Les 20 ans de RFR

Rédigé par Frédéric NANTOIS
Publié le 01/02/2003

Article paru dans d'A n°126

Retracer le parcours de RFR, c’est évoquer les grands noms de l’architecture et revenir sur des réalisations majeures. RFR, qui fête ses vingt ans d’existence, a en effet contribué, depuis sa création, à de nombreux projets remarquables, en France et à l’étranger. Mais aborder le travail de cette agence dédiée à l’invention et à l’innovation, c’est aussi, au travers d’une pratique et d’une équipe singulières, s’intéresser à l’évolution des relations entre architectes et ingénieurs.


RFR a été créée en 1982 par Peter Rice qui, après une première association avec Renzo Piano à la suite de Beaubourg, souhaitait pouvoir répondre à des commandes indépendantes d’ingénierie. Martin Francis et Ian Ritchie ont rejoint Peter Rice au moment de La Villette pour l’étude du projet de la Cité des sciences et de l’industrie. Depuis la disparition de Peter Rice, en 1992, et bien que les deux autres membres fondateurs ne fassent plus directement partie de l’équipe (Martin Francis, installé à Antibes depuis plus de vingt ans en tant qu’architecte naval, est encore consultant auprès de RFR, et Ian Ritchie mène sa carrière d’architecte indépendant en Angleterre), leurs initiales sont restées, marquant l’attachement de l’équipe actuelle aux intentions initiales de cette structure particulière. Aujourd’hui, autour d’Henry Bardsley, présent depuis l’origine de RFR, de Jean-François Blassel et de Bernard Vaudeville, une trentaine de personnes travaillent dans les bureaux parisiens de l’agence. L’innovation comme mode de pensée Si la renommée de RFR s’est construite par la participation aux grands projets français des deux dernières décennies (la pyramide du Louvre, le nuage de l’arche de La Défense, les gares TGV, l’aérogare 2F de l’aéroport de Roissy…), la reconnaissance professionnelle est aussi venue de l’implication dans de nombreuses autres réalisations, moins médiatiques mais dans lesquelles la recherche de solutions innovantes était toujours déterminante. Aujourd’hui, Henry Bardsley propose une définition de l’innovation qui rassurera peut-être les architectes qui doutaient encore de leur capacité à inventer : « Innover, c’est être hors DTU » mais, comme il le précise aussitôt, encore faut-il l’être volontairement ! Par cette boutade, il faut comprendre que l’innovation est avant tout une approche, un état d’esprit consistant à ne pas se satisfaire de la répétition de recettes ou encore de la simple application des normes. Innover, c’est prendre un risque, mais un risque mesuré qui aboutit, comme l’explique Jean-François Blassel, à des solutions finalement plus fiables que des réponses classiques. Car leur conception impose précisément un contrôle bien supérieur qui permet de progresser, de renouveler des dispositifs que l’on se contentait de reproduire. Par exemple, pour concevoir le viaduc TGV au-dessus du Rhône, près d’Avignon (1998), RFR a transféré dans le domaine ferroviaire des techniques propres aux ouvrages d’art routier, afin de réaliser un pont dont toutes les travées seraient égales, et qui s’intégrerait ainsi dans le paysage comme un pont plus classique. L’ouvrage a aussi été construit à partir de voussoirs en béton préfabriqués puis assemblés sur place ; technique qui n’avait jusqu’à présent jamais été employée pour un pont ferré. L’innovation n’est pas que le détournement d’une technique afin de s’affranchir de certaines contraintes. Pour RFR, la source principale d’invention de dispositifs nouveaux reste la géométrie des formes à réaliser, et le défi que pose le passage de la représentation d’un objet à un projet constructible. Aujourd’hui, cette recherche peut être d’autant plus complexe que les architectes n’hésitent pas à concevoir des formes gauches dont l’origine est purement mathématique, et pour lesquelles il faut inventer une matérialité propre, uniquement à partir de la simulation, comme dans le cas du café Georges de Jakob et MacFarlane (1998) pour le Centre Pompidou, dont RFR a assuré la conception technique et le suivi de la réalisation. Mais l’innovation peut être aussi simplement, comme l’explique Henry Bardsley, de mettre l’inventivité au service d’une idée sensible et poétique. Ainsi, pour le Théâtre de la Pleine-Lune (1988), situé à Gourgoubès près de Montpellier, RFR a réalisé un dispositif fait de miroirs implantés autour des gradins et réfléchissant le rayonnement lunaire, afin d’éclairer, uniquement par celui-ci, la scène de ce théâtre extérieur. L’intervention, minimale et expérimentale, déploie toute la science de l’ingénieur pour servir une démarche artistique et s’accorder à la philosophie du lieu. Une « ingénierie postmoderne » Ce type d’approche, qui n’impose plus de solution standard, est révélateur, selon Jean-François Blassel, du passage à une « ingénierie postmoderne ». L’emploi de ce terme, peu en usage chez les architectes, sert à caractériser une évolution majeure dans les problèmes posés, et donc dans les solutions apportées. S’il s’agit toujours de proposer une réponse efficace à une question particulière, les contraintes multiples et parfois contradictoires des projets imposent de plus en plus des dispositifs complexes et hybrides. Ce fut le cas de la couverture du Technocentre de Renault (1997), pour laquelle RFR a conçu des poutres de grande portée associant différentes essences de bois combinées à des parties