La résurrection de (Saint-)Lazare. Une prison changée en médiathèque

Architecte : Bigoni Mortemard
Rédigé par Jean-François CABESTAN
Publié le 08/07/2015

À deux pas de la gare de l’Est, Stéphane Bigoni et Antoine Mortemard viennent de livrer la médiathèque Françoise-Sagan, importante réinterprétation d’une prison néoclassique convertie en hôpital au XXe siècle. À l’issue d’un chantier spectaculaire, la mise en valeur de l’ancien bâtiment à cour que rien n’annonce de la rue crée l’événement.

 

Connu sous le nom d’« ancienne prison Saint-Lazare », l’ensemble à requalifier est du dessin de Louis-Pierre Baltard, le père de l’auteur des halles centrales. Il forme en réalité l’extension tardive d’un ensemble à trois cours en enfilade, démantelé vers 1930 pour former le square Alban-Satragne. C’est aujourd’hui un bâtiment à cour d’inspiration palladienne, caractérisé par une chapelle d’axe, un jardin et ses splendides étagements d’arcades de pierre de taille. Il s’agissait d’adapter ce cadre de facture traditionnelle et affligé de pathologies préoccupantes aux normes techniques et valeurs d’usage d’un équipement culturel de notre temps. Comment majorer la surface utile, décupler les capacités portantes, ventiler, éclairer, redistribuer, bref, tirer le meilleur parti d’un édifice techniquement peu performant mais d’un intérêt architectural saisissant ? Tels sont les hypothèses de projet et le pari simultanément assumés par les maîtres d’œuvre, leurs nombreux partenaires et la direction de l’établissement. L’expertise de l’existant et l’étude des moyens pour aboutir à un état projeté ambitieux voire audacieux ont exigé de la part de la maîtrise d’œuvre la mise au point d’une économie de chantier spécifique. Nécessaire, la reprise en sous-œuvre des fondations a suggéré la création d’un sous-sol en béton, d’où découle un gain de surfaces de stockage conséquent. Parallèlement, il a fallu reconsidérer la structure porteuse du bâtiment et des portiques métalliques colossaux ont été insérés dans l’enveloppe de pierre. L’ossature auxiliaire aura d’abord servi d’échafaudage et d’étaiement provisoire ; elle sert aujourd’hui d’étrésillonnement et d’organe de soutènement des planchers reconstruits. Rendue possible par ces actions, l’élision des refends intérieurs a permis de concevoir de gigantesques plateaux d’un seul tenant, ancrés à chaque extrémité par les cages d’escalier à l’italienne restaurées. 

 

DIALOGUE DES DEDANS ET DES DEHORS 

Pratiqué à 90 cm derrière le nu intérieur de la façade, un mur-rideau vitré garni de voilages textiles écrus soumis aux effets de la brise résout d’un seul coup la clôture, la ventilation et l’éclairement circonstancié des niveaux. La disparition des menuiseries en tableaux de baies dont le dessin parasitait la lecture des façades en grand appareil confère une noblesse nouvelle aux élévations à arcades. Solution radicale, qui par ses effets d’ombre et de profondeur réinvente le rapport des dedans et des dehors et exalte le caractère italianisant de la conception initiale. 

L’ancien préau pénitencier a donné lieu à l’acclimatation d’une oasis inspirée des cloîtres hispaniques, prolongement extérieur des salles de consultation propre à accentuer le caractère exogène de l’ensemble recomposé. La sinuosité des sentes et des prismes qui en ourlent le tracé sont la seule concession aux effets de design totalement absents des intérieurs du bâtiment, habités d’un purisme destiné à mettre en valeur les collections, leurs usagers, les escaliers de pierre et la face interne des façades appareillées. La terrasse panoramique intégrée au permis de construire mais dont la réalisation est actuellement suspendue devrait contribuer à faire de la médiathèque Françoise-Sagan l’un des lieux culturels parmi les plus attrayants de la capitale. 

La reconversion de l’ancienne prison offre le témoignage d’une expérience qui mérite de faire école. Sans nécessairement prêcher en faveur des procédures adaptées, peut-être convient-il d’invoquer à cet égard les modalités du choix de l’équipe lauréate, sélectionnée sur la base non pas d’un projet d’ar- chitecture aux séductions étrangères à la réa- lité d’un existant complexe, mais d’un dossier d’œuvres réalisées et d’une note d’intention. À l’écart de ces situations, dans lesquelles un programme imposé et une image vendeuse exercent une tyrannie de laquelle les bâtiments sortent désossés – on pense ici à ce qui risque bien de se produire à la Poste du Louvre –, les parties prenantes de la reconversion de l’ancienne prison ont su se mettre à l’écoute du bâtiment et de ce qu’il pouvait devenir. On soulignera le rôle majeur joué par certains interlocuteurs, tels la direction de la médiathèque ou l’agence d’études historiques, qui, chacun à leur manière, ont assumé une médiation déterminante auprès des décideurs et des instances municipales. La qualité des hypothèses de projet lancées par les architectes et leur force de persuasion à tous les niveaux décisionnels a peu à peu engendré une convergence d’intentions, porteuse d’une réussite qui mérite de faire parler d’elle.



Maîtrise d’ouvrage : Ville de Paris/DAC/DPA

Maîtrise d’œuvre : Stéphane Bigoni et Antoine Mortemard

Études : Joachim Bakary, Julien Hosansky, Takami Nakamoto, Laurent Douvenou (paysage)

Conseil en études et direction de chantier : Alexandre Nossovski

Programme : médiathèque, auditorium, salle d’exposition, jardin public

Entreprises : Eiffage, Pradeau & Morin

SHON : 4 300 m². Surface utile : 3 526 m²

Coût : 13 millions d’euros HT

Livraison : janvier 2015


Lisez la suite de cet article dans : N° 237 - Juillet 2015

La résurrection de (Saint-)Lazare. Une prison changée en médiathèque<br/> Crédit photo : Agence BM - La résurrection de (Saint-)Lazare. Une prison changée en médiathèque<br/> Crédit photo : Agence BM - La résurrection de (Saint-)Lazare. Une prison changée en médiathèque<br/> Crédit photo : Agence BM -

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