui avait perdu sa jambe pendant la Première Guerre mondiale, était aussi sourcier, ce qui lui avait permis de trouver de l’eau douce tous les soirs afin que ses camarades puissent boire à leur soif dans leurs tranchées. Un jour, il a mis sa baguette de coudrier dans ma main et j’ai compris qu’il se passait quelque chose en moi qui n’était pas moi. Cette baguette de bois m’a subitement fait comprendre que tout mon corps était traversé par des forces telluriques, des forces électromagnétiques, que je ne maîtrisais pas. Mes premiers souvenirs, c’est ce milieu humain en totale immersion dans la nature…
À cela, il faut ajouter le traumatisme des premières grandes catastrophes écologiques : le naufrage du Torrey Canyon en 1967, suivi celui de l’Amoco Cadiz en 1978 et de sa marée noire qui s’est étendue sur 350 kilomètres de côtes en détruisant systématiquement leur faune et leur flore. Dans ma famille, nous élevions des huîtres de père en fils depuis 1898. Je devais prendre la relève de mon père mais je n’en avais nulle envie, parce que je voulais être architecte.

D’a : Où avez-vous fait vos études ?
Je suis allé directement à Paris parce que, quand on vient d’un petit village du Finistère, on ne s’arrête pas à Rennes, on monte directement dans la capitale. Je suis allé au centre du centre : au Grand Palais, où deux écoles se disputaient à l’époque le grand espace sous la verrière. Je me suis inscrit au hasard dans l’une d’entre elles. Et le jour de la rentrée, en montant les marches de l’escalier C, je retrouve un de mes amis parisiens, qui passait souvent ses vacances dans mon village. Nous nous saluons et, quand je lui annonce que je me suis (...)

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