en acier. C’est aussi, à une moindre échelle, la collaboration avec l’artiste Franck Stella : RFR a pris en charge le calcul et la construction de deux sculptures monumentales (Broken Jug et Prince Friedrich von Homburg). Pour leur réalisation, il a fallu associer différents matériaux (aluminium, fibre de carbone, fibre de verre, acier…), afin de respecter leur géométrie complexe, mais aussi, pour Prince Friedrich von Homburg, imaginer une structure tenségrité venant s’immiscer au cœur des courbes de la sculpture, afin qu’elle puisse tenir debout. Dans ces projets, et de manière générale, RFR défend l’idée d’un « artisanat technologique » qui va à l’encontre des solutions de catalogue et privilégie le recours à des savoir-faire spécialisés ou au transfert de technologie. Le degré d’implication de RFR dans chacune des réalisations auxquelles l’agence participe, pousse à s’interroger sur la mission exacte de l’ingénieur au côté de l’architecte. Peter Rice remarquait la difficulté pour les ingénieurs à être reconnus comme « individus responsables des artefacts qu’ils conçoivent », et regrettait la mauvaise appréciation du rôle de l’ingénieur : « Croyant me faire un compliment, les gens me qualifient souvent d’architecte ingénieur. » Ingénieur ou architecte ? Pour Henry Bardsley, il n’y a pas fondamentalement de distinction entre architecture et technique. Il s’agit de deux arts de construire et, en ce sens, l’ingénieur est un concepteur à part entière. De même, selon lui, il ne faut plus penser l’intervention des acteurs du projet dans une succession linéaire, chacun rajoutant sa couche de compétence, mais imaginer globalement le projet et créer, dès le début, les conditions d’un véritable dialogue. C’est à ce titre que RFR se positionne comme interlocuteur privilégié des architectes, puisque l’agence réunit — depuis sa création et encore aujourd’hui par la composition pluridisciplinaire de son équipe — ingénierie, architecture et design industriel. Cependant, si RFR met en avant la capacité de son équipe à aborder des problèmes toujours nouveaux, l’expertise acquise au fil des réalisations dans certains domaines conduit Jean-François Blassel à distinguer deux grands pôles de compétence. Il y a, bien entendu, les murs-rideaux qui constituent une part importante de l’héritage de Peter Rice et sont toujours au centre de nombreux projets de l’agence, et puis les grands ouvrages d’art. Deux domaines dans lesquels RFR assure aujourd’hui des missions de conception complètes. Au-delà de l’exploit Si les grands projets des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix contenaient peut-être l’idée de l’exploit, aujourd’hui, les préoccupations ont évolué et l’exploit se trouve ailleurs. La marque de l’innovation dans la résolution de questions techniques ou structurelles est précisément, selon Jean-François Blassel, de ne pas miser nécessairement sur un effet spectaculaire, ou bien de chercher à lier l’innovation à des problématiques contemporaines telles que l’aspect énergétique ou l’intégration dans l’environnement. Ainsi, pour la Cité des sciences, la contrainte thermique, dominante à l’époque, s’était traduite par les serres bioclimatiques. Aujourd’hui, beaucoup d’autres données interviennent et poussent à concevoir des dispositifs plus complexes. Pour la gare TGV d’Avignon (2000), RFR a géré simultanément l’ensemble des éléments, climatiques mais aussi structurels, humains et environnementaux. Comme le montre Jean-François Blassel sur une coupe du projet, toutes les faces participent. La façade nord, entièrement vitrée, qui abrite les espaces d’attente avant l’accès aux quais, est constituée d’une peau de verre respirant. La façade sud, opaque, intègre le système de climatisation et la distribution des différents fluides. Mais sa forte épaisseur s’explique aussi par le fait qu’elle constitue, avec le plancher et les infrastructures (les fondations sont antisismiques), une « mâchoire » très rigide qui vient pincer la peau de verre, rendue ainsi encore plus légère et transparente. Le projet non réalisé de passerelle au-dessus de la Loire à Orléans (2001) est un autre exemple dans lequel l’exploit technique est de nouveau mis au service d’un projet urbain et environnemental. Plutôt que d’affirmer le franchissement, et pour répondre à la courbure du fleuve, la passerelle forme un angle sur son parcours. À cette cassure, des escaliers permettent de descendre au bord de l’eau sur une île séparant une partie naturelle d’une voie navigable. Les piétons peuvent ainsi redécouvrir un élément du paysage qui avait été négligé dans le développement urbain, tandis que la passerelle offre un véritable balcon pour contempler la ville. RFR, dont l’activité est de plus en plus internationale (avec notamment un bureau en Allemagne et plusieurs projets en Irlande), est aujourd’hui un acteur majeur de l’inventivité architecturale française. Mais ses membres se défendent de revendiquer un quelconque positionnement esthétique, et le qualificatif de high-tech pour caractériser la technicité de leurs réalisations leur semble bien loin de leurs préoccupations. Le moteur de leur engagement reste l’exploration incessante de la matière, de ses potentialités, avec cette croyance enthousiaste dans l’imagination, dans la possibilité de toujours pouvoir réinventer le quotidien. Vingt ans, c’est le bel âge ! Frédéric Nantois

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