Le dossier de candidature : scud ou bouteille à la mer ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 08/11/2010

Article paru dans d'A n°195

Qu'est-ce qui coûte de 40 000 à 80 000 euros pour 800 à 2 400 heures de travail ? Une centaine de candidatures d'architectes à un avis d'appel de marché public. La sélection est d'autant plus sévère que 150 à 200 candidatures ne sont plus si rares sur certains projets. Est-il possible de rationaliser les demandes et d'optimiser l'efficacité des dossiers ? Des architectes et des maîtres d'ouvrage lancent des propositions.

Quand l'eldorado de la commande privée s'estompe sur fond de crise, les candidatures aux marchés publics se multiplient et la concurrence s'accroît d'autant que les grandes agences s'intéressent à des projets plus petits que leur cible habituelle.
Dans un contexte où la notoriété et les références sont prépondérantes, le dossier de candidature – premier lien entre un architecte et un maître d'ouvrage potentiel – est décisif. Pour prétendre être invité à travailler, l'architecte commence donc par confectionner ces dossiers qui représentent un coût non négligeable. Entre la préparation des pièces administratives, textes, photos, dessins et fiches projets, les renseignements à obtenir, l'équipe à constituer, le portfolio, les CD et un Chronopost si besoin est, un dossier coûterait entre 400 et 800 euros HT. Il n'est ni restitué ni réutilisable, souvent sans réponse et parfois la consultation est annulée sans crier gare. Autre difficulté : la disparité des demandes. Si les pièces administratives sont fixées par le code des marchés publics, les requêtes des maîtres d'ouvrage varient sur la présentation des références et la constitution des équipes. Les architectes estiment que normaliser les demandes faciliterait la préparation des dossiers, mais les maîtres d'ouvrage expérimentés ont leurs propres critères. Les maîtres d'ouvrage occasionnels, eux, tendent à multiplier les demandes par crainte de se tromper, ce qui, paradoxalement, nuit à la sélection.

LE REGARD DES ARCHITECTES SUR LE TEMPS PASSÉ ET LE RETOUR SUR INVESTISSEMENT
« J'envoie 50 dossiers par an. Quand je suis sélectionné, j'ai 60 % à 70 % de réussite, constate Frédéric Borel. Seul un architecte connaissant parfaitement l'agence peut préparer un dossier et recenser les partenaires. Par rapport à l'investissement que cela représente, je m'étonne que les réponses négatives ne
soient pas circonstanciées: cela nous aiderait à ajuster nos dossiers. Souvent, nous ne recevons aucune réponse, ce qui manque de civisme, si l'on considère le travail fourni. Les demandes complexes et multiples, types PowerPoint, transmission téléchargée et papier, donnent le sentiment que nous prétraitons la préparation que le maître d'ouvrage doit faire pour présenter les candidatures au jury. Autre chose irritante, car restrictive: l'exclusivité d'association parfois requise de la part de certains partenaires potentiels. »
Naja en 2003, Charles-Henry Tachon (voir son Parcours dans notre magazine) adresse cinquante dossiers par an pour concourir trois ou quatre fois. « On ne peut pas standardiser les dossiers, même sur des programmes similaires. Un dossier demande un jour et demi ou plus pour répondre à des demandes spécifiques sur des sujets motivants. Au moment de courir après les bureaux d'études, les scénographes et les acousticiens, nous peinons parfois à monter une équipe si une exclusivité est imposée. Je saisis parfois avec difficulté le bien-fondé de demandes spécifiques. Hormis les marchés négociés, quel est l'impact des notes méthodologiques? Quand je suis moi-même juré, je vois que ce sont les portfolios qui sont décisifs. On nous demande aussi de formaliser une note sur l'organisation de notre travail, alors que les phases d'un projet sont toujours contractualisées. »
Michelle Lenne-Haziza, qui s'associe désormais avec des confrères sur des concours publics, réserve son rôle de mandataire aux marchés attribués sur références et sur consultation, plus en phase avec l'envergure de son agence. « En trois ans, j'ai envoyé une centaine de dossiers, soit 30 à 40 par an, pour remporter une affaire ! Cela représente environ un mois de travail annuel pour obtenir une opération de 150000 euros d'honoraires. Je distingue les dossiers simples et les ciblés. Les premiers sont partiellement standardisés et je les améliore en permanence. Après la sélection quotidienne des avis, il faut composer l'équipe, recueillir éventuellement les informations complémentaires, se faire une idée du site en le visitant ou en consultant Internet! Si la partie administrative peut relever d'une assistante, monter l'équipe me revient. Tout cela prend facilement une journée. Dans un dossier ciblé, une note d'intention est souvent requise. Auparavant, cette note était facile à ajuster, mais aujourd'hui, elle devient souvent si précise qu'une vraie réflexion sur le projet ou sa méthodologie s'impose pour candidater. Or, quand je participe à un
jury, je vois que ces notes ne sont pas toujours lues. Un dossier plus complexe demande deux à trois jours de travail. Le maître d'ouvrage ne devrait pas demander une équipe trop complexe car elle est souvent
inadaptée à l'objet du marché. L'architecte reste un généraliste responsable des dimensions environnementales. C'est amplement suffisant pour de petites opérations. »
À la tête d'une petite structure, Pascale Guédot n'envoie des dossiers que lorsqu'une affaire se termine. Avec un taux d'invitation de 1/10, elle considère que la grande vertu du système des concours est qu'il permet à une agence d'être retenue sur dossier en présentant trois images de ses réalisations. En revanche, chez Élodie Nourrigat et Jacques Brion, à Montpellier, une personne à plein temps envoie 300 dossiers par an pour une vingtaine d'invitations à concourir. « Le premier travail consiste à décrypter les spécificités d'un dossier. Ce qui nous paraît le plus absurde est que l'on nous demande parfois à ce stade de fournir une affiche au format A0 ou de nous associer à une quinzaine de spécialistes divers et variés pour un projet simple. Pour candidater sur un zoo, un zoologue se justifie, mais si le maître d'ouvrage lui impose l'exclusivité, il limite les candidatures d'architectes. »

LES OBJECTIFS ET LES CRITÈRES DES MAÎTRES D'OUVRAGE
Pour Bertrand Desmarais, chef de projet à l'OPPIC (Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers culturels), la lettre de motivation est inutile. « Le problème n'est pas d'être motivé, mais de réunir une équipe de maîtrise d'oeuvre correcte en sachant que nous cherchons d'abord un architecte. Pour élargir la sélection, nous autorisons les BET à candidater avec plusieurs architectes. Aux pièces administratives classiques, les postulants peuvent joindre un book ou un livre, mais un document A3 très formel est imposé: à gauche, la présentation de l'équipe, le chiffre d'affaires et les références sur trois ans, pour apprécier l'équipe et l'outil de travail. À droite, les candidats présentent les images des références qu'ils jugent les plus appropriées et celles-ci peuvent être plus anciennes. Un cahier réunissant ces A3 est remis au jury, ce qui permet un jugement efficace en deux demi-journées à partir d'un support papier facile à manier. Au premier tour, près de 50 % des dossiers sont éliminés; au deuxième tour, chaque membre du jury justifie
ses choix et nous gardons une trentaine de dossiers pour un débat final à plusieurs tours. À chaque stade, un retour aux dossiers complets des candidats est possible, si nécessaire. Nous recevons toujours un grand nombre de dossiers systématiques constitués par des secrétaires d'agence sans que soit respectée l'adéquation avec le sujet; ils ne passent jamais le cap de la sélection. » Prenant l'exemple de deux concours organisés pour la restauration-réhabilitation de l'hôtel Salé (le musée Picasso), puis pour son extension, soit respectivement 182 et 115 candidatures, Bertrand Desmarais indique toutefois qu'il est important que toutes les candidatures (même hors critères) soient vues par le jury, car cela donne une visibilité aux candidats.
Adjoint au chef du département programmation, architecture et travaux de l'APHP, Cédric Dumesges était auparavant chef de projet au ministère des Affaires étrangères. « Pour des hôpitaux très techniques d'une centaine de lits, un maître d'ouvrage peut difficilement partir sans risque avec une équipe architecte/BET inexpérimentée, mais on peut faire confiance à des agences généralistes aguerries associées à des BET performants. En revanche, sur un centre culturel ou un projet scolaire, l'intelligence de lecture d'un programme est préférable au nombre de références. Le chiffre d'affaires renseigne sur l'activité d'une agence. En rédigeant l'avis, je veille à ce que mes critères transparaissent à travers une ou deux lignes de précisions pour cibler des profils et donner des pistes aux candidats. Généralement, sur 100 dossiers, 15 % à 30 % sont à côté de la plaque. Nous regardons ensuite la qualité architecturale et les références. Pour la composition du dossier, je demande une note de motivation courte, invitant les candidats à exprimer leur première approche du sujet. Hormis les trois diapositives projetées lors du jury, j'évite toute demande imposant un travail conséquent. Demander des choses que nous n'aurions pas les moyens de restituer serait inutile et discourtois. Le support papier est laissé assez librement à l'appréciation des candidats, mais il importe que le dossier soit clair et facile à synthétiser par la commission technique. Celle-ci remet au jury un classement des dossiers par grandes familles. Il dispose aussi des dossiers et d'un PowerPoint de toutes les diapositives. Tous les avis doivent être justifiés et, à chaque étape, une équipe mal classée peut être repêchée, notamment par les maîtres d'oeuvre compétents présents dans le jury. Ce classement par famille permet d'aller vite et de dynamiser les débats. »
Marc Lipinsky est conseiller régional, élu dans la structure Jury des concours d'Île-de-France où une consultation récente a drainé 210 candidatures. Là aussi, préparer des dossiers aisément synthétisables paraît essentiel. Pour préparer rapidement et correctement leur vote du premier tour, les membres du jury étudient généralement les dossiers en amont à partir de la synthèse de la commission technique et d'un CD reprenant les documents fournis par les architectes. Ils peuvent également consulter l'ensemble des dossiers s'ils le souhaitent. Pour être retenu en deuxième phase, il faut avoir la majorité absolue. Ensuite, les dossiers circulent et le nombre de voix est déterminant, chacun ayant deux bulletins secrets pour sélectionner le peloton de tête.
Ces témoignages montrent que, du côté des architectes, les dossiers ciblés valorisant les références sont la meilleure stratégie. Chez les maîtres d'ouvrage, formuler des demandes simples et bien définir le contexte permettent d'attirer des candidatures pertinentes. Limiter les références à des projets de moins de dix ans est restrictif face à la durée des réalisations. Multiplier les éléments à télécharger peut décourager des candidats potentiels et il faut aussi s'interroger sur la réelle utilité des « spécialistes » imposés. Enfin, pour éviter l'astreinte de l'exclusivité des BET, on peut fixer pour règle que si deux architectes ont le même BET,
celui qui récolte le plus grand nombre de voix l'emporte.

